Society
6.4
Society

Film de Brian Yuzna (1989)

Les puissants parviennent-ils toujours à leur faim ? - Analyse -

Je n’ai aucune idée par où commencer cette critique. Du coup j’ai décidé de vous le dire, de cette façon, vous n’aurez pas besoin de remarquer vous-mêmes que ce qui va suivre va être désorganisé, et je me trouve par ce biais une excuse pour l’être, du moins au début.
« Society » est un film de Brian Yuzma, sorti en 1990, dont le réalisateur est absolument inconnu du grand public. A en juger la filmographie du bonhomme, peu voire aucun de ces films n’ont marqué les esprits : pour cause, juste à la vue des diverses dénominations filmiques, ça sent les Nanars à plein nez.
J’ai largement apprécié le film : voilà, avis général, super analyse Simon, wo !
Néanmoins, pour peu que vous ne soyez pas rebutés à l’idée de me lire juste après avoir utilisé votre souris et constater la longueur de la critique, vous verrez que l’analyse est (je l’espère) plus poussée. Même si je comprends votre flemme. Cependant, pour ceux qui ont un peu de courage et qui veulent être entrainé dans une surinterprétation absolument divine d’un film, d’une envolée lyrique hautement philosophique qui ferait trembler les parois de la Caverne de Platon, dans la création d’une faille spatio-temporelle du cosmos réflexif par sa métaphysique cataclysmique, allons-y, sautons les pieds joints dedans. Ma dernière phrase, un peu longue d’ailleurs, n’étant que pure bêtise, bien entendu.


En avant-propos, je tiens à préciser que la version française du film le fait passer rapidement dans cette fameuse catégorie des Nanars, vu l’absence de distribution que celui-ci a reçu (on ne paie pas des doublures crédibles pour ce « genre de film »).
Pourtant en VO il n’en est rien, le film est plutôt plaisant à regarder. Pour commencer doucement, petit retour sur le scénario du film. Personnage principal : Bill Whitney, jeune homme proche de la majorité, un brin paranoïaque sur les bords, est sujet à des visions particulièrement glauques concernant sa famille, un clan bourgeois vivant dans la banlieue de Beverly Hills remplies de fils à papa, d’égo surdimensionnés, de personnes perfides et concentrées sur elle-même. Autour de ce personnage, le doute plane : quelles sont les étranges visions dont celui-ci est victime concernant les membres de sa famille, et plus particulièrement sa sœur ? Quelles est cette ombre discrète mais consciente qui tourne autour de lui ? L’avancée narrative du film se résume, en gros, à une avancée complotiste, et c’est sur ce complot que va reposer les ¾ du film. Ce n’est pas certainement pas le premier film à utiliser cette problématique afin de faire monter le suspense et créer à cette fin un simili-thriller, mais le focus est mis sur l’étrangeté et l’incompréhension que connait le personnage de Bill du monde qui l’entoure, et plus particulièrement de sa famille.
La première réflexion qui m’est venue au milieu du film, c’était de savoir si Bill était, grossièrement, la figure de l’adolescent rebelle qui ne souhaite pas s’intégrer. Un des points principaux qui m’a fait penser cela, c’est le fait qu’il ne partage pas les mêmes habitudes aristocratiques que sa famille, mais également de l’ensemble des personnes qui l’entourent à savoir une élite de la banlieue pavillonnaire de Los Angeles : au niveau du style vestimentaire, on remarque assez rapidement l’opposition flagrante : Bill est habillé de manière aléatoire, utilisant à la fois des vêtements « street » pour le style et des couleurs désorganisées pour l’apparence. Quant à eux, les autres personnages apparaissent pour le coup beaucoup plus superficiels : polo Ralph Lauren & Cie, dress-code bourgeois (robe, bijoux scintillant, couleurs symbolisant le prestige : bleu, rose ou blanc (qui je le rappelle est la couleur symbolisant la monarchie sur notre drapeau national, et par extension l’aristocratie en général)). L’autre couleur qui frappe aux yeux concernant la plupart des personnages, c’est le pourpre violet. Celui-ci est notamment visible sur les habits de la sœur de Bill, Jenny, ainsi que sa relation amoureuse, Clarissa, dont elle est le plus souvent drapée et dont la maison en est entièrement tapissée. Après recherche sur l’Internet mondial (parce que je ne sors pas non plus toutes les informations de mon cul), cette couleur symboliserait l’apanage d’une société secrète qui contrôlerait le monde et qui se cacherait du public, comme dans le film. Comme le mythe des Illuminatis (mythe ou non ? La vérité est définitivement ailleurs…. blague). Soit, c’est intéressant de la part du réalisateur d’avoir pensé à inclure cette couleur s’il connaissait sa signification, mais pour un spectateur lambda, comme moi d’ailleurs, ça n’a pas grande utilité. Cependant, utilisons ce geste et le thème du film pour consacrer cette montée en puissance du mystère. Ouais, disons cela.
Les passions de Bill pour le basketball, sa relation et sa manière de parler avec son meilleur ami (dont j’ai oublié le prénom), le duo costard/basket on stage, le mettent instantanément en opposition avec les autres personnages, et nous fait nous identifier à lui (à moins de faire partie de cette aristocratie). Par petites touches, l’intensité va monter, à tel point que je me suis demandé où le film m’emmenait, mis à part cette impression que quelque chose de fort se tramait, que ça soit par le nombreuses occurrences du mot « Society » par la plupart des personnages du film, par les rebondissements complotistes (qu’on voit s’avancer bien à l’avance tout de même, un gros défaut du film pour sa trame principale, hormis pour la fin qui part littéralement en sucette, et je pèse mon mot « sucette »). Maintenant que les faits sont édictés, il va ainsi falloir s’intéresser à leur signification. Forcément. Première question à donc se poser : Méquescekisepasseàlafin ?


A vrai dire, c’est une excellente question. Tout à coup, le film sort des canons habituels lorsque la révélation finale est annoncée et part dans un délire surréaliste : la « Society » que l’on a teasé pendant tout le film, à en faire passer Bill pour un fou, existe réellement et s’adonne à des orgies en suçant littéralement le corps et l’esprit des plus vulnérables. Si la forme est si trash, c’est parce l’auteur du film a voulu, de cette manière, impacter l’esprit des spectateurs et lui faire se dire « non mais qu’est ce qui se passe bon dieu de bon sang ».
D’ailleurs, petit aparté, l’utilisation du mot « Society » n’est pas anodine. J’ai choisi de considérer délibérément sa traduction comme étant à double sens : comme « club/association » mais également comme « société ». En effet, quand on parle de « société » dans un langage courant, on parle d’un ensemble humain, psychologique et infrastructurel qui forme un système de normes, de valeurs, d’idées qui lie tout ceci de manière durable. Cette société, qui devrait ainsi se composer de toutes les castes sociales (la société était un terme sociologique en premier lieu), devient dès lors uniquement élitiste du fait du déroulement du film à Beverly Hills, et celui-ci induit que cette « Society » (secrète au début mais uniquement du point de vue des non-adhérents) est omnipotente. En effet, les membres de la « Society », ce sont ceux qui devraient représenter en principe la minorité (on sait tous que la population mondiale n’est pas habitée par 80% de riches (je grossis délibérément, avoir 80% de riches ça impliquerait des réflexions sur la définition de la richesse entre autres)) mais qui sont en l’état la majorité absolue. La preuve en est-elle, c’est qu’elle contrôle deux piliers des sociétés contemporaines : la justice, mise dans les mains du Guru de l’assemblée (le juge) et qui exprime alors le contrôle aussi bien juridique qu’éthique, et surtout le psychologue, qui contrôle donc non pas le côté matériel mais spirituel de la société, donc le contrôle de la profondeur de l’âme qui assoie le rapport de domination. Il se prétend ami de Bill au début du film, mais se révélera en fin de compte être un traite en tant que MC officiel de l’orgie. La société n’en n’est donc réduite qu’à une majorité de puissants qui domine les autres. Si le film n’est en aucun cas dystopique quant à ses figures (à ça non), il met en évidence le rapport entre ceux qui dominent et ceux qui sont dominés : faire partie des catégories supérieures permet ainsi d’englober le reste de la société, et la fait devenir une simple chair à canon.


Pour cela, la figure de la sangsue, qui jalonne tout le film, est là pour rappeler ce que sont les membres de la « Society » : des personnes avides d’aspirer l’énergie vitale des personnes qu’elles considèrent comme inférieures. Le plus troublant dans l’histoire, c’est que ces critères d’infériorité ne sont pas énoncés, il suffit juste de ne pas faire partie de cette « Society », d’en être extérieur pour être considéré comme différent. Bill est repoussé tout au long du film à un rang inférieur parce qu’il ne semble pas commun aux autres. L’argument de la différence semble dans ce cas présent se satisfaire à lui-même, et ce rejet entraîne la réduction de la personne incriminée de différente à un amuse-bouche qui servirait à la « Society ». Il en va de même pour Blanchard : sa différence (Pervers ? Fou ? Même si c’est un cliché, le fait qu’il soit juif est censé le rapprocher des classes dirigeantes et donc de la « Society » alors qu’il en est exclu) le catégorise en tant qu’objet de festin. Si un indice est donné lorsque la fameuse phrase concernant le fait que les riches mangent les pauvres est donné, il n'est pour moi pas suffisant.
Dans le film, il suffit juste de ne pas partager les habitudes de la communauté principale, et par extension ne pas être vidé de sa substance consensuelle de classes (« habitus de classe » comme dirait Bourdieu), pour devenir un apéritif. Cependant, l’espoir existe puisque aussi bien Clarissa comme sa mère sont attirées par les deux amis « marginaux » du film, et peut-être reconnaissent cette forme d’authenticité qui définirait au mieux les deux amis. Cet espoir se concrétise à la fin : Bill gagne plus contre la « Society » qu’un simple combat, mais qui ne l’empêchera pas de sévir par la suite (la dernière phrase du film est là pour ça). Par ce biais, il va également mettre en lumière une des grandes problématiques du film : le concept du faux.


C’est véritablement l’idée qui traverse le film de bout en bout. Que ce soit le fait que les membres de la « Society » qui cacherait leur véritable apparence monstrueuse en agissant normalement alors qu’ils ne le sont pas, l’aveu de la mère de Bill que celui-ci a été adopté, les deux fausses morts avec le corps en argile (?) de Blanchard mis dans le cercueil, l’enregistrement que le psychologue (autre symbole de la fausseté par ailleurs) trafique pour tromper Bill, la (demi-)sœur qui semble soutenir son frère avant de faire partie de la foule de moquerie lors de l’assemblée des élèves, etc etc. Le faux est omniprésent.


S’il n’est pas révolutionnaire d’associer la fausseté au monde hautement superficiel des supers-puissants, il ne faut pas perdre de vue une réalité qui est propre au domaine de la logique, et qui conceptualise le film de la plus belle des manières. En logique (je parle de la science), mettre dans un groupe d'expressions vraies une proposition fausse rend tout ce qui a été dit faux. Même 1 000 000 propositions vraies et une fausse. Le faux a donc une prédominance sur le vrai, et le film, par le fait de traiter son propos de manière dialectique (puissants/pauvres) montre que les personnes fausses sont toujours celles qui vont prédominer sur les personnes qui sont vraies. De ce fait, est-on obligé d'être quelqu'un de faux si nous voulons obtenir quelque chose de fort dans ce monde ou faire partie des puissants ? Je vous laisse cette réflexion là, comme ça, mais ne soyez pas pessimiste mes amis.


Le film va cependant partir dans d'autres considérations, puisque celui-ci va mélanger le faux avec un autre concept autrement plus philosophique : le réel.
Pourquoi le réel ? Tout d'abord parce que le film comporte sa part de fantastique, et que le spectateur va se demander, à travers les yeux de Bill, si ce qu'il voit est bien la réalité ou si ce n'est qu'au final le fruit de son imagination.
Le concept du faux est en réalité un sous-concept, en philosophie, de la vérité, qui est l’adéquation de ce qui est dit/montré et de ce qui est réel. Ce réel, quant à lui, se définit simplement par ce qui existe. Depuis les grandes années de la psychologie et de la psychanalytique, ou les travaux de Proust, avec comme point d’orgue la physique quantique, on peut voir que ce concept de réalité est largement tordu, et que l’on pourrait accepter une réalité subjective. Est-ce que Bill voit des autres personnages est réel ou cela vient de sa tête, donc de sa propre vision de la réalité ? Toute l’ambiguïté réside dans le fait que ce réel qu’il voit semble, à première vue du moins, largement influencé par une sorte de paranoïa latente qui va disparaître pour laisser place à ce qui est réellement vrai : les puissants sont ceux qui influencent le réel dans le film. Le film insiste sur ce point par le rôle du psychologue. La mission principale d’un psychologue est de ramener le patient vers la réalité commune de tous, afin de le remettre dans le droit chemin et le faire/se faire accepter la/par la société. Il est donc censé influencer la vision du réel du patient. Dans le film, le psychologue demande donc à Bill d’accepter une réalité où cette « Society », puissante, sévirait sans aucune crainte (n’oublions pas que la police est également dans le coup lors du rassemblement). La réalité, dans le film, devient donc l’instrument de cette majorité afin de mettre au supplice la minorité.
Tout le symbolisme du film réside dans cette simple phrase : est si le réel que nous voyons n’était composé que de choses fausses ? Associé au fait que les personnes puissantes incarnent cette fausseté, le film critique de manière choquante, par sa fin empruntant au cinéma surréaliste comme énoncé, le fait que cette caste puisse contrôler le réel en étant l’expression même de la fausseté. Cela donne au film une sorte d’impression nauséabonde où le réel se décompose sous nos yeux. Dans ce cas précis, que devient le réel s’il n’est pas vérité ? Est-il toujours possible de le nommer « réel », si chaque chose qui existe n’est pas celle que l’on peut voir ? Qu’est ce qui existe réellement (réel) si cela n’existe pas vraiment (vérité) ?
Dès lors, quel est le concept le plus important ? Réel ou vrai ? Une vraie réalité vaut-elle toujours plus qu’une fausse réalité, si nous ne leur appliquons aucun jugement de valeur ? Le film choisit sa voie par « l’happy end » de fin : la recherche de Bill pour cette vérité montre qu’il ne peut pas vivre dans une éternelle fausseté, quitte à découvrir l’horreur derrière le décor. Par extension, nos sens (qui nous permettent de capter le réel) peuvent être aisément trompés par la malhonnêteté des autres, surtout les plus puissants qui influencent nos perceptions (et c’est l’un des propos du film). Pourtant, les valeurs que défend Bill vont triompher : la vérité, la sincérité, l’amitié (bien plus forte que des cercles d’intérêts), l’authenticité seront toujours les plus fortes. Et c’est bien ce qu’a compris Clarissa en essayant de protéger Bill des monstres que sont devenus les membres de la « Society » par leur avidité : ils se sont vidés de leur propre fondement humain et, par conséquent, en sont réduits à n’être qu’une pâle copie de l’homme, une bouillie d’êtres humains gangrénée par leur fausseté et leur désir d’asservissement, ce que le film montre à son terme.


Pour conclure, il faut toujours garder en vue que la vision du réalisateur peut permettre de transcender ce qu’il nous est possible de voir formellement dans un film. Dans ce cas précis, ce qui pourrait s’apparenter à un Nanar dans un premier temps peut se révéler beaucoup plus profond en second lieu, même si j’en fais ma propre interprétation. Pour autant, les éléments du film sont là pour justifier mon propos. Il n’empêche que Society n’est pas un excellent film : la réalisation est téléfilmique, les acteurs assez moyens (mais pas ridicules), beaucoup de clichés et de retournements gros comme une maison. Cependant, on parle de la forme là, et non pas du fond. Un excellent film se doit d’associer les deux ou de pousser l’un à son paroxysme (c’est le principe du cinéma voire même de l’art en général, comme expression (donc matérialisation) de la beauté/du ressenti/des sentiments). Le film délaisse la forme mais pousse son fond vers une réflexion plus qu’acceptable : « Society » est donc un bon film et mérite toute notre attention parce qu’il arrive à matérialiser l’association de trois concepts : le réel, le faux et la puissance en un simple objet cinématographique. Comme quoi, peut-être que d’autres films méconnus tentent le même défi. A nous d’aller les dénicher.

Simon_Besançon
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le 20 mars 2017

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Simon Besançon

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