Cinéaste du verbe, Mankiewich adapte au cinéma la pièce de Tenessee Williams truffée de longues tirades que déclament Catherine, le Dr. Cukrowicz et Madame Venable (la magistrale Katharine Hepburn - aucun lien de parenté avec Audrey, rappelons-le), multipliant les descriptions, justifications, accusations, manipulations, jeux de séductions, ... au sein d'un triangle amoureux.
Parmi ces rapports, le Dr. joue le double rôle de lui-même et d'incarnation (ou projection, en termes psychologiques) de feu Sebastian, enfant de Mme Venable, mort il y a un an. Cette mort récente hante tout le film et même s'il n'apparait jamais vraiment à l'écran (si ce n'est de dos à la fin du film), Sebastian le traverse d'un bout à l'autre si bien qu'il en devient un acteur principal tant les obsessions des deux femmes et la quête de la vérité du Dr Cukrowicz (mué à l'occasion en détective) tournent autour de ce personnage absent.
En effet, les circonstances de sa mort, que chacune des femmes (Catherine et Mme Venable) explique à sa manière, font l'objet d'un conflit de représentations, question fondamentale si l'on veut comprendre les enjeux du film. En voilà les strates: il y d'abord la réalité, qu'on ignore et ne découvre qu'à la fin (mais existe-t-elle vraiment, si l'on s'en réfère à la citation de Sebastian: "la réalité est le fond d'un puits sans fond"?), puis la manière dont les personnages se représentent cette réalité, puis la manière dont ces mêmes personnages représentent dans l'intrigue leur représentation de leur réalité et enfin le théâtre (ou ici l'adaptation de la pièce) comme représentation de toutes ces représentations.
Outre la pertinence de cette réflexion sur le théâtre savamment mise en abîme, soulignons le soin apporté aux plus belles scènes du film, pour la plupart se déroulant dans ce lieu de la folie qu'est l'asile où est enfermée Catherine (la nièce de Venable). Foule déchainée filmée vertigineusement en contre-plongée, gros plans sur des visages grotesques comme autant de masques macabres, cris, rires et délires glaçants en hors-champ constituent les plus belles prouesses de Mankiewich. Relevons aussi sa capacité à garder le public en haleine à mesure que le mystère s'éclaircit et que l'enquête avance. Si savoir si Catherine est vraiment folle ou non comme l'affirme sa tante se retrouve vite relégué à l'arrière-plan de nos préoccupations, comprendre les enjeux de la scène liminaire du jardin et du symbole de la plante carnivore qui en est le centre devient vite le centre d'intérêt. En effet, ce passage dissonant attire l'attention et malgré la lourdeur suffocante et abrutissante des dialogues, on ne peut que deviner qu'il s'agit là d'un élément clé que la dernière scène (elle aussi dans le jardin) viendra révéler.
S'il est vrai que la prédominance du dialogue au détriment du mouvement demeure l'un des aspects les moins achevés selon nous de Soudain l'été dernier mais aussi du cinéma de Mankiewich en général, la mise en scène plutôt indigente ainsi que les lectures psychologisantes plutôt stéréotypées (mère castratrice, complexe d’œdipe, déni de la réalité, schizophrénie et personnalité double, exaltation du moi ...) ternissent un film qui a plutôt mal vieilli. Par ailleurs, la présence un peu incongrue d'une idylle entre le Dr et sa patiente afin d'avoir à tout prix une intrigue amoureuse trahit un recours à des ficelles dramatiques hollywoodiennes plutôt usées, alors qu'un approfondissement de la psychologie du personnage de Catherine aurait été plus pertinent.