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Ce qui marque le spectateur dans Speed Racer (2008), ce n’est pas tant sa féerie visuelle que sa rigueur formelle. Les Wachowski ont, comme à l’accoutumée, réussi à en faire l’un des films les plus importants du début du siècle, mais surtout, ils sont parvenus à créer ce lien intime que peu de films peuvent se targuer d’avoir avec le spectateur. À vrai dire, il n’est plus question d’intimité, mais d’une relation presque fusionnelle entre les personnages à l’écran (une famille unie dans la passion du sport automobile) et ses créateurs (unis dans la passion du cinéma).


Ainsi il faudrait en revenir aux critiques émises envers l’esthétique du projet, régulièrement qualifié à sa sortie, et même encore aujourd’hui, d’épileptique par son utilisation constante d’incrustations sur fonds verts et de couleurs primaires tout droit sorties d’une peinture abstraite. Si la médisance à laquelle le film s’est confrontée est presque naturelle (accepter de nouvelles visions au cinéma n’est pas chose aisée, j’en suis le premier exemple avec Xavier Dolan), il est foncièrement regrettable qu’aujourd’hui encore le film fasse l’objet d’une méfiance qui le relègue au rang des films bizzaroïdes pour le public nerd. Pourquoi donc se méfier d’un film qui, dès l’apparition du logo de la Warner, nous plonge dans un kaléidoscope de couleurs flashy ? L’audace est, pourtant, d’ores et déjà de mise, surtout quand l’introduction du film, entre flashbacks et thématique du ghost (fantôme) de jeu vidéo nous implique au cœur d’un drame familial pourtant déjà vu dans des films plus classiques. Ce qui impressionne dans ces premières minutes, c’est de voir comment l’image évolue de ce kaléidoscope à une course automobile virtuose où les entrelacs des voitures se mêlent aux souvenirs des personnages. Les couleurs chatoyantes de départ se transforment vite, après les merveilleux souvenirs de l’enfance et des premiers émois amoureux, en des teintes plus sombres où les couleurs froides viendront à la fois signifier la mort et le réconfort. Les flammes bleues qui s’échappent de la voiture de Rex Racer appellent la robe verte foncée de la mère de son petit frère Speed, qui le réconforte après son décès. Mais ces couleurs en appellent une autre, que la famille arbore fièrement : le rouge. Une source de vitalité, d’agitation qui caractérise toute la détermination d’une famille toujours dévouée à son art. C’est d’ailleurs cette couleur qu’arbore l’ancienne voiture du frère décédé et que Speed, dans cette course introductive et au volant de sa voiture blanche, laisse encore gagner par respect pour son frère.


Dès lors, on sait que la signification des couleurs, dans un rappel des propos de Kandinsky, ne sera pas que figurative mais profondément émotionnelle. C’est un moyen pour les Wachowski de rendre hommage à l’art qui les fait vivre mais également d’offrir au spectateur un supplément d’âme que peu de films possèdent. C’est une connexion qui s’établit avec lui, à savoir que chaque mouvement et couleur sont l’expression même du désir du personnage. Le visuel du film n’est pas une forme abstraite aux couleurs criardes, car les réalisateurs ne peuvent s’en suffire, mais l’expression même de l’humain. Et si les voitures de courses sont autant à l’image de leurs pilotes, c’est parce qu’elles expriment leur intériorité. Elles reflètent la haine, l’opulence ou la corruption. Ils ne sont là que pour remettre Speed en valeur. Kandinsky exprimait déjà très bien dans son ouvrage Du Spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier qu’une composition picturale se décompose en deux tâches, à savoir celle principale, qui compose le tableau d’ensemble, et d’autres formes isolées (ici les concurrents de Speed Racer) qui s’agglomèrent avec elle pour la soutenir : “Cette forme isolée est faite comme elle l’est et pas autrement ; […] parce qu’elle est destinée à servir de matériau de construction pour cette composition. La première tâche – la composition de l’image entière – est ainsi devenue le but définitif.” (1) Au final, Speed Racer n’est rien d’autre que la mise en forme de cette théorie picturale. C’est un film de formes entremêlées, au milieu de laquelle une voiture blanche immaculée manipule tout l’environnement (voitures, circuit, couleurs) pour ne constituer qu’une image pure et affective.


L’exemple le plus probant est sans nul doute celui du Grand Prix final. La victoire est décidée d’avance, mais c’est la manière dont Speed la fait sienne qui est primordiale. La première moitié de la course est une confrontation classique, où les concurrents servent à poser le décor et créent cette tension nécessaire au développement du climax. Speed tombe en panne à mi-chemin, mais décide non plus de gagner, mais de se souvenir des conseils de son frère. Le passé s’infiltre dans l’image, lui permettant de reprendre le contrôle et d’enclencher la seconde phase de la compétition. Il n’est plus simplement question de victoire, mais d’appréhender les nouvelles images que le héros créé avec sa voiture. Le bitume se déforme, les concurrents sont soudainement de vagues lignes de fuite, et seule compte la dernière ligne droite. Celle où deux concurrents lui font face et qu’il parvient à détruire dans une explosion de lumières si intense qu’elles forment un tout à travers lequel Speed s’évade, dans un damier rouge et blanc représentatif à la fois de la ligne d’arrivée, mais aussi de l’union finale entre l’esprit de son frère et le sien. En cet instant, plus rien d’autre ne prévaut que l’émotion. C’est l’expression même des réalisateurs qui s’exprime à travers le pilotage du héros, “la main qui, par l’usage convenable de telle ou telle touche, met l’âme humaine en vibration.” (2)


Film pictural s’il en est, Speed Racer est d’autant plus important qu’il pousse dans ses retranchements l’image de cinéma. Aucun usage de la 3D (elle n’arrivera qu’un an après, avec le succès qu’on connaît), mais une déconstruction totale de l’espace tridimensionnel de l’image cinéma, jusqu’à en faire une adaptation filmique du mouvement artistique superflat, usant de nombreux aplats de couleurs qui n’offrent aucune perspective dans l’image. Le choix d’avoir tourné presque exclusivement devant des fonds verts est bien là pour permettre aux Wachowski de pousser au maximum cette idée que l’image n’est plus un espace mais une forme malléable dans laquelle les protagonistes peuvent se déplacer à leur guise. Tout semble plat, tout se superpose pour toujours permettre au film de conserver son rythme mais surtout de nous faire jubiler quand un écran de télévision à l’image devient finalement, après un subtil mouvement de caméra virtuelle, celui de cinéma à travers lequel notre œil se déplace à sa guise. Ce n’est pas juste un film majeur, mais un objet de cinéma pur et sans limites. Tout y semble possible, tant et si bien que l’effet à sa vision n’est jamais entachée après des visionnages répétés. Kandinsky, encore, résume très bien ce que Speed Racer procure comme sentiment : “[…] la discordance entre la forme et la couleur ne doit pas être considérée comme quelque chose “d’inharmonieux”, mais au contraire comme une nouvelle possibilité et donc, également, une harmonie. Le nombre des couleurs et des formes étant infini, ces combinaisons, et par là même ces effets, sont illimités. Ce matériau est inépuisable.” (3)


1 – Wassily Kandinsky, Du Spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier, Paris, eds. Denoël, 1989, p. 123


2 – Wassily Kandinsky, 1989, p.112


3 – Wassily Kandinsky, 1989, p. 117

Florian_Bodin
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le 30 janv. 2017

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