Spring Breakers s'amuse habilement de la frontière ténue entre réalité et fantasmes. Aussi bien ceux du réalisateur que ceux partagés plus largement par les spectateurs et, surtout, par la société contemporaine.
En mélangeant et imbriquant de manière confondante toutes ces représentations (cf. les ATL Twins, qui jouent quasiment le rôle du rôle qu'ils tiennent déjà IRL), le film nous invite à les questionner et à réfléchir à la manière dont réalité et fantasmes influent l'un sur l'autre. Et ça, c'est bien.

On en vient ainsi fréquemment à se demander si tel ou tel élément représenté dans le film nous paraît potentiellement plausible parce qu'il s'agit bel et bien d'un fait avéré (fusse-t-il divers / marginal) ; ou alors parce qu'il s'agit plutôt d'un cliché communément partagé et ancré dans notre imaginaire collectif (avec la petite part de vérité fondatrice que possède néanmoins tout cliché / toute exagération).
Ces jeunes amazones modernes - allumeuses à souhait, mais n'y touchant finalement pas tant que ça (à part peut-être vers la fin, dans la piscine) ; et shootées à la violence - qui paraissent finalement assez familières sur bien des points, les a-t-on rêvés via l'image anxiogène et outrancière que peuvent dépeindre certains médias de la jeunesse ? Les fantasmons-nous nous-mêmes en tant que jeunes hommes de la société contemporaine, plein(e) d'hormones ? Ou en retrouve-t-on réellement certains traits dans les jeunes ados qu'on croise de nos jours ? La réponse n'est jamais évidente.

Seule l'accumulation jusqu'à plus soif de situations et d'évènements - qui, pris à un à un, pourraient être tout à fait plausibles (les gamines délurées au syndrôme Patty Hearst, le rappeur-gangsta etc.) ; mais qui ajoutés les uns aux autres, finissent par créer une sensation de "trop plein" - est là pour nous remettre sur des rails et souligner le caractère hyper-réaliste (et non simplement réaliste) du spectacle qui s'offre à nous.

Reste malgré tout que le principal problème de ce genre d'exercice, c'est que son intérêt réside avant tout dans la manière dont il fait dialoguer entre elles les représentations dont il use (une sorte de méta-discours) - mais que prises individuellement, celles-ci sont souvent bien pauvres. La trame narrative n'est jamais qu'un simple prétexte à ce montage ; et la mise en scène tout entière doit alors porter le rythme du film et maintenir l'attention du spectateur. Et bien qu'Harmony Korine redouble d'efforts en la matière, ce n'est pas toujours évident, et parfois un peu chiant.

Si le personnage d'Alien est peut-être le moins ambigu, il n'en demeure pas moins l'un des plus intéressants. Notamment car son sort - et, en miroir, celui de son rival Big Arch - contient contre tout attente un embryon de morale.
Ainsi, Alien incarne le syndrôme typique de l'avoir sans l'être, du paraître sans l'être.
D'abord parce qu'il rêve désespérément d'être ce qu'il ne sera jamais (un black, accessoirement rappeur-gangsta) - et à défaut, essaie donc a minima d'en reproduire tous les attributs (look, habits, langage etc.).
Ensuite parce qu'il possède une myriade de "shits" (argent, armes), comme il le dit lui-même lors d'une scène hilarante ; mais qu'il ne sait pas s'en servir en définitive : il détient une montagne de fric, mais il ne sait pas vraiment quoi en faire, à part l'exposer (là où il pourrait en profiter pour rénover sa villa et sa voiture crasseuses, investir dans un bar comme Big Arch etc.) ; il accumule une multitude d'armes, mais il ne semble finalement pas si à l'aise avec celles-ci (au point de se faire tenir en joue par deux gamines, qui voient clairement sa trouille ; et d'être le premier à mourir lors de la fusillade finale !) etc. De la même manière que posséder le dernier gadget à la mode ne fera jamais de quelqu'un un geek - alors que savoir tirer la quintessence de ce gadget, en maîtriser les subtilités en le hackant, ça oui - Alien ne fait que posséder des objets, sans jamais vraiment les maîtriser ni les comprendre. "Accumulez, accumulez ; c'est la loi et les prophètes".
Big Arch, lui au contraire, marie à merveille l'être et le paraître. Il est purement et simplement ce qu'il semble être.
Mais cela ne lui permet pas de survivre pour autant.
Et à ces deux figures dépassées succèdent donc deux gamines venues prendre la relève et qui, elles, cachent finalement assez bien leur jeu. Elle sont l'être sans le paraître - et grâce à celà, survivent dans ce monde moderne. Ce sont elles, les véritables "wolves in sheep's clothing" - auxquels fait par ailleurs écho un passage de la Bible au début du film ? (à vérifier - j'ai un léger trou de mémoire).

Dès lors, il est difficile de ne pas voir ici un potentiel message du film à l'attention du spectateur, toujours articulé autour de la question des représentations : pour survivre dans ce monde moderne, soyez un loup en habit d'agneau, avancez masqué sans trop en montrer et gardez en sous le pied ; voire n'hésitez pas à utiliser à votre avantage la crédulité de ceux qui se laissent trop facilement berner par le paraître.
Alex_Dlmr
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le 26 mars 2013

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Alex Dlmr

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