Avant toute chose, préparez-vous à passer environ 30/35mn à maudire la personne qui vous a vivement conseillé ce film - aussi vivement que le début du film est ennuyeux - puis les 2 heures suivantes à vous demander comment un critique de cinéma a bien pu qualifier Stalker de film de Science-Fiction...

Mais tout vient à point, etc, et Stalker ne s'apprécie pas autrement que dans cette attente. Dans le même ordre d'idée, n'ayez pas peur de son étrangeté : elle est voulue par son réalisateur, sans aucun doute.

Je dis ça parce que les préjugés jouent contre lui : un cinéaste russe, un film tourné en plein milieu de l'époque soviétique et produit apparemment avec des moyens réduits. Le résultat pût être bavard, austère. Mais il n'en est rien.

Stalker est de ces films qui savent exploiter tous les moyens mis à disposition, et qui, par le jeu conjoint des dialogues, de la mise en scène, de la photographie et du son, parviennent à vous captiver davantage ou au moins tout autant qu'un film contemporain - pour lequel il est autrement plus aisé de savoir comment s'adresser au spectateur de l'époque, tandis que Stalker parlait, parle et parlera aussi bien pour n'importe quel spectateur de n'importe quelle époque. C'est cela même qui signe l'appartenance de Stalker à la catégorie de longs métrages que les cinéphiles appellent les "chefs d'oeuvre du 7ème art".

Avant de passer à la partie analyse (réservée à ceux qui ont vu le film), je voudrais ajouter quelques appâts pour donner envie encore davantage au plus grand nombre de sauter le pas (ce que j'ai moi-même mis très longtemps à faire).
Vous aimerez ce film si :
- la randonnée vous fascine
- vous n'arrivez pas à comprendre l'origine de la foi religieuse et sa motivation
- vous aimeriez faire un séjour dans le Finistère pour respirer l'iode et/ou boire un verre de Caol ila, tout de suite maintenant (un whisky très iodé)
- les poètes russes alcooliques cyniques et imbus de leurs conneries ne différent pas tant que ça pour vous de Jean-Pierre Léaud dans La maman et la putain : des très très beaux parleurs, malgré tout...
- le steampunk ça vous parle.
- Et... "SI ! Quand même, Tchernobyl ça COMPTE"...

Bon film !!!

ANALYSE PRELIMINAIRE DU FILM (faut que je le revoies pour aller plus loin...)

"Le scientifique, le philosophe et le croyant" : ainsi se résume en une petite phrase mon interprétation première du film. Notons tout de suite cette évidence : de par leur relative connivence, les deux premières figures s'opposent à la troisième en ce sens qu'il leur manque quelque chose pour la comprendre... Notamment dans ce final réellement poignant au cours duquel, même si vous êtes absolument athée, il vous sera difficile de ne ressentir aucune compassion pour ce pauvre homme dont les invités veulent subtiliser ce à quoi il tient le plus au monde (et qui, pour eux n'existe tout simplement pas).
En effet, Stalker parle beaucoup de foi. Le parcours narratif est d'ailleurs exemplaire à ce titre : infligeant au spectateur un traitement proche de celui que destinait Polanski au public de Rosemary's Baby, Tarkovski nous fait attendre dans l'angoisse d'un invisible mythique assez longtemps pour qu'on n'y croie plus, avant de finalement nous le donner, ce monstre qu'on n'attendait plus. Dans le creux de la vague, pour ainsi dire. Alors, la scène finale arrive et le scepticisme s'est installé au point qu'on est devenu cyniques. Ce que l'on voit, on se le demande : est-ce une manifestation miraculeuse de la grâce divine faite au stalker (passeur) et à sa progéniture, ou bien une marque de sa stupide croyance qui l'a fait tomber amoureux et séjourner auprès d'une centrale désaffectée mais toujours radioactive si souvent que sa progéniture est le résultat d'une mutation dont le seul effet "positif" visible serait l'aptitude de télékinésie???
Ce que fait Stalker dit très clairement le problème d'interprétation que pose le cinéma au spectateur, en questionnant sa foi envers l'imaginaire. Et il le fait d'une drôle de façon : cet imaginaire n'est jamais montré mais évoqué, de surcroît dans la bouche d'un homme dont la parole est douteuse - aussi douteuse que son mariage est foireux.

Il en ressort alors la chose suivante : parlant d'un Stalker, on ne peut pas dire "je l'ai vu". Cela dépend du sens qu'on était disposé à lui prêter au moment du visionnage et de ce qu'on est disposé à lui rendre comme signification au moment de passer à l'analyse, plusieurs secondes, minutes, heures, jours, semaines, mois, années, décennies plus tard.

Mais ce n'est pas tout. Quand on a affaire à un réalisateur aussi mystique que Tarkovski, l'objet "miracle" peut revêtir des formes inattendues. La radioactivité, alors, pourrait très bien en être un, et il en possède d'ailleurs les attributs prépondérants : elle est invisible et quasi indicible tant sa nature est éloignée de notre conception ordinaire du réel - tel qu'il nous apparaît. Il est tout à fait fascinant que Tarkovski ait choisi le cinéma, divertissement forain spécialisé dans l'éloquence de l'ordinaire ou de l'extraordinaire (en mettant à part les films d'auteurs, les chefs d'oeuvre), pour évoquer le miracle, miracle qui, pour un croyant, ne se montre justement jamais avec éloquence, et jamais ne se regarde mais se voit, pour qui a la foi.


Addendum

Retour en Avalon ?

Stalker partage quelques points communs avec Avalon. Je pense d'ailleurs qu'Oshii y pensait quand il a fait le film. En effet, son Bishop ressemble trait pour trait au Stalker (avec ce double point commun de la foi et de passeur), et il y a encore cette notion de zone "spéciale" où la couleur est présente contrairement au monde quotidien des personnages. Hummm.... C'est à peu près tout.
Jonathan_Suissa
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le 23 mai 2014

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Jonathan_Suissa

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