Un film prometteur d'un réalisateur inconnu

L'un des premiers longs-métrages de Steven Spielberg, grâce auquel il repartira de Cannes en 1974 avec le prix du meilleur scénario, Sugarland Express révèle aux yeux du public un jeune réalisateur plein de promesses, subversif et critique à l'image du Nouvel Hollywood qu'il représente avec entre autres Scorcese, Altman, Cimino ou encore Hopper.


Accompagné d'une belle équipe inspirée pour l'occasion (Hal Barwood et Matthew Robbins co-signent avec lui le scénario), le cinéaste alors inconnu met en scène avec un regard acerbe dans un étincelant road-movie l'Amérique profonde et ses travers. Car le protagoniste est, avant le couple de parents à la recherche de leur fils dont l'assistance publique leur a retiré la garde, avant ce policier courageux qui forme avec eux un trio improbable dans leur folle aventure, les États-Unis qui nous sont dévoilés sans artifices, loin des clichés et autres cartes postales, démystifiant le rêve que l'on veut nous vendre. Au long de ce voyage à travers les routes poussiéreuses du Texas le spectateur sera donc plongé en immersion parmi une culture complexe, à la fois inquiétante, donnant à tout le monde le droit de posséder une arme, de tuer et d'incarner la Justice et attachante, défendant son idéal de liberté à n'importe quel prix, à la fois égoïste, tous voulant occuper le premier rôle, être le citoyen modèle et le héros mais aussi solidaire, soutenant ceux qui luttent pour les mêmes valeurs.


Grâce à d'intelligentes ellipses coupant les passages inutiles à la compréhension, grâce à des rebondissements imprévus et à l'introduction de personnages secondaires, le film garde un rythme soutenu, sans jamais laisser l'intrigue s'essouffler, mais la laissant respirer aux bons moments, comme avant la magistrale arrivée à Sugarland, certainement la scène la plus réussie du film. Dignes du plus grand chef d’État, le cortège qui escortera les deux fugitifs et la liesse générale à laquelle ils auront droit en traversant la ville révèlent la folie passagère qu'a suscitée ce fait divers et mettent en lumière le grotesque de la société américaine filmé en contre-plongée.


Cherchant déjà à séduire le grand public, bien que l'ironie, la critique de la société et la réflexion y soient beaucoup plus présentes qu'ailleurs, Spielberg montre les prémices du style qui marquera ses prochains longs-métrages, comme la couleur rouge, omniprésente ici, suggérant déjà la violence des mœurs et que l'on retrouvera dans Les dents de la mer, la primauté de l'action et du spectaculaire (autant citer toute sa filmographie), ou encore le recours à une progression spatiale des personnages en même temps que diégétique (Indiana Jones, Il faut sauver le soldat Ryan, Arrête-moi si tu peux, ...).


De ce film demeure le regret d'avoir perdu un cinéaste dont l'indépendance d'esprit aura été supplantée par l'attrait du gain et la volonté de plaire à tous.

Marlon_B
8
Écrit par

Créée

le 15 nov. 2016

Critique lue 260 fois

Marlon_B

Écrit par

Critique lue 260 fois

D'autres avis sur Sugarland Express

Sugarland Express
Gand-Alf
9

Crazy Mama.

Dans la filmographie de Steven Spielberg, nous avons souvent tendance à placer son téléfilm Duel en tant que premier film d'une longue série, sous prétexte que ce dernier a connu ensuite une...

le 15 juil. 2015

31 j'aime

1

Sugarland Express
Ugly
7

Road movie virtuose

Après le fracassant suspense de Duel en 1971, Steven Spielberg est promu nouveau prodige du Nouvel Hollywood, et se lance dans ce thriller spectaculaire qui est parfois considéré comme son premier...

Par

le 29 mai 2017

22 j'aime

4

Sugarland Express
Mr_Jones
6

Chicken Run

Premier film de Spielberg à connaitre une sortie en salle, "Sugarland Express" dépeint un fait divers survenu en mai 1969 au Texas. Une jeune femme tout juste sortie de prison décide de faire évader...

le 23 nov. 2011

16 j'aime

5

Du même critique

Call Me by Your Name
Marlon_B
5

Statue grecque bipède

Reconnaissons d'abord le mérite de Luca Guadagnino qui réussit à créer une ambiance - ce qui n'est pas aussi aisé qu'il ne le paraît - faite de nonchalance estivale, de moiteur sensuelle des corps et...

le 17 janv. 2018

30 j'aime

1

Lady Bird
Marlon_B
5

Girly, cheesy mais indie

Comédie romantique de ciné indé, au ton décalé, assez girly, un peu cheesy, pour grands enfants plutôt que pour adultes, bien américaine, séduisante grâce à ses acteurs (Saoirse Ronan est très...

le 17 janv. 2018

26 j'aime

2

Vitalina Varela
Marlon_B
4

Expérimental

Pedro Costa soulève l'éternel débat artistique opposant les précurseurs de la forme pure, esthètes radicaux comme purent l'être à titre d'exemple Mallarmé en poésie, Mondrian en peinture, Schönberg...

le 25 mars 2020

11 j'aime

11