Cape ou pas cap' de vivre

Comme le titre d’un poème écrit par Paul Eluard La nuit n’est jamais complète, les personnages du long-métrage Supa Modo sont plongés en clair-obscur. La lumière du projecteur et sa réverbération sur le mur sont des lueurs d’espoir, pour ces enfants internés à l’hôpital. Le cinéma comme métaphore d’une lumière au bout du tunnel.

Supa Modo est le premier long-métrage du cinéaste kenyan Likarion Wainaina, réalisé en 2018, qui met en scène Jo, une petite fille de neuf ans fan de super-héros. Bonnet vissée sur la tête pour cacher son crâne chauve, Jo répond au super pouvoir qu’elle souhaiterait disposer : « Tu serais super forte? » « Non.“ « Une as du combat? » « Ce n’est pas un super pouvoir. » « Alors quoi? » « Comme toujours, je pourrais voler. » Voler de ses propres ailes, malgré la maladie incurable diagnostiquée en phase terminale. Sa mère très protectrice décide de la ramener à son village natal où elle vivra en sa compagnie ainsi qu’avec sa grande sœur rebelle Mwix pour y vivre ses derniers mois.

Là, à Maweni, dans ce village kenyan se déploie le monde chargé d’héroïsme de Jo. Aux murs de sa chambre, des affiches de Bruce Lee, de Man of Steel et de nombreux autres super-héros. Accompagnée partout où elle va par sa poupée Supa Modo qui est l’incarnation de son désir irrépressible de rêver et donc de vivre, Jo tente, tant bien que mal, de devenir à son tour une super-héroïne. Dans cette odyssée surprenante filmée toujours à hauteur d’enfant, c’est sa grande sœur Mwix qui décide de mettre en œuvre, avec la complicité de tout le village, un grand théâtre à ciel ouvert afin d’offrir à Jo l’illusion d’avoir de vrais super pouvoirs. Basculant le spectateur dans un autre espace-temps, où la nature se fait plus fertile, la végétation plus verte et le rythme plus lent, le film fait le pari de berner le spectateur en même temps que son personnage principal. A-t-elle crevé le ballon des enfants qui se moquaient d’elle ? A-t-elle percé le sac de sa mère qui risquait de la surprendre en évasion ? Télékinésie ou hasards de la vie ? Puis, les ficelles du tour de magie se révèlent, comme celle tirant la salière sur la table de la cuisine. Tantôt vulnérable, tantôt puissante, Jo n’est pas pour autant dupe. Elle ne voulait simplement pas être la fille malade.

Alors, pour continuer à ne pas l’être et avec l’accord des représentants et porte-parole du village, sa mère Kathryn reçoit le soutien, la participation et le financement du tournage d’un film de super-héros dont l’actrice principale n’est autre que Jo. Son rêve prend vie : devant la caméra elle se transforme en Supa Modo. Construit sur plusieurs mises en abîme, Supa Modo offre un film dans le film en même temps qu’il resitue le cinéma africain dans le cinéma mondial, à égalité du grand cinéma Hollywoodien qu’il n’hésite pas à moquer à coups de répliques lancées par le réalisateur Mike « Amateurs ! ». Bien que l’atmosphère s’allège sur le tournage, Jo tombera et ne se relèvera plus. « Les super-héros ne meurent pas » dit-elle au début du film. Pourtant, les deux films se poursuivent suite au drame.

Le super-héros serait l’équivalent de ce qu’écrit Pierre Bourgeade dans son roman Warum : « Certaines histoires ont quelque chose du cancer, une fois commencées, rien ne peut les arrêter. »

Pour lire ma critique imagée : https://lestylodetoto.wordpress.com/2021/04/19/supa-modo-cap-ou-pas-cape-de-vivre/