(Avant-propos: Je vais avoir besoin de spoiler ici, raconter clairement l'histoire pour bien argumenter mon propos, donc si vous n'avez pas vu le film, arrêtez votre lecture et filez le voir tout de suite, vous ne serez pas déçus ! Et si vous l'avez vu, bah.. bonjour à vous, ça va bien ?!)


Le re-visionnage est une étape importante dans le rapport entre le spectateur et un film. Selon le contexte, la période ou le recul que l'on a depuis le premier visionnage, notre appréciation peut changer, évoluer, aussi bien positivement que négativement. Il arrive souvent qu'un film soit aussi bon (ou mauvais) que dans nos souvenirs, mais parfois, le second visionnage peut tout changer. C'est ce qu'il m'est arrivé ici avec Sympathy for Mister Vengeance... je n'étais pas prêt, j'avais tout oublié, avec le temps tout semblait plus acceptable et moins difficile à encaisser: une claque monumentale, voilà ce qu'est ce film. Il est violent, absolument impitoyable et ne laisse rien au hasard, ou plutôt rien à la chance mais tout à la fatalité.


Sympathy for Mister Vengeance est cruel et ce dès ses premiers instants en choisissant comme protagoniste un homme déjà malmené par la vie elle-même, véritable paria de la société, handicapé sourd-muet. Non content de lui avoir déjà ôté deux de ses sens, ce dernier se tue au travail pour réunir de l'argent afin d'aider à son tour sa sœur, qui avait elle aussi cravaché pour lui par le passé, atteinte d'une maladie grave en attente d'une greffe. Licencié et donc dans l'incapacité de réunir suffisamment d'argent, guidé par une copine extrémiste aux idées douteuses mais "idéalement" efficaces, Ryu, après avoir tenté sans succès de vendre un de ses propres reins (qui lui a tout de même été retiré, faut pas déconner !), va kidnapper celle qu'il pense être la fille de son ex riche patron pour le faire chanter. Sauf qu'ici encore le sort s'acharne, et c'est la fille du pauvre chauffeur qu'il attrape. A ce stade, on imagine mal comment cela peut-être pire, même en connaissant le goût des coréens pour le drame noir on se doute bien que tout ne va pas se passer comme prévu, mais on est encore loin du compte...


Sympathy for Mister Vengeance est cruel, car il ne nous laisse jamais croire que ce stratagème va marcher. Mentant à sa sœur, il prétexte que la petite n'est que la fille de son patron qu'il doit garder quelques jours, un moyen honnête et honorable de récupérer de l'argent pour elle, celle qui compte sur lui, pour lui. Sauf qu'elle le découvre, et horrifiée à l'idée d'être la cause indirecte de cet acte impardonnable, met fin à ses jours. Revenant satisfait de la réussite de son plan récupérer l'enfant pour la rendre à son père et voir sa sœur, il découvre le corps sans vie de celle-ci, et là tout dérape. Jusqu'à présent, le film nous proposait une histoire qui malgré les difficultés de la vie, les expériences malchanceuses qui se répètent, laissait encore entrevoir une lueur d'espoir, une infime chance que cela fonctionne, mais non. Juste non, pas ici, pas dans ce monde pourri.


On connaît tous la célèbre citation: "La haine engendre la haine, la violence engendre la violence.", ce film en est le parfait exemple. Tous les personnages principaux vont alors tenter de se venger et... réussir, mais toujours avec un prix, et le prix fort. Qu'importe qu'ils y laissent ou non leur peau, la solution la plus efficace reste le meurtre: la vengeance ultime. Et c'est là qu'est la plus grande cruauté du film, la seule chose qui fonctionne comme prévu dans ce film, la seule et unique chose, c'est la vengeance.


Sauver sa sœur ? Raté. Sachant que tout est perdu, rendre la fille à son père et essayer de surmonter l'épreuve ? Vous avez vu le film si vous êtes là normalement, on peut aisément dire qu'ici aussi c'est un échec plutôt cuisant...


Mais, au delà même du fait que seul le Mal triomphe à chaque fois, c'est jusque dans les détails que le film est impitoyable et sadique. Certains m'ont particulièrement marqué et avaient surement déjà du le faire lors de mon premier visionnage, mais je souhaite revenir dessus ici aujourd'hui. Je pense dans un premier temps à un détail qui n'en est pas forcément un car à l'origine des péripéties du film, mais l'incompatibilité sanguine entre Ryu et sa sœur, l'empêchant d'être donneur pour la-dite greffe; mais aussi aux voisins bruyants qui se masturbent en entendant les cris d'une femme faisant l'amour dans la pièce à coté... étant en réalité des cris de douleurs d'une femme malade qui ne trouve pas le sommeil; ou encore l'horreur lorsqu'on réalise le traitement qui attend les pauvres gens abusés par les voleurs d'organes et le lien familial entre la vieille, cerveau de l'organisation observant la scène, et le boucher... Même dans certaines scènes symboliquement fortes se cachent des détails macabres, comme lorsque le père revoit sa fille alors que cette dernière était sur une table de médecin légiste quelques heures plus tôt, venue lui dire au revoir non pas rayonnante de vie, mais humide et marquée par sa noyade... Étonnamment, on en vient presque à sourire par moment face à certaines scènes (le bâillement du père lorsqu'il assiste à une deuxième séance d'autopsie, comme pour signifier la nouvelle banalité de cette scène et son détachement, n'ayant plus rien à perdre, par exemple), partagé entre un "réel pseudo-amusement" et un besoin nerveux de souffler un coup. Des petites touches d'humour noir subtiles qui font mouches, énième témoignage de la grande qualité de l'oeuvre que l'on a sous les yeux.


L'expérience est tellement cruelle qu'elle en devient magnifique. On ne se sent pas bien devant le film, on ne passe pas un "agréable moment", mais on est bouleversés, retournés, malmenés: et c'est aussi ça le cinéma. Park Chan-Wook démontre ici avec ce film que toutes les éloges concernant la perfection et la maîtrise de son travail sont fondées. Une mise en scène absolument incroyable sublimée par un choix esthétique très marqué aux rouges et verts exacerbés, lumières surexposées ou plans bien trop sombres, musiques et bruitages présents uniquement quand il le faut; rien n'est laissé au hasard, tout est dosé méticuleusement. Du génie ni plus ni moins. Certains plans ou scènes sont particulièrement réussis, on pense bien entendu immédiatement à la scène de la rivière et ses changements de points de vue, qui offrent des dimensions et sentiments ressentis pour une même scène à chaque fois différents. Les plans sublimes de lieux et scènes de vies à priori anodins semblent ici irréels, toujours grâce à ces jeux de couleurs. Et puis on ne lésine pas sur les différences d'échelles, là aussi ouvrant diverses lectures. Beaucoup de plans sont filmés avec un très grand angle, donnant un sentiment de distance et traduisant une volonté de se détacher de ce qu'il s'y déroule, mais également de nous rappeler que nous n'avons aucun moyen d'empêcher ce qui se passe sous nos yeux. C'est d'ailleurs un procédé qui est utilisé au sein d'une même scène de quelques secondes seulement, lorsque Ryu rencontre les voleurs d'organes la première fois, avec cet escalier qui s'éloigne et le champ de vue qui se retrouve écrasé, réduisant petit à petit les détails pour ne laisser vivre que les ombres.


Une oeuvre coup de poing qui m'a littéralement mis KO en la redécouvrant. C'est sur les gémissements de douleur d'un homme à l'article de la mort, tué bien qu'ayant pourtant déjà tout perdu et plus rien à perdre, que s'achève Sympathy for Mister Vengeance. Ces bruits insupportables se prolongent jusqu'à la fin du générique, comme pour nous graver toutes ses horreurs au fer rouge dans la mémoire. Cette fois c'est sûr, je n'oublierai pas à quel point ce film est incroyable et unique, c'est une certitude.

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le 6 janv. 2017

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Psycox

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