Trouble, puissant, pertinent, important

Quarante ans après sa sortie, il me serait bien impossible de contredire le fait que ce sixième film de Scorsese ait toujours autant d'échos dans le monde qui est le notre aujourd'hui. Et c'est peut être ça qui fait de Taxi Driver, un "film culte", qui a su capter et retranscrire des émotions universelles telles que la solitude, le tiraillement, la dépression..


Pour commencer, il est nécessaire, me semble-t-il, de contextualiser: Taxi Driver sort en 1976, soit à la toute fin de la terrible Guerre du Vietnam qui marqua très profondément les esprits américains. C'est la veine mélancolique post-Vietnam. Les Américains sont très affectés par cette guerre profondément violente qu'ils n'ont su gagner, ce qui provoque une longue déprime et une perte de confiance très importante. Cette perte de repère entraîne la montée d'un puissant nihilisme qui marqua le cinéma américain à la fin de ces années 1970, et qui marqua plus particulièrement ce Taxi Driver.
En effet, le traumatisme du post-Vietnam est omniprésent dans le film. La perte de repère, et de confiance d'après-guerre provoque chez les Américains la recherche d'un ennemi non plus extérieur, mais à l'intérieur même de sa société, à l'image de Travis qui cherche à débarrasser les rues de New-York de toute sa crasse.


Dès les premières secondes, on comprend que Taxi Driver est un bijou de mise en scène, plantant le décor sale et gangrené dans lequel le héros va évoluer, faisant très souvent référence à ce fameux Vietnam.
Le film s'ouvre sur un amas de fumée, non sans rappeler les brouillards des forêts du Vietnam. De cette fumée sort un taxi, sans que l'on puisse voir son chauffeur. La machine est donc mise en avant, aux dépens de son "taxi driver", de façon monstrueuse, la caméra donnant l'impression que ce taxi est démesurément grand.
S'en suit un plan sur le regard d'un homme, qui se révélera être le personnage principal. Cet homme semble alors observer la ville face à lui, et plusieurs couleurs viennent éclairer son visage: D'abord, le rouge, couleur de violence, de sang, du feu, du danger. En suite, le blanc, symbole de pureté, de paix, d’innocence. Enfin, le bleu, qui symbolise en même temps l'infini, le divin, la spiritualité, mais aussi la tristesse, la mélancolie, et la dépression. Ce simple plan nous présente déjà l'état dans lequel se trouve le héros: Un homme seul, dépressif, empreint d'une violence qu'il ramène du Vietnam, et cherchant à retrouver la paix, à dormir à nouveau.


Le film se poursuit sur de plans de la ville de New-York. Là encore, rien n'est laissé au hasard: les plans sont flous, les couleurs bavent, il fait nuit, il pleut. On voit alors au travers des yeux que l'on avait juste avant face à nous, ceux du personnage principal. La ville est presque irréelle, mouillée, visqueuse, sale. On ne voit que la route et des bâtiments, ainsi que de nombreux passants, qui grouillent. Le plan suivant nous remontre les yeux de Travis, éclairé de rouge. On comprend très vite que le personnage voit d'un mauvais œil la ville dans laquelle il va évoluer.


Voilà. En seulement quelques plans, Scorsese présente son personnage de manière brillante. On comprend que l'on va suivre un homme perdu (symbolisme du brouillard dans lequel il se trouve), conduisant un taxi la nuit dans une ville qu'il méprise. C'est un homme, perdu dans la nuit, ayant du mal à trouver sa place dans la jungle urbaine (nouvelle référence au Vietnam) qui l'entoure.


Le plan suivant, Travis rentre dans un bureau pour trouver un travail. Il est alors habillé d'une veste de l'armée, qui prouve qu'il ne se dissocie pas de son statut militaire. Lorsqu'il rentre dans le bureau, la fumée le suit encore: Travis traîne un passé difficile, qui le suit malgré lui. Lors de l'entretien, on apprend qu'il ne dort pas la nuit, à cause certainement de ce passé qu'il traîne, et d'une conscience tiraillée. Plus tard dans l'entretient, Travis précise que son dossier conducteur est "clair et net, comme sa conscience". Le fait de la préciser prouve évidemment tout l'inverse. Scorsese nous laisse tout les indices pour comprendre que son personnage et tout sauf "clair et net".
Par la suite, Travis et son futur patron évoquent ensemble les faits d'armes du héros, qui fut dans les marines lors de la guerre du Vietnam. On voit alors très clairement le visage de Travis se durcir, le tout renforcé par un traveling avant, ce qui nous révèle en grande partie les raisons de ses insomnies, et prouve définitivement que sa conscience n'est pas "claire et nette".


Cinq minutes, et je me sens transporté dans un film qui, je le sens déjà, va me coller une bonne gifle comme je les aime.


Et le reste du film ne sera pas décevant. On ne saura pas ce que Travis veut réellement obtenir. Retrouver le sommeil, oui, mais par quels moyens ? Son problème, c'est qu'il est gonflé de violence, de haine, qu'il ramène certainement du Vietnam, et qu'à cause de ça, il répond à des pulsions. Et le film ne va suivre que les pulsions de son personnage: D'abord il veut Betsy, mais s'y prend mal, puis son désir va se déplacer et il tombe sur Iris. Même chose lorsqu'il planifie de tuer quelqu'un. Sa pulsion le mène d'abord vers Palantine. Il le dit lui même, il se fout de la politique, mais il veut répondre à cette pulsion. Mais après l'échec de sa tentative, sa pulsion se déplace, une nouvelle fois, sur quelqu'un d'autre, car elle ne répond à aucune motivation particulière. Son but est juste de trouver un objet sur lequel dépenser la violence qu'il a en lui.
Et de ce fait, tout ce que l'on voit est faux. On est juste pris dans la paranoïa et la folie du personnage, qui fantasme ses relations, et voit une ville affreuse, sale, remplie de malfrats et de prostitués.


Et donc, au final ? Au final, la violence éclate, Travis libère sa colère. Tout éclate, mais pour rien. C'est donc une fin totalement inutile. Le film part de rien, et n'arrive à rien: Travis ne va pas mieux, la ville est toujours aussi sale, toujours autant remplie de malfrats. Travis n'aura été qu'un héros de quelques temps, de quelques secondes, pour avoir sauvé une jeune prostituée, mais il sera très vite oublié.
Ce qui guide le film, c'est simplement la pulsion paranoïaque de Travis, et c'est tout. Il est d'ailleurs assez marrant de noter que ces pulsions, qui le mènent vers le statut de héros éphémère pour avoir tué des malfrats, sont aussi celles qui ont failli le mener à l'assassinat de Palantine, ce qui l'aurait alors transformé en paria, en assassin, en ennemi. Comme quoi, entre héros et ennemi, il n'y a parfois qu'un pas. Une problématique qui fait là encore évidemment écho dans l'Amérique post-Vietnam.


C'est donc un film sur l'inutilité, ce qui en fait un film formidable. C'est une claque, une douce violence. Taxi Driver c'est le genre de film qui laisse des traces, indélébiles, un écho de saxophone dans les oreilles, le souvenir de la chair de poule sur les bras..
J'aurai pu parler du reste: de la musique, de la photo, des débuts de la jeune Jodie Foster, du reste des performances des autres acteurs..


Mais ça suffira. Merci Martin, merci Robert, merci le cinéma. En résumé, Taxi Driver est un nouveau choc dans ma vie de cinéphile. Est-ce parce que l'insomnie qui me ronge m'a poussé à visionner un film sur un insomniaque ? Peu importe finalement.


Au final, parfait ou imparfait ? Rien à foutre, je mets 10.

Créée

le 30 août 2017

Critique lue 292 fois

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