Paradise Now : tentative d'exégèse d'Avatar, premier pavé

Plan général :
http://www.senscritique.com/liste/Paradise_Now_tentative_d_exegese_d_Avatar/1136959



Avant-propos : une exégèse brinquebalante et excessive



« Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage ». C’est dans cet esprit que l’article suivant, potentiel « slasher analysis » dans sa capacité à « terminer » un à un ses éventuels et masochistes lecteurs, a été produit. Et c’est dans cet esprit là aussi, avec en renfort moult cafés dans le gosier et nombre d’aspirines à portée, qu’il vaudrait mieux le lire, ou bien s’abstenir.
Car si pour le Rat dans la fable, tenter de détricoter le piège dans lequel cet imbécile de Lion s’est fourré est une entreprise périlleuse, essayer de tirer quelques fils interprétatifs d’un objet qui transpire à ce point la substance mythologique n’est pas non plus dénué de risques. Un geste brusque et c’est toute la pelote des Nornes qui vient avec.


C’est pourquoi, autant l’annoncer d’emblée, après avoir défoncé nombre de portes ouvertes et payer son tribut à autant de références, le présent texte se vautre allègrement dans ce qui peut être qualifié de surinterprétation. Et comme à plusieurs la fête est plus folle, sont aussi convoquées d’autres œuvres avec lesquels Avatar semble nouer des liens. Ces derniers ne devant pas être envisagés comme des excuses consistant à dire « vous voyez, Avatar dialogue avec tel chef d’œuvre unanimement reconnu, c’en est donc un lui-aussi », mais plutôt à « traduire » dans la « langue » d’autres films certains aspects propres à celui de James Cameron. Autant dire qu’avec toutes ces circonvolutions, l’exégèse pourra sembler tirée par les cheveux, et son fil d’Ariane distendu, perdant régulièrement son sujet de vue, ou lui faisant dire des choses saugrenues.


Mais le fait est qu’Avatar n’est pas ici envisagé comme le seul produit de la conscience de James Cameron qui, on le sait, travaille d’abord avec ses rêves et ses tripes - et quelles tripes ! -, mais comme un cas typique d’œuvre dépassant son créateur (même si l’on a un peu trop tendance à sous-estimer celui-ci). Un film prométhéen donc, le genre qui, comme a pu le dire un grand philosophe du nom de George Miller, vient « taper dans l’inconscient collectif ». Et qui dit inconscient collectif dit Carl Gustav Jung, à l’origine de la formule. Le Monsieur n’est pas aussi célèbre que celui qui lui a toujours fait de l’ombre (un certain Sigmund Freud) mais sont apport à l’étude des mythes et ce qui est à leur origine, les tréfonds labyrinthiques de l’âme humaine, est capital. Joseph Campbell lui en doit une ou deux, voire mille…. Raisons pour lesquelles certains concepts théorisés par ses deux mythologues (le premier plus que le second), parce qu’ils paraissent de précieuses clés de lecture du cinéma cameronien, sont ici mis à contribution, histoire d’ajouter encore à la confusion.


Et tant qu’on y est, il me faut ici signaler que le but de ce qui suit n’est pas de déclarer la guerre à qui que ce soit, ni d’étaler une quelconque science ou de prétendre avoir « tout trouvé à moi tout seul et rien que moi, moi, moi », mais bien d’essayer de souligner la grande richesse d’un film parfois injustement méprisé. Aussi, certaines idées, certains éléments d’analyses issus d’autres commentateurs précieux à mes yeux sont aussi (explicitement) convoqués, et quelques fois prolongés. Le résultat final s’apparentant à un embouteillage au croisement de lignes, pour certaines digérées, pour les autres personnelles.


Alors voilà, soyez témoin de ces aveux et ne prenez pas la chose trop au sérieux (même si elle en à tous les airs) car la seule qui le mérite vraiment, c’est le film, bon sang !



Introduction : une question de regard



Petit succédané de commentaires généralement suscités par le film : « Avatar est une pompe à fric ». « Avatar est une invitation au rêve ». « Avatar est simplet et manichéen ». « Avatar n’a pas vocation à être intello ». « Avatar est le produit d’un impérialisme culturel revêtant les traits d’une mauvaise pub new age ». « Avatar dénonce l’impérialisme américain et appelle à sauver la planète ». « Avatar, c’est les schtroumfs croisés avec Pocahontas ». « Avatar, c’est un requiem en mémoire des Indiens massacrés ». « Avatar, c’est une énième version du mythe du bon sauvage au moyen duquel Uncle Sam apaise hypocritement sa conscience coupable ». « Avatar, c’est formidable ! ». « Avatar, ça pue le numérique et ça a lancé cette arnaque qu’est la 3D ! ». « Avatar, c’est une révolution technologique ! ». « Avatar, c’est niais ! ». « Avatar est le plus grand film de l’histoire !! ». « Avatar, c’est laid à en pleurer !!! ». « Avatar, c’est beau à en chialer !!!!!! ». « Ce rêve bleu, je n’y crois pas c’est trop mielleux ! ». « Grrrrrrr !!!!!!! », etc., etc.


Comme toute grande œuvre populaire et à l’instar de nombre de films de son auteur, Avatar divise et polarise, c’est le moins qu’on puisse dire. Objet de querelles byzantines, il en vient à cristalliser un conflit probablement aussi vieux que l’art et prenant corps aussi bien entre chaque individu que dans l’esprit d’un seul. Ce conflit, cette dualité, c’est l’éternelle opposition entre le populaire et « l’élitiste », entre Schwarzy et Tarkovski, entre Star Wars et 2001 : l’odyssée de l’espace, entre le cinéma pensé comme industrie et le cinéma voulu en tant qu’art. Un shiisme ici particulièrement dommageable puisqu’Hollywood a toujours fait feu de tout bois et qu’Avatar, particulièrement, dépasse ce conflit pour se révéler autant œuvre d’art sculptée dans le bois de la contre-culture que produit industriel forgé dans les flammes du big business. On appelle ça le paradoxe James Cameron, plutôt rare en son genre.


Autre tendance très actuelle et dont la réception d’Avatar semble quelque peu faire les frais : la baisse de « croyance » en la magie du cinéma qui semble caractériser une époque où l’on est de plus en plus averti mais aussi de moins en moins prompt à l’émerveillement. Comme si l’ultime Frontière de la suspension d’incrédulité c’était vue rabotée par quelques petits dictateurs tête dans le guidon ne voyant pas plus loin que le bout de leur horizon. Au crédit de cette attitude, il faut reconnaître que le film de James Cameron est probablement celui de son auteur qui brouille le plus les pistes quant à son ton (« tout gentil » en surface et très sombre en profondeur) et qu’il demande par conséquent un plus grand saut de la foi, pour passer au-delà des apparences.


Seulement voilà : à l’ère post-dark knight du « blockbuster intelligeant », étrange formule sous-tendue par l’idée malheureusement encore assez répandue aujourd’hui qu’un blockbuster est par essence idiot, il semble que pour faire un film digne de ce nom, il faudrait que celui-ci, ou plutôt son histoire (quasi seule prise en compte), soit parfaitement « complexe », « logique » et - quels beaux trompes l’œil - « originale » et « réaliste ». C’est le prima du scénario tarabiscoté, du psychologisme surexprimé, des dialogues qui crient sur tous les toits leur intelligence sur-célébrée et toutes ces importations des séries télés. Le reste, à moins que l’autodérision ne soit dégainée (cas Marvel) ou qu’une madeleine de Proust ne soit mise sur la table (cas Le Réveil de la Force), étant souvent taxé de « simpliste », « invraisemblable », « cliché » et « irréaliste ».


Christopher Nolan lui-même, pourtant en partie à l’origine de cette surcote du « réalisme », semble (volontairement ou non) remettre en cause cette façon de penser dans ses dernières œuvres : celles où il bazarde en fin de parcours son « diktat » du tout logique et force le verrou de ses scénarios à donner la sortie qu’ils méritent à ses héros (quitte à voir sa fan base se retourner contre lui). Mais le « message » (s’il existe) passe mal. Et le cynisme ambiant emporte tout, jusqu’à voir la presse (et une partie du public) suivre aveuglément la mise à l’index in utero de John Carter et tirer la chasse sur Brad Bird (ce qui sanctionne ironiquement la « thèse » qu’il développe dans Tomorrowland). Comme si, à force de vivre dans un monde désespérant ou l’horreur est à portée de clic, on en venait, en bon zombie, à trouver ça normal, à se lover dans ce pessimisme devenu confortable et presque « glamour » et à en redemander dans la fiction, sans quoi celle-ci paraîtrait naïve et donc suspecte.


Sauf que la mimesis parfaite, outre le fait qu’elle n’est pas une fin en soit, n’est pas la seule et unique façon de faire du cinéma et de porter un regard sur le monde. Comment serait aujourd’hui accueilli, si on le découvrait pour la première fois en salle, un film aussi respecté que La Vie est belle ? Peut-être que, comme à sa sortie et de même que pour Avatar, on se cantonnerait à ses airs candides, en les moquant. Ou pire : en y voyant nécessairement quelque chose de malhonnête sans vouloir entendre que l’un des intérêts du film réside dans le « choc thermique » entre son utopie d’Amérique, celle que Capra rêverait de voir se réaliser et que l’on est en droit d’aimer, et sa version dystopique, dont le spectateur est sensé regretter qu’elle soit plus proche de sa réalité, sans pour autant verser dans la leçon de morale.


Parfois, s’éloigner du réel, c’est aussi mieux s’en rapprocher. C’est tout le principe du mythe et de la pensée symbolique. Mais pour cela encore faut-il accepter, le temps d’un film-rêve bien conscient de sa condition, le pacte que propose le cinéaste. Et croire qu’il puisse, sait-on jamais, ne pas être ce « vilain yes man » uniquement motivé par un gros cachet et servilement aux bottes d’un système de production dont on ferait semblant de découvrir qu’il vise le profit maximal. Pour le dire autrement : peut-être faut-il donner sa chance à Avatar, ouvrir ses écoutilles sensorielles à ses différents niveaux de lecture et ne pas jeter le bébé na’vis avec l’eau de son bain hollywoodien aux seuls prétextes qu’il vise l’universel ou que sa campagne promotionnelle fût agressive.


La suite :
http://www.senscritique.com/film/Aliens_Le_Retour/critique/43605835

Toshiro
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs films de James Cameron et Paradise Now : tentative d'exégèse d'Avatar

Créée

le 28 déc. 2015

Critique lue 827 fois

7 j'aime

2 commentaires

Toshiro

Écrit par

Critique lue 827 fois

7
2

D'autres avis sur Terminator

Terminator
drélium
9

Search mode

Non, je ne l'ai pas revu. Défendre Terminator... Défendre Terminator 3, je veux bien, là y a du challenge, mais The Terminator, rien que le titre, c'est la moitié de la planète qui s'incline...

le 23 août 2012

97 j'aime

40

Terminator
Gothic
8

Classe of 1984

The Terminator, c'est un film de genre noir thriller science-fiction action romance. The Terminator, c'est un deuxième long de Cameron écrit avec sa future femme. The Terminator, c'est une oeuvre...

le 3 févr. 2016

81 j'aime

20

Terminator
Torpenn
5

Le futur au conditionnel

Commençons par expliquer un peu le phénomène; d'abord, il y a un film de S-F à petit budget, une série B qui s'assume mais essaie de présenter aussi un petit quelque chose en plus, quelques...

le 22 août 2012

74 j'aime

43

Du même critique

Mad Max - Fury Road
Toshiro
10

Shebam! Pow! Blop! Wizz! KABOOOUUUM!!!!!!!

C’est quoi le cinéma ? A cette question certains répondent : le cinéma, c’est avant tout le texte. On reconnaît bien là les « théâtreux », les adeptes de la hiérarchie des formes d’art, ceux qui...

le 31 mai 2015

51 j'aime

25

Alexandre
Toshiro
8

Les statues de marbre se souviennent-elles des hommes antiques ?

Si Alexandre Le Grand est reconnu dans le monde entier pour avoir été l’un des plus grands conquérants de l’histoire, il fascine aussi pour le mystère qui l’entoure ; un mystère qui tient beaucoup à...

le 15 mars 2015

43 j'aime

14

Batman v Superman : L'Aube de la Justice
Toshiro
7

Le météore et la nuit

DANGER : zone radioactive pour les allergiques au spoiler. Et pire encore : je mords aussi. Rorschach’s journal. 2016, Easter day : Un ex prof de philo du MIT a un jour posé cette question : «...

le 30 mars 2016

38 j'aime

21