Paradise Now : tentative d'exégèse d'Avatar, quatrième pavé

Plan général :
http://www.senscritique.com/liste/Paradise_Now_tentative_d_exegese_d_Avatar/1136959



Niveau - 2 : Guns & Na’vis or : How I learn to close the loop of Humankind and stop worrying about Time



- 2.1. Judgment Day for stupid fucking white men !


Les Na’vis vivent sous le régime temporel du mythe, par définition anhistorique. Aussi, l’enferrer dans le cadran d’une montre n’est pas chose aisée. Mais les humains essayent tout de même, sait-on jamais ? Et des guerres indiennes à la seconde guerre du Golfe (ses justifications douteuses et ses causes géostratégiques et énergétiques) en passant par le Vietnam (les hélicoptères, la façon dont les Na’vis utilisent le terrain forestier à leur avantage alors que les humains recourent aux bombes incendiaires pour le leur enlever), Avatar les montre répéter en la condensant toute l’histoire noire des États-Unis et par extension de l’Occident.


Car les colons de Pandora évoluent dans un régime temporel quant à lui dominé par l’économie et traduit en ses termes : le temps, c’est de l’argent. Et plus précisément celui des actionnaires qu’invoque Selfridge pour précipiter l’abattage de ce « gros arbre » planté juste au dessus d’un gros « tas d’oseille ». C’est donc un temps après lequel on court, parce qu’il a un coût. Ce qui force le marine infiltré chez les « singes bleus » à essayer de convaincre ces derniers de déguerpir dans un délai de quelques mois (un peu comme on repoussait les populations amérindienne sans cesse plus loin vers l’ouest à chaque fois qu’un nouveau filon aurifère été trouvé sous leur pieds). Ainsi, comme le contenu du sablier se transfert d’un compartiment à l’autre, la quête d’argent des uns se transforme en perte d’espace pour les autres ; ou comment changer de l’or en plomb.
Et comme les humains sont embourbés dans une boucle temporelle répétant leur « sale histoire », James Cameron les montre détruisant l’arbre maison en convoquant l’imagerie du 11 septembre (attaque aérienne, chute d’un grand monument en flammes, poussières, cendres et tutti quanti).


Faisant cela, il use de nouveau d’un effet de retournement des rôles puisque les victimes américaines deviennent ici les Na’vis et les terroristes d’Al-Qaïda l’armée US. Pour autant, il ne faudrait pas en conclure que le film accuse le peuple américain au même titre que son système de défense assimilé à du mercenariat. De par la façon dont la scène prend en charge la terreur et le désespoir des autochtones, il est rendu possible pour chaque américain, comme pour n’importe qui d’ailleurs en temps qu’individu et membre d’un peuple, de se reconnaître dans leur détresse (Cameron, ici mal aidé par la musique de James Horner, ayant même la main un peu lourde sur le pathos). Le réalisateur trouvant ainsi le moyen d’accuser le système ayant une part indirecte de responsabilité dans l’évènement tout en traitant avec le plus grand respect la réalité de la tragédie humaine. Celle-ci faisant dans l’histoire des États-Unis comme dans l’économie du film figure de véritable apocalypse après une « décennie-bulle » où certains osaient même parler de « fin de l’histoire ».


Or, c’est bien justement l’apocalypse la finalité de l’espace temporel dans lequel Avatar inscrit les humains : ils évoluent dans un temps voué à une perspective eschatologique. Ils se précipitent vers une nouvelle Chute parce que, comme dans les deux Terminator, ils ne savent que produire les conditions de leur propre destruction. Aussi, James Cameron oblige, le film se prête volontiers à une lecture biblique. Ses premières images, un survol en vue subjective de la canopée de Pandora, sont celle d’une vision (prophétique) de Jake qui, dans une scène suivante (de la version longue), après s’être fait jeté d’un « saloon » où il faisait montre de sa façon toute personnelle de tendre l’autre joue, prend une pause (lourdement) christique. Plus tard, après avoir été sauvé par Neytiri qui, peu avant, s’apprêtait à le tuer (et l’aurait fait si Eywa ne l’avait retenu comme YHWH retient la main d’Abraham prêt à lui sacrifier son fils), les graines de l’arbre des âmes viennent le désigner comme « élu », comme cela a déjà été souligné. Et au moment ou le rouleau compresseur américain se met en marche, envahissant le « jardin » pour le « désherber » avec son armée de « sauterelles mécaniques », Jake accomplit son destin de prophète de l’apocalypse en révélant aux Na’vis ce qui les attend. Mais en fait, ce n’est pas tant la Chute des Na’vis que celle de l’Homme qu’il annonce (et avec aussi peu d’écoute que Kyle Reese ou Sarah Connor). Et en « bon traitre » typique des westerns pro-indiens, il en sera le catalyseur.


Aussi, pourrait-on voir Pandora comme un simili-purgatoire où serait fait le tri entre les humains méritant d’être « sauvés », immigrants accueillis à la porte du paradis et ressuscités sous forme d’hybrides d’humains et de Na’vis, et les autres, pour qui la porte serait telle Ellis Island : une Hell’s Gate les rejetant dans « leur monde à l’agonie ». Alors bien sûr, le ton n’est pas celui, nihiliste et en même temps flamboyant d’un fuck the world à la John Carpenter, ni même celui désespéré et radical du final du Secret de la planète des Singes (quoique…). Mais à terme, le tarif est le même : une condamnation à mort de l’espèce humaine dans son immense majorité.


- 2.2. Un bon humain est un humain mort… puis ressuscité


De fin, il semble en revanche ne pas être question pour les Na’vis. Un de leur arbre sacré est tombé ? Tant pis, il y en a un autre, comme l’arbre de la résurrection (croix du Christ) est sensé amener le salut après la Chute causée par le fruit défendu poussant au bout de l’arbre de la connaissance. Comme le soleil se meurt le soir venu, un nouveau le remplace le matin suivant. Parce que l’univers de Pandora et ses habitants, comme tous les univers mythologiques, s’inscrit dans un rapport cyclique au temps. Un temps uniquement rythmé par l’alternance du jour et de la nuit, et donc de la renaissance perpétuelle. Un temps qui a un début, une cosmogonie (« les premiers chants du monde ») mais pas de fin. Ou du moins, celle-ci est déjà un nouveau recommencement puisque l’époque ancestrale du « grand chagrin » évoquée par Neytiri, et à laquelle a émergé le héros civilisateur qui a unis tout les clans (« Toruk Makto »), se répète ici dans la confrontation avec les humains. Et là encore, apparaît un héros ralliant tous les clans. Jake : réincarnation du premier et archétype du héros messianique américain ? Peut-être, mais pas uniquement.


Les archétypes dans Avatar ne sont pas tous de simples clichés, comme celui du « scientifique-Cassandre » ou « militaire bourrin » (mais foutrement savoureux !). Ils peuvent aussi - et on en a vu un exemple avec l’idée de l’Âme Universelle - renvoyer au sens que leur donnait Carl Gustav Jung (5). Celui de figures et schémas primitifs enracinés depuis l’aube de l’humanité dans l’inconscient collectif et qui trouveraient dans les mythes, comme dans les rêves, une surface de projection où s’animer pour finalement toujours reformuler la même histoire de l’Homme s’arrachant à l’enfance et rêvant d’immortalité. Le mouvement de retour qu’opère le film est aussi celui d’une « régression » vers ce type de schéma, et le parcours de Jake en est le meilleur exemple.


Là où George Lucas, en bon élève de Joseph Campbell, recourait (paraît-il) au désormais célèbre « voyage du héros » pour constituer la colonne vertébrale de son Star Wars, James Cameron, lui, tout en empruntant aussi probablement aux structures mise en évidences par Campbell, remonte encore plus loin dans la mémoire de l’humanité pour aller excaver le schéma de la « renaissance ». D’après Jung, celui-ci trouverait sa version la plus primitive dans l’image du soleil sombrant et naissant dans la mer : « tout ce qui vit, s’élève, comme le soleil, hors des eaux et s’y replonge à nouveau le soir. Né des sources, des fleuves, des mers, l’homme atteint en mourant les eaux du Styx pour entreprendre la traversée nocturne. Les eaux noires de la mort sont des eaux de la vie ; la mort avec son froid enlacement est le sein maternel, comme la mer qui engloutit le soleil mais le ré-enfante. La vie ne connait nulle mort ».


Derrière le phrasé quelques peu difficile de Jung se cache en fait l’idée d’une structure qui serait à la base de plus ou moins toutes les histoires où un héros dit « solaire » effectue une de ces « traversées nocturne » (maritime, sous-marine, forestière, dans une caverne, aux Enfers, dans l’espace, etc.). Une traversé au cours de laquelle il peut être « englouti » par un monstre ou alors séjourner dans quelque chose équivalant au ventre maternel (« le ventre de la baleine » selon la terminologie campbellienne) pour finalement renaître symboliquement. C’est par exemple la deuxième chance donnée à l’humanité après le Déluge auquel survit Noé protégé dans son Arche, ou la renaissance de Pinocchio sous la forme d’un vrai petit garçon après son passage dans ledit ventre de la baleine. C’est aussi le « réassemblage » d’Osiris après avoir été jeté dans une boite sur le Nil, ou le retour de Gandalf après être passé « par le feu et l’eau » au plus profond de la Moria chez Tolkien. C’est encore la renaissance de l’Homme à un nouveau stade de son évolution après son passage à travers la porte des étoiles dans 2001 : l’odyssée de l’espace, ou les voyages vers l’oku des personnages de Miyazaki. Et enfin, bien sûr, ce sont la « descente aux enfers » de Ripley dans le premier climax d’Aliens et les résurrections de Lyndsay et Bud dans Abyss.


Dans le cas de Jake, cette « traversée nocturne » est d’abord celle de l’espace depuis la Terre jusqu’à Pandora, dont le but est de donner une nouvelle chance à l’humanité (cf.la transition entre le visage de son frère brulant dans un four crématoire et le sien, enrobé d’un bleu céleste). Mais il s’agit aussi de chacun des transferts de son esprit depuis son corps vers celui de son avatar : à chaque fois une petite mort et une petite renaissance en prélude à celle définitive qui clôt le film. D’ailleurs, comme les cocons à cryo-sommeil de la navette, les caissons d’avatar évoquent le « cercueil » du frère de Jake dont l’incinération, elle aussi, annonce le passage obligé par la mort. Car pour renaître, il faut d’abord mourir, comme le résume très (trop ?) clairement l’intéressé : « une vie s’achève, une autre commence ». Tout au long de son parcours, le personnage se voit donc confronté à des figures symboliques de la mort voulant l’ « engloutir ». La première, lors de son inaugurale « expédition Rambo » en forêt, est le « Thanator » devant lequel, n’étant pas encore prêt, il fuit. Viennent par la suite toute une série de créatures, pseudo-hyènes et autres « ikrans », que cette fois il affronte jusqu’à finir par se confronter à l’ultime incarnation de la faucheuse (le « grand Toruk, la dernière ombre ») qu’il parvient finalement à dompter ; un acte faisant symboliquement de lui le maître le la mort. Seulement alors, peut-il revenir de sa propre mort, cette fois réelle, après être passé devant Eywa qui peut-être aura pesé son âme avant de le ré-enfanter.


Et de fait, la scène où Neytiri le découvre étouffant dans son corps humain et le ranime en lui donnant littéralement un second souffle vital évoque un peu, ne serait-ce que par la différence de taille entre les deux personnages, une mère regardant son enfant venant de (re)naître. Car depuis sa première irruption dans le cadre où elle apparaît guerrière, prête à dispenser la mort de la pointe d’une de ses flèches, à cette scène où elle semble incarner Eywa elle-même en passant par celle, un peu plus tôt, où elle monte le « Thanator » sur le champs de bataille, Neytiri (et donc Eywa à travers elle) se voit tout au long du film assimilée à une figure de walkyrie. Et notamment dans son rôle de guide auprès de Jake, le « guerrier du clan des crânes rasés » tombé au combat, vers une forme de mort et de Walhalla.


Aussi, de la même façon que Pinocchio se voit finalement accordé le souhait d’être un vrai petit garçon, Jake devient enfin, et au-delà de la mort, un vrai être vivant de Pandora. Sa pause christique au début du film renvoyant à la lueur de ce contexte autant au sacrifice de son corps en rachat des fautes de ceux de son espèce et comme paiement au passeur du Styx qu’à cette résurrection finale : aboutissement de son trajet d’ « élu », horizon atteint du go west solaire et apothéose, au sens grec, du héros enfin accueilli au séjour des dieux. Ainsi Jake passe t-il du cercle vicieux du temps historique et eschatologique des Hommes à son miroir inversé : le cercle vertueux du temps épique et mythique des Na’vis. Un âge d’avant le « péché » prométhéen et la séparation des hommes et du Cosmos.


Notes, références et sources :


(5) Métamorphoses de l’âme et ses symboles, Carl Gustav Jung


La suite :
http://www.senscritique.com/film/True_Lies/critique/43605867

Créée

le 28 déc. 2015

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Toshiro

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