Hissant bien haut l’étendard de la tolérance et de l’ouverture d’esprit (rires), les majors nous servent depuis quelques années maintenant un plat sans saveur, dénué de la moindre prise de risque, trop effrayés à l’idée de se mettre à dos l’opinion public (en gros, se fâcher avec les Twittos), de créer malgré elles une polémique ou, pire, de s’aliéner une partie de leur clientèle potentielle. Une politique hypocrite et opportuniste, voyant les studios s’éloigner des personnalités les moins lisses, draguer complaisamment des communautés ignorées jusque-là (voire carrément insultées) ou, à l’image du tout puissant Disney, effacer carrément les aspects les moins reluisants de leur passé à grands coups de révisionnisme, prenant visiblement leur audience pour une imbécile incapable de prendre du recul et de contextualiser une œuvre.


Un point de non-retour semble avoir été atteint au lendemain du fameux hashtag Metoo, mouvement ô combien important censé révéler la crasse planquée sous l’épais tapis hollywoodien et faire enfin évoluer les mœurs, mais qui aura pris une fâcheuse direction, ressuscitant malgré lui les heures sombres du Maccarthysme. Les gros studios vont donc s’engouffrer dans la brèche en croisant les doigts bien fort pour échapper à la vindicte populaire, affichant un féminisme de façade et produisant des excroissances absolument terrifiantes.
Si une poignée d’oeuvres seront parvenues à s’inscrire dans l’air du temps avec irrévérence et pertinence (au hasard, la prodigieuse série The Boys), la grande majorité aura oublié de proposer du cinéma avant tout, n’offrant qu’un triste spectacle bâclé, malhonnête et parfois même moralement discutable. Enfanté par Sony, l’ignoble reboot de la franchise Charlie’s Angels est peut-être la pire saloperie expulsée de la matrice de cette dictature de la pensée, gigantesque accident industriel témoignant de l’incapacité de la multinationale à gérer ses nombreuses licences (pour un grandiose Into the Spiderverse, combien de Venom, Jumanji, Men in Black ou Ghostbusters faisandés?), tout en brandissant un pseudo féminisme neuneu, sombrant dans le même obscurantisme qu’il voulait combattre. Et pour notre grand malheur, ce remake tardif que personne ne souhaitait de The Craft est taillé dans la même étoffe.


Semi film culte pour quiconque aura grandi dans les années 90, le The Craft réalisé par Andrew Fleming, s’il était loin d’être grandiose et ratait complètement son climax, avait au moins le mérite de poser un regard désabusé sur l’adolescence et de nous proposer des héroïnes attachantes et pleines de failles, loin des canons de beauté habituels. Produit par ce vieux filou de Jason Blum (Monsieur 3 bons films pour 40 merdes), The Craft Legacy (quel titre percutant, mes aïeux!) ne va certainement pas s’embêter avec tout ça, se contenant de cocher bien gentiment les cases de ce nouveau cinéma faussement engagé et inclusive, en engageant déjà à la mise en scène et au scénario Zoe Lister-Jones parce que… c’est une femme ?


Autrefois charismatiques et plutôt bien croquées, adolescentes mal dans leur peau subissant racisme, harcèlement et injustice sociale, s’unissant pour rendre les coups jusqu’à franchir malencontreusement la ligne rouge, nos quatre sorcières deviennent ici de simples nunuches interchangeables et d’une bêtise royale. Si l’indulgence est possible envers l’héroïne campée par Cailee Spaeny, clichée mais un minimum identifiable, ses trois copines semblent échappées d’une classe ULIS, se contenant de prendre la pause et de brailler une conscience sociale et politique de maternelle, dénuées qu’elles sont de la moindre caractérisation.


Le film enchaîne donc les séquences obligées avec la même absence de contexte que l’horrible reboot de A Nightmare on Elm Street, se torchant royalement avec toute idée de dramaturgie, se vautrant constamment dans la parodie involontaire et n’assumant jamais ses aspects les plus fantaisistes, réduits à peau de chagrin. Si l’aspect technique n’est pas aussi catastrophique que sur Charlie’s Angels et reste professionnel, on ne peut s’empêcher de verser une larme pour les pauvres Michelle Monaghan et David Duchovny, complètement perdus au milieu de ce marasme s’achevant sur un caméo final de pacotille, transformant ce remake en suite qui ne s’assume pas vraiment.


Comme si faire preuve d’une nullité absolue en terme strictement cinématographique ne suffisait pas, The Craft Legacy en devient carrément douteux dans son discours, prônant une entraide féminine au-delà de toute logique et morale, face au seul ennemi possible : le mâle intolérant. A travers le personnage de Skeet Ulrich, le film originel dénonçait déjà, non sans maladresse, un sexisme abusif et dégueulasse institutionnalisé, mais montrait aussi les limites idéologiques de nos sorcières en pleine montée d’égotisme, l’occasion d’une cassure au sein du groupe suite à un sort malheureux virant à l’amour obsessionnel à l’issue tragique. Nos witches next gen prennent le même chemin, transformant une caricature de harceleur beauf en métrosexuel sensible, conscient et bisexuel, gommant ainsi tout libre arbitre et traits de personnalité non souhaitables dans notre société nouvelle, se conformant ainsi à ce que doit être un homme pour nos quatre Bisounours. Si le film fait semblant pendant quelques minutes de questionner les actes de ses héroïnes, il finit, avec une inconscience folle, par dédouaner nos héroïnes de toute responsabilité, rejetant uniquement la faute sur le vilain méchant viriliste lors d’un climax dégueulasse.


Sous couvert de bienveillance et de progressisme, The Craft Legacy tombe dans les mêmes pièges que ses grandes sœurs, devenant exactement ce qu’elle critique, privilégiant un discours régressif et abjecte, au détriment du spectacle lui-même, bien triste. Un exemple de plus (et de trop) dans la longue liste de ces productions bien pensantes et opportunistes, brossant dans le sens du poil cette légion de fanatiques ne définissant un individu que par sa couleur de peau ou son sexe. Consternant.

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le 20 nov. 2021

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Gand-Alf

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