The Golem
5.3
The Golem

Film de Doron Paz et Yoav Paz (2019)

Après n'avoir réussi qu'à tirer un lamentable found-footage du pitch pourtant très prometteur de "Jeruzalem", on n'aurait pas misé un shekel sur la suite de la carrière des frères Paz en tant que réalisateurs. Bien mal nous en aura pris car, en s'attaquant à un des mythes les plus célèbres du folklore judaïque, le Golem (figure maléfique boueuse qui hante tout de même le cinéma depuis 1920), et surtout en déléguant l'écriture pour se concentrer uniquement sur la mise en scène, le duo israélien revient de manière inespérée par la grande porte du genre !


Bon, certes, la scène d'introduction ratée de "The Golem" ne rassure pas encore vraiment : ayant une rapide connection avec un des personnages de la véritable histoire du film, elle est surtout un prologue un brin factice pour offrir aux spectateurs les plus impatients une rapide représentation du monstre de terre et une promesse de sang et de cadavres dans son sillage.
Mais passé cela, "The Golem" dévoile son véritable cadre somme toute assez inédit, celui des populations juives dans l'Europe centrale du XVIIème siècle, les ashkénazes. Isolés en petites communautés éparses, ceux-ci deviennent les boucs-émissaires idéaux par leur différence religieuse lorsque les malheurs frappent les autres habitants de la région. Ici, l'autarcie du petit village où vivent Hanna et son mari leur permet inconsciemment d'échapper au fléau de la peste pendant que ceux des alentours y succombent. Le chef de l'un d'entre eux vient soudainement poser un ultimatum à Hanna et ses pairs : si ceux-ci ne parviennent pas à soigner sa fille, ses hommes et lui détruiront leur village et ses habitants...


Voilà pour les enjeux généraux s'inscrivant dans une réalité historique peu abordée au cinéma mais ceux-ci vont en réalité rester un simple contexte appuyant et offrant des ressorts dramatiques à ce que va avant tout traiter le film : la condition d'une femme au sein de cette communauté religieuse.
Évidemment très patriarcal, l'ordre religieux imposé par les ashkénazes n'offrent aux femmes qu'une place d'épouse et de mère réduite quasiment à sa seule fonction reproductive (si une femme n'a pas eu d'enfant au bout de sept ans, son mari peut allègrement la répudier pour une autre... chouette ambiance, hein ?), toutefois, dès sa première apparition dans le film, il est clair que Hanna n'a que faire de ces brides imposées par les hommes. L'éducation à travers la religion n'est réservée qu'aux mâles ? Hanna nous est révélée en train de suivre les cours à travers le sous-sol de la pièce avec une érudition supérieure à celle des hommes. D'ailleurs, la jeune femme ne se prive pas pour demander à son mari Benjamin d'"emprunter" les livres les plus ardus pour les étudier à la maison. Même si cela va à l'encontre de ses préceptes, Benjamin accepte car, entre lui et Hanna, il y a un lien amoureux que l'on sent fort et sincère mais celui-ci a été malmené par une tragédie voilà sept ans qui a conduit Hanna à ne plus pouvoir avoir d'enfant... Difficile d'en révéler plus car le film va nuancer cette dernière information en dessinant peu à peu toute la complexité de l'impossibilité de se relever d'une terrible épreuve qui habite la jeune femme.
Comme frappée d'une ironie cruelle, cette dernière va par la suite donner la vie, non pas à un petit être humain, mais à une créature faite de magie et d'argile dans le but de venir à bout des envahisseurs de son village. Le fameux Golem qui va en ressortir sera l'incarnation même du mal qui ronge Hanna depuis des années, celui-ci va d'ailleurs devenir une sorte d'appendice d'elle-même, une excroissance animée d'aucune conscience mais qui est le réceptacle des émotions, dans leur forme la plus abrupte, de cette nouvelle jeune "mère".
Après avoir établi et compris comment mettre à profit la nature de son lien avec la créature, Hanna va acquérir un nouveau statut au sein de la communauté, celui d'une femme ayant réussi où là les hommes ont échoué. Galvanisée à la fois par cette récompense sociale qu'elle désespérait d'obtenir mais aussi et surtout par ce Golem en lui-même qu'elle croit être la porte de sortie à ses démons alors qu'il en est la représentation la plus vive l'y condamnant toujours un peu plus, Hanna va s'enfermer dans ses certitudes et mettre de plus en plus à mal sa relation avec Benjamin aussi bien directement par la présence de son "enfant" qu'indirectement avec les actes de celui-ci émanant de son inconscient. Lorsque le retour de flammes va devenir inéluctable, "The Golem" va faire exploser (parfois littéralement) les conséquences néfastes de la présence de cette aberration boueuse dans notre monde. Bien sûr, sa créatrice sera la première à devoir réaliser à quel point la voie qu'elle a empruntée est la pire solution. En ce sens, la scène finale, chargée d'une belle émotion, mettra en avant une femme qui a enfin compris tous les contours de ses tourments intérieurs et qui est prête à définitivement tirer un trait dessus pendant que le mythe du Golem, lui, va traverser les âges avec l'ombre du danger perpétuel qu'il représente...


Eh ben... En passant la main sur le travail d'écriture à Ariel Cohen, on peut dire que les frères Paz ont sacrément appris de leurs errements passés ! Derrière la caméra, les israéliens livrent un long-metrage pas encore tout à fait irréprochable sur le plan visuel (ils subsistent quelques maladresses ici et là et une qualité aléatoire sur les CGI, c'est bête car le film n'est jamais meilleur que dans l'utilisation d'effets artisanaux ou simples) mais ils sont clairement passés à un autre niveau : "The Golem" nous emporte aisément dans l'ambiance austère de ce village lituanien du XVIIème siècle et bon nombre de séquences révèlent un vrai travail de mise en scène sans que la recherche esthétique sur des plans très réussis empiète sur le reste. De toute manière, ici, le cœur de ce conte noir et cruel est la reconstruction de son héroïne à travers sa volonté d'émancipation, une donne qui ne faiblira jamais pour ce qui est sans doute une des meilleures itérations contemporaines autour de la légende du Golem...

RedArrow
7
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le 6 juil. 2019

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RedArrow

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