C'est le quatrième film de Bong-Joon Ho que je vois après Memories of Murder, Mother et Snowpiercer. Quatrième film que je vois de lui et quatrième réussite. C'est bien sûr un euphémisme tant j'ai trouvé le film brillant, sincère dans sa démarche et beau dans son propos. Je commence par ce qui me semble le plus évident : sa capacité à alterner les tons voir à les mélanger. On passe d'une scène comique à une scène dramatique voir tragique avec un naturel absolument stupéfiant, quand les tons ne se mélangent pas directement au cours d'une même scène : la fabuleuse scène de l'hommage familiale est, à ce titre, parfaitement représentative de cette veine tragi-comique caractéristique du film dans la mesure où un événement dramatique est tourné en dérision sans pour autant lui en enlever sa gravité. C'est quelque chose de très caractéristique dans le cinéma Sud-Coréen. Ce mélange des tons s'inscrit bien dans la volonté du film à multiplier les genres : film fantastique, film d'horreur, film social, film politique, comédie et drame. Je pars du principe qu'il ne faut pas enfermer un film dans un genre bien défini et c'est encore plus vrai avec celui-ci, tant il se révèle être un film hybride, une œuvre mutante, à l'instar de la créature, qui change constamment de forme d'une scène, d'une séquence voir d'un plan à un autre. Malgré ça, The Host n'est pas un film informe : c'est un handicap qu'il arrive habilement à éviter dans la mesure où cette multiplicité des genres et des tons lui permet de construire son intrigue et de s'y conformer sans détour, en y allant en ligne droite : le film ne se laisse jamais déborder par les sujets qu'il évoque, pourtant multiples. La créature, charge allégorique et métaphorique du film, constitue le vecteur qui permet au film son équilibre : elle représente à elle seule les névroses, les troubles identitaires et les faiblesses des personnages, d'un pays dont le poids du passé reste encore pesant au sein d'un présent frigide et malade. Le film dresse ainsi une photographie sociale et réaliste d'un pays en intégrant ça dans un contexte irréaliste : celui qui présente une créature mutante, une ombre noire et informe, terrorisant une ville, un pays entier. C'est d'une poésie terriblement évocatrice.
Par ailleurs, la nature de son récit, traditionnel, permet également au film de canaliser cette multiplicité complexe. Il présente ainsi des personnages aux faiblesses bien marquées s'alliant dans un but commun : délivrer une fille prisonnière d'un monstre en allant au-delà de leurs faiblesses respectives. Que ce soit un chômeur diplômé alcoolique, un père négligeant et constamment somnolant, une sportive vouée à l'échec dans son domaine et un doyen familial hanté par un passé de père négligeant, (tendance qu'il a transmise à son fils - cette idée de l'erreur qui se répète est présente en filigrane au sein du film, représentative d'une société qui tourne en rond dans ses propres névroses), chacun affronte ses faiblesses au cours d'une quête familiale, initiatique et introspective. C'est bel et bien un conte que nous propose Bong-Joon Ho, un conte féroce, violent, débordant de vie, dans lequel les personnages luttent pour leur droit d'avancer, d'être, d'exister, et dans lequel la violente charge satirique à l’âpreté bien marquée ne cède jamais à un cynisme désabusé facile. Ainsi, tous les personnages principaux finissent par obtenir une forme de salut rédempteur, pour le meilleur ou pour le pire. Celui qui atteint le mieux cette finalité, c'est bel et bien le personnage du père : négligeant et végétatif, il retrouve un second souffle, un souffle vital d'une très grande force, d'une ampleur considérable pour sauver sa fille. C'est d'ailleurs l'un des point les plus importants de ce film : celui de la filiation, de la descendance et du lien parent-enfant, lien meurtri qui retrouve une beauté pleine de grâce à mesure que l'on avance dans le film. La toute fin montre la volonté d'aller de l'avant, d'éviter de répéter les mêmes erreurs, de reprendre depuis le début : un foyer familial aussi serein que possible, qui survit tant bien que mal au milieu des ténèbres qui l'encerclent, spectres troublants et menaçants qui ne demandent qu'à resurgir. De sa capacité à être à la fois un film profondément ancré dans la culture et la société Sud-Coréenne en explorant ses troubles et ses névroses et à avoir une portée aussi universelle, The Host est au final une œuvre d'un très grand humanisme et l'une des plus importantes de ce début de siècle. Immense.

Kahled
9
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le 3 avr. 2016

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Kahled

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