Tu connais Thomas d'Aquin ? Non ? C'était un mec du XIIIème siècle, du Moyen-Age donc. Tu connais, le Moyen-Age, cette époque fabuleuse où on brûlait des femmes parce qu'elles étaient schizophrènes et où on pouvait violer des gamines sans scrupule après avoir tué toute leur famille. Ouais c'était la bonne époque. Mais ça, les meurtres et les déviances sexuelles, c'était pas son trip au petit Thomas. Lui il faisait plutôt dans le religieux, avec coupe au bol, toge marron et vœux de chasteté façon Sean Connery dans Au Nom de la Rose. Pourquoi j'te parle de tout ça ici ? Nan t'inquiète pas, j'ai pas l'intention de te convertir au christianisme et à toutes ces conneries, déjà parce qu'en fait j'en ai strictement rien à foutre, et aussi parce que c'est pas du tout mon but ici. Non, en fait je te parle de Thomas d'Aquin parce que c'est ce mec qui a identifié les sept péchés capitaux. Quoi ? Tu vois toujours pas où je veux en venir ? T'inquiète pas, tu vas vite comprendre. Tu connais les sept péchés capitaux, t'as déjà regardé cette émission chiante avec des avocats qui crient ou ce film avec Morgan Freeman qui joue un vieux sage (comme dans tous ses films) et Brad Pitt qui joue un mec cool (comme dans tous ses films). Mais je voulais te parler d'un de ces péchés : l'orgueil. Là tu vas sûrement me demander pourquoi j'te parle de ça, ce à quoi j'te répondrais que premièrement, j'allais justement te l'expliquer et que deuxièmement, tu commences à me saouler avec tes questions qui rendent cette intro encore plus longue. Si j'te parle d'orgueil, c'est parce que c'est le mot qui vient tout de suite quand on pense à Billy Mitchell. Mais laisse-moi te présenter Billy Mitchell. Billy Mitchell (ouais, je le répète pour que son nom te reste bien dans la tête), c'est ce type : http://pimptoo.files.wordpress.com/2013/07/billy-mitchell-tie.jpg

Regarde-le. Non sérieusement, regarde-le. Ce mec est sans doute l'un des plus orgueilleux qu'ait jamais porté ce triste monde. Et si ce mec est aussi orgueilleux, c'est pas parce qu'il a réussi à devenir un des grands pontes américains du milieu de la sauce épicée ni parce qu'il n'adresse plus la parole à son coiffeur depuis vingt ans (une de ces affirmations est vraie, à toi de trouver laquelle), mais parce qu'il a accompli un exploit, une performance que peu de gens sur cette planète est capable d'accomplir, un truc qui lui a (presque) ouvert les portes de la gloire, des filles faciles et de la poudre nasale qui met des étoiles dans les yeux : il est devenu le champion du monde de Donkey Kong. Ouais Donkey Kong, le jeu sur arcade de Nintendo, celui qui a vu naître Mario mais qu'on savait pas que c'était Mario parce qu'il s'appelait Jumpman et qu'il ressemblait à Popeye. Alors d'accord, la prouesse est louable, mais de là à se la péter comme si on avait réussi le cent mètres en deux secondes et à se la jouer façon roi du monde, y a un pas qu'il ne convient pas vraiment de franchir. Mais Billy il en a rien à foutre de tout ça, c'est lui le meilleur, il a un regard de winner, des chemises unies rentrées dans son pantalon et des cravates avec le drapeau des Etats-Unis imprimé dessus, ça prouve qu'il est supérieur à toi. Et puis bon, il a atteint le meilleur score sur un jeu vidéo ajourd'hui joué par trois mecs dans le monde, ça c'est la vraie puissance, il est over 9000 t'entends. Il a même une bande de larbins stéréotypes du geek complexé boutonneux à lunettes qui le suit tout le temps. Alors quand un petit père de famille inconnu au bataillon se met à doser sur Donkey Kong et décide de rentrer dans le Game, Billy il est pas content. Il est même fâché tout rouge, et il va lui montrer de quoi il est capable en lui déclarant la guerre, mais la guerre bien salace à base de coups bas et ouvertement putassiers. C'est cette guerre que décrypte The King of Kong, un documentaire réalisé par Seth Gordon en 2007, qui fait d'ailleurs l'objet de cette critique.

Le père de famille en question, c'est Steve Wiebe. Steve Wiebe a donc une femme et un fils, il vit dans une petite maison d'une banlieue américaine typique style Virgin Suicides (mais sans les suicides), il enseigne la physique-chimie dans un collège, il est humble, sensible, il essaye de donner le meilleur exemple possible à son gosse et il ressemble à n'importe quel type à peu près normal. En gros, on comprend vite que c'est le gentil dans l'histoire, alors que le comportement prétentieux et détestable de Billy Mitchell en fait plutôt le méchant. C'est d'ailleurs là que le premier doute se fait sentir concernant The King of Kong, car si on peut facilement être convaincu que Billy est un des plus gros connards de ces dernières années, on est un peu gêné par le manichéisme qui règne autour de ces deux énergumènes. L'un n'a que des qualités, l'autre n'a que des défauts, pas terrible pour un documentaire dont on peut attendre un semblant d'objectivité.

Mais ce n'est pas pour son traitement que ce film restera dans ta mémoire de jeune lecteur assez courageux pour avoir lu cette critique jusqu'ici. Non, le véritable atout de ce documentaire, c'est bien l'histoire qu'il décrypte, une bataille dantesque (à une échelle toute relative évidemment) entre deux personnalités totalement opposées, un truc digne des meilleurs scénarios de film, avec des retournements de situation jouissif et des scènes magistrales (mention spéciale au magnifique « There's certain people I don't want to spent too much time with » prononcé par un Billy Mitchell méprisant et haineux lors de sa première rencontre avec Steve Wiebe). Sauf qu'ici tout est vrai, et même si parfois les intervenants abusent leurs réactions, la véracité des faits a été prouvé. On notera que le film se concentre plus sur l'aspect psychologique et sentimental de la discipline du scoring que sur le côté technique. Un choix assez surprenant sur le papier mais qui prend en fait tout son sens quand on réalise l'investissement personnel que demande la pratique du superplay. Le film s'attarde aussi un peu sur Twin Galaxies, le site qui répertorie les meilleurs scores du monde entier sur à peu près tous les jeux possibles et imaginables, ainsi que sur son créateur, Walter Day, un type assez étrange qui aime jouer de la guitare dans des plaines désolées et vérifier des records du monde de jeux vidéo pour le Guiness Book (non, cherche pas, aucun rapport entre les deux).

Alors, que retenir de The King of Kong ? Un documentaire très intéressant qui montre que le jeu vidéo pratiqué à haut niveau demande un réel effort, à la fois d'un point de vue technique, avec l'apprentissage des patterns et la maîtrise totale du jeu, mais aussi (et c'est sur ce point que le film se concentre surtout) d'un point de vue psychologique. Néanmoins le traitement aurait facilement pu être amélioré, le manichéisme forcé et les quelques zones d'ombre inexpliquées laissant un goût plutôt amer. Y a plus qu'à espérer que le remake fictif avec Ben Stiller dans le rôle de Billy Mitchell soit toujours en préparation, mais vu qu'on a plus de nouvelle de ce dernier depuis 2011, on se contentera parfaitement de cette version originale.
Plumtoo
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le 1 avr. 2013

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Plumtoo

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