Laissez-vous vous parler, tel Charles Aznavour, d’un temps que vous, moins de vingt ans, ne pouviez pas connaître… Alors, j’entends des lecteurs penser : « Ah… Il nous refait le coup de la nostalgie… »… C’est vrai… D’ailleurs, ce temps dont je vais vous parler, je ne l’ai pas connu non plus… Alors, avant que vous ne demandiez de rembourser les invitations (https://www.youtube.com/watch?v=Djve40e1YFI), laissez-moi vous expliquer ce pourquoi je suis venu vous déranger…


Avant de parler du film probablement dit, je dois d’abord vous expliquer le principe du « film culte » ; quelqu’un dans la salle peut-il me citer un film culte ?… The Dark Knight ? Perdu ! Le Parrain 1 & 2 ? C’est déjà un peu mieux, mais c’est pas encore ça… Avengers ? Encore une connerie, Kevin, et tu sors ! Les Clefs de Bagnole de Laurent Baffie ? Ah ! Pas idiot, pas idiot du tout, même, mais j’y reviendrai plus tard.


Bon, c’est normal que vous ne m’ayez pas bien répondu, parce que des films cultes, des vrais, c’est assez difficile d’en nommer dans le cinéma d’aujourd’hui, un cinéma à grande majorité hollywoodien, basé sur des blockbusters, extrêmement bien marketés de façon à être rentables le plus rapidement possible. Oui, bien sûr, il existe toujours le cinéma indépendant, mais la plupart du temps, il est financé par des sous-filiales des gros studios ou alors il est très difficile à voir, à moins de bourlinguer les festivals de France et d’Europe. Quant au cinéma français, il est subventionné par les chaînes de télé, mais c’est un autre sujet.


Mais je dois d’abord vous expliquer un phénomène du 7ème Art, apparu vers la fin des années 60 aux USA : le «midnight movie» ou «film de minuit». A partir des années 1950, des personnes un peu marginales, à contre-courant des modes, voire totalement décalés ont commencé à produire des longs-métrages à petit budget, dans tous les genres, avec une préférence pour le kitsch, l’étrange, le mauvais goût. Bref, tout ce qui défiait les conventions de l’époque…


Et tous ces films, faits à partir de petits budgets, n’intéressaient absolument pas les studios de l’époque, pensant que cela n’avait aucun avenir en termes de rentabilité. Pire, ils ne comprenaient même pas ces films, puisqu’il n’était pas fabriqué dans une logique de film de studio, c’était pour eux des trucs bricolés dans un coin par quelques farfelus…


Alors, comme ces films n’avaient pas les moyens d’entreprendre une vaste campagne de publicité, ces films étaient diffusés au cinéma… Mais à 23h, voire minuit, voire même 1 heure du matin. Ils étaient diffusés également dans des chaînes de télé locales tard le soir ; d’ailleurs, on peut situer historiquement le premier «midnight movie» dans les années 1950, lorsque Freaks de Tod Browning, film d’horreur aujourd’hui bien connu des amateurs, a bénéficié d’un nouveau public en étant diffusé à des heures tardives de la soirée sur des télé locales.


Et le phénomène a commencé à prendre de l’ampleur à la fin des années 1960, avec des salles de cinéma de quartier situées dans des grosses agglomérations américaines, New York principalement, qui ont commencé à projeter tous ces petits films bizarres, fous, étranges. Des longs-métrages dont la diffusion tenait beaucoup sur le bouche à oreille, et qui sont devenus pour certains… des films cultes. Voilà. C’est comme ça que tout cela a commencé.


Alors, je vous ai déjà cité Freaks, qui est un cas à part puisqu’il a drainé un nouveau public vingt ans après sa première sortie, en 1932, mais on peut désigner comme «films de minuit» La Nuit Des Morts Vivants, El Topo, un western complètement fou, presque fait sous LSD et devenu l’un des films préférés de John Lennon, le sommet de vulgarité qu’est Pink Flamingos, le film contestataire The Harder They Come avec Jimmy Cliff, et même le premier film de David Lynch, Eraserhead. Tous ces films sont aujourd’hui cultes, ils n’ont pas eu de gros moyens mais ont su détecter, deviner ce que voulait une certaine catégorie de spectateurs, ce que l’on appellera les amateurs de «contre-culture».


Et parmi tous ces films, il y en a un, un seul, qui a réussi à devenir instantanément culte, au point de devenir un succès national en 1975, une comédie musicale bousculant les mœurs et les conventions du genre !


Et pourtant, comme pas mal de films devenus cultes au fil du temps, sa sortie a été un échec financier total, le public lui reprochant son caractère sexuel et outrancier, et son manque d’intrigue. Mais le phénomène des «midnight movies» aujourd’hui étendu dans une grande majorité du pays, fait que ce délirant hommage aux séries B d’horreur et de science-fiction, entrecoupé de chansons aussi exubérantes que diablement entraînantes, a été un véritable succès au sein de ce public féru de contre-culture, et possède aujourd’hui un véritable noyau de fans dans le monde entier. Le film est même devenu l’un des plus rentables financièrement de ces «midnight movies».


Un véritable phénomène socio-culturel s’est développé autour du film, puisque plusieurs fans ont commencé à apprendre les dialogues et chansons du film par coeur, et à danser et chanter en même temps dans les salles où étaient projetés le film. Aujourd’hui, des fans ont créé des véritables «troupes» animant des séances du film, grimés comme les personnages et créant un véritable show dans les nombreuses salles projetant le long-métrage, dont la salle du Studio Galande qui est la dernière à projeter tous les vendredi et samedi soir le film de Jim Sharman.


Voilà pourquoi un distributeur/éditeur de VHS se permit d’accompagner les célèbres lèvres rouges du générique d’ouverture la tagline «LE film culte» car ce dernier est le plus vif témoin de cette époque bénie où un film en apparence sacrifié par sa major peut connaître une réhabilitation immédiate et encore aujourd’hui importante auprès du public.


Mais cette époque est loin, désormais… Avec l’essor de la société de consommation et l’ère du merchandising, phénomène apparu avec le succès inattendu du premier Star Wars en 1977, la notion de film culte a été progressivement récupérée par les majors hollywoodiennes, et le terme «film culte» est maintenant utilisé à tort et à travers comme atout commercial pour promouvoir un long-métrage… Alors qu’un film N’EST PAS culte, IL LE DEVIENT ! C’est le public qui décide de rendre un film culte, le noyau de fans constitué autour d’une production qui rend cette dernière culte, comme par exemple l’expérimental Eraserhead, véritable échec commercial mais depuis reconnu par un grand «film bizarre» par les détenteurs de magnétoscopes au début des années 1980 ou même (on y revient) Les Clefs de Bagnole, premier long-métrage de Laurent Baffie (et le seul à ce jour), échec commercial à sa sortie et éreinté par une bonne partie de la critique mais désormais défendu corps et âme par une poignée de fans comme une comédie drôle et un hommage iconoclaste au 7ème Art.


Exemple ultime : La Classe Americaine alias Le Grand Détournement, téléfilm de 70 minutes diffusé uniquement le 31 décembre 1993 sur Canal +, et jamais sorti en DVD ou même VHS, car… il s’agit d’un film composé d’extraits de films produits par la Warner Bros. Montés et doublés afin de réaliser un film inédit. Le film connaît depuis une seconde jeunesse grâce à des VHS d’enregistrements d’époque uploadés et partagés sur le web, une version numérisée à partir de la bétacam originale et depuis, une restauration en HD par un passionné absolu du film.


Texte à retrouver sur Critique-Film
http://www.critique-film.fr/back-to-the-past-7/


Pour aller un peu plus loin, une intervention de Rafik Djoumi, journaliste cinéma, où ce dernier tord le cou à la convention du film culte : https://www.youtube.com/watch?v=6JaczUNJIHs

Créée

le 15 août 2016

Critique lue 313 fois

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David Huriot

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