Certains films ne ressemblent pas tout à fait à des films. Certains films s’apparentent plutôt à des filtres magiques appliqués à une fenêtre portée sur le quotidien. Cha no aji est de ceux là.

Certains films ne se résument pas ; ni ne se racontent. Ils se vivent.

Taste of Tea c’est plus de deux heures de contemplation et de happenings se succédant à un rythme aussi nonchalant et capricieux que la vie de tous les jours. Parce que la vie ne passe pas par une table de montage, elle s’écoule et s’étire, surprend parfois et prend son temps au rythme des heures, de la lumière, et si elle en a envie elle t’enchantera pendant un court instant.

C’est un peu ça Taste of Tea : une cérémonie qui célèbre un rythme naturel. Les saisons, les sons environnants qui se succèdent au gré des heures, la notion de temps qui passe au travers de la lumière naturelle, l’éternel cycle des astres (la lune, le soleil), l’éternel recommencement de la routine « civilisée » (le train, l’école, le parcours en vélo) ; bref tout ce qui compose le consensus collectif et qui nous détache de l’extrême furtivité des choses essentielles.

Le film illustre avec beaucoup de sensibilité ces moments uniques et quasi magiques qui jalonnent l’existence de tout un chacun au travers d’instants flottants comme hors de la réalité et de happenings poétiques, parfois grotesques, et souvent vécus comme des scènes indélébiles à filmer et photographier mentalement. On en possède tous des comme ça. Ici on pourrait retenir la partie de base ball sur le pont, le cosplay dans le train, la fameuse chanson « Yama yo » (à pisser de rire), la partie de go ou la scène du parapluie.

Cha no aji c’est aussi un portrait de famille qui n’oublie pas de souligner la solitude existentielle sous les liens et les choses partagées. Qu’il vive seul ou à plusieurs, qu’il soit isolé ou entouré, l’individu vit d’abord dans sa tête et constitue un microcosme habité de fantasmes, d’espoirs, de rêves, d’idées, de sentiments, de souvenirs et de buts qui lui sont propres et qu’il appartiendra à lui seul de vivre ou réaliser.

Chaque personnage du film, bien qu’appartenant au même foyer, arpentera donc ses propres sentiers tout le long du récit. Un accomplissement personnel, en somme.

Par delà la beauté des paysages de montagne typiquement japonais, entre le son des feuilles d’arbres et le chant des oiseaux, bien plus que ces images surréalistes qui ont fait la réputation du film, je retiendrai ce grand père que je n’ai jamais connu, cette petite sœur à qui j’aurais voulu tirer les couettes dans l’espoir de chatouiller ses airs pensifs, cette fille au prénom qui donne le blues et ces instants simples et plein de gêne ou d'humour qui confèrent à l’existence cette saveur douce amère que l’on regrette lors des jours difficiles.

Un goût de douceur, qui se savoure, qui fait du bien.
real_folk_blues

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