J'ai vu énormément de critiques négatives sur ce film commençant par "moi je n'ai pas ri" ou "il est où l'humour ?". Je pense qu'à cause de sa réputation de film comique et son slogan "terrifiant et à mourir de rire", beaucoup trop de gens sont passés à côté du film. Au final, ils font comme moi lorsque je m'étais mis à détester Shining parce qu'on me l'avait vendu comme un film d'horreur et que "j'ai pas eu peur, c'est de l'arnaque" : Shining est bien plus qu'un film d'horreur, tout comme The Voices est bien plus qu'un film comique.


La seule chose que l'on peut dire avec certitude concernant le genre de ce film, c'est que c'est un homme (t'as compris, genre, homme/femme, humour tout ça tout ça). Non plus sérieusement, la seule chose que l'on peut dire c'est que c'est un véritable OCNI : inclassable, il n'hésite jamais à explorer aussi bien la comédie que le tragique en passant par le burlesque, le gore ou l'absurde. Je dirais presque que la comédie ne constitue qu'à peine 20% du film, tellement celui-ci est riche.
Et heureusement, je n'avais aucune idée sur ce film avant de l'avoir vu : la première fois que j'en avais entendu parlé, c'était par mon frère de cœur il y a 1 an qui m'avait dit "je viens de voir un film avec Deadpool qui entend des voix et parle à son chat". C'étaient les seules choses que je savais, et c'était amplement suffisant ! S'il-vous-plaît, si vous voulez vendre ce film à quelqu'un, ne lui en dites pas plus que ça. Ne mentionnez ni le comique, ni le tragique, ni quoi que ce soit d'autre (si Deadpool qui parle à un chat ne suffit pas à votre ami pour lui donner envie de le voir... et bien ce n'est pas un bon ami).


Car en effet, ce film est tellement riche qu'il offre une expérience individualisée : mon frère de cœur l'avait trouvé très drôle, je l'ai trouvé très touchant et certains sur ce site l'ont trouvé "assez terrifiant". Les films offrant une telle diversité d'expérience sont rares, et c'est tout l'avantage des OCNI qui osent tout. "Tout ce qui se passe dans The Voices reste dans The Voices", car le film peut très bien venir parler à ce qu'il y a de plus profond en vous tout comme il peut rester en surface et vous faire rire - et les deux expériences sont plaisantes.


The Voices est, évidemment, un film sur la schizophrénie - et étrangement, j'ai l'impression qu'énormément de gens l'oublient. Il parle non seulement de la schizophrénie en elle-même, mais aussi de la manière dont elle est traitée, à quel point ce trouble coupe de la réalité - et en même temps, face à une réalité comme la sienne, ne vaut-il pas mieux s'échapper ? Sous couvert de comique, ce film parle de vrais problèmes et fait réfléchir sur la manière dont on voit ce trouble. Face à ce trouble, même la psychologue ne peut pas faire grand chose avec sa grille de questions et ses petites croix : la seule chose qu'elle répète c'est "prenez vos médicaments" - et ce n'est pas parce que c'est une mauvaise psy, c'est juste que face à ce trouble, tout le monde est perdu. Jerry est seul face à ce trouble qui est à la fois son destructeur et son sauveur.


En effet, sa schizophrénie le sauve d'un monde qu'il trouve trop triste, trop morne et trop normal : lors de la scène où


il prend ses médicaments, il voit la réalité telle qu'elle est


et ne peut la supporter. Elle est trop horrible, trop fade, et il s'empresse de jeter ses médicaments.
Grâce à son humour noir et cynique, Satrapi rend le propos plus léger (notamment les meurtres), ce qui permet d'éviter tout pathos inutile ; cependant, cet humour permet aussi de mettre en contraste les scènes comiques (Jerry qui répond à côté de la plaque, son chat qui lui demande "did you fuck the bitch ?"...) et les scènes plus dramatiques


(la mort de sa mère)


qui prennent alors une importance considérable et marquent le spectateur par leur cruauté : car la vie de Jerry est, sommes toute, très cruelle, et on comprend pourquoi il préfère parler à des chaussettes plutôt que d'affronter cette vie.


Jerry parle à une chaussette, à un chat, à un chien et à des têtes coupées - on peut remarquer au passage que malgré l'humour de la situation (une tête coupée qui parle je trouve ça rigodrôle), la schizophrénie en elle-même n'est jamais moquée. On peut développer toutes sortes de théories sur ce que représentent ces voix - car comme le découvre Jerry au milieu du film, ces voix viennent de lui (et non je ne considère pas ça comme un spoiler). Que penser du fait qu'il a une voix (le chat) qui lui dit constamment qu'il est quelqu'un de mauvais ? Que penser du fait que la voix qui lui disait qu'il était quelqu'un de bien (le chien) l'abandonne littéralement à la fin ? Que penser du brusque changement d'avis de (la tête de) Lisa, quand elle passe de "va prendre tes médicaments" à "arrête tout de suite de les prendre" ? Loin d'être là uniquement pour l'effet comique, ces voix disent directement quelque chose sur l'état de Jerry, ses sentiments, sa manière de voir le monde, et c'est à la fois drôle, absurde (dans le bon sens) et subtil.


Puis au milieu de cette vie chaotique arrive, au bout d'1h45, la fin. Cette fin, que beaucoup considèrent comme de "l'humour facile", je l'ai trouvée terrifiante.


Tout comme Balzac qui, lors de sa mort, demande à voir le docteur Bianchon - personnage fictif qu'il a inventé -, Jerry plonge définitivement dans sa folie, dans son monde imaginaire où les victimes de ses meurtres le pardonnent et dansent : bloqué dans sa folie, il n'arrive même pas à affronter une "vraie mort". Cette mort n'est qu'une hallucination de plus, une hallucination éternelle.
Mais c'est vrai que tout de même, voir Jésus danser c'est rigodrôle.


Cette fin, au final, représente parfaitement le film : elle est drôle en apparence, mais dès qu'on creuse un peu elle devient terrifiante. Peut-être que le slogan du film n'est pas si mal trouvé au fond.


Oui, peut-être que j'ai vu dans ce film des choses qui n'étaient pas là, peut-être que je suis allé chercher beaucoup trop loin ; mais en tout cas, ce film m'a touché, m'a marqué par son mélange "doux-acide", et me laisse à la fois une trace drôle et cruelle - sans compter les centaines de théories que l'on peut faire (notamment sur les voix).
Alors, une comédie, vraiment ? Oui, et bien plus. Regardez le.

PuduKazooiste

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8
2

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