Régnant depuis prés de deux décennies sur le monde du blockbuster, les super-héros sont désormais un peu fatigués. Mais, si cela fait un moment que l’on assiste à l’essoufflement du genre, une sorte de renouveau semble émerger peu à peu de la norme ronflante. Récit d’un film qui prend beaucoup plus de risques qu’il n’y paraît. Attention, spoilers à venir.


Gueule de bois


Il y a quelques mois, le superbe Logan de James Mangold nous offrait une réflexion fascinante sur l'évolution d'un genre sur-exploité au point de n'être plus que le fantôme de lui-même, avec son Wolverine fatigué et débordant de regrets et de souffrances.  Car le temps est maintenant venu où le spectateur commence à connaître la chanson et en a un peu ras-la-casquette de se taper l'habituelle bouillasse numérique. Il est vrai qu'il est loin le temps de l'innocence du Spider-Man de Sam Raimi, qui nous en foutait plein les yeux avec une légèreté assumée et n'en cachait pas moins une noirceur terrible, et loin le temps où l'on s'émerveillait devant la découverte des pouvoirs des X-Men de Bryan Singer... Et si certains cinéastes ont su s'approprier le genre pour le modeler en fonction de leur moindres désirs (Nolan et sa trilogie du Dark Knight) beaucoup se sont vu artistiquement castrés par les studios au point de leur claquer la porte au nez (Edgard Wright sur Ant-Man). Mais un entre-deux existe, quelque part entre ces artistes intransigeants et ces réalisateurs "yes men" à la botte des studios. Et c'est précisément là que ce situe Taika Waititi avec son Thor : Ragnarok.


Le réalisateur de ce troisième volet des aventures du Dieu du Tonnerre a su s'infiltrer dans les énorme rouages de Marvel pour y déposer son grain de sable (un peu comme l'avait fait, dans une moindre mesure à mon sens, James Gunn avec Les Gardiens de La Galaxie). Bien sûr, on se doute que même les studios ont conscience de l’essoufflement artistique de l'industrie, et peut être ont-il trouvé en Waititi le parfait compromis. Tout en s'encrant totalement dans la linéarité narrative et esthétique du Marvel Cinematic Universe, Ragnarok parvient à le chambouler de l'intérieur. Après avoir passé un bon moment dans une prison démoniaque, Thor se voit devoir empêcher une prophétie visant la destruction d'Asgard par sa sœur Hela, Déesse de la Mort. Dés lors, le film n'aura de cesse de déconstruire le personnage, ce beau-gosse viril et un peu trop sûr de lui. Capturé, emprisonné, réduit à l'état de chair à canon, symboliquement castré par la destruction de son marteau dans le premier quart du film (qui plus est par sa propre sœur !), le sort de Thor est constamment mis entre les mains de figures féminines dominantes (Hela, la Valkyrie...). Le super-héros n'a, finalement, plus grand chose de super.


C'est en fin de compte en reconsidérant son passé et ce qu'il croyait jusqu'ici acquis que Thor pourra réveiller une force enfouie. Même nos attentes d'un happy end réparateur, qui remettrait la saga Marvel sur ses railles pour la suite, sont déjouées. La fin du film est, à ce titre, hautement symbolique : Asgard est anéantie jusqu'au dernier caillou... détruire les fondations pour mieux reconstruire, bâtir quelque chose de nouveau, voilà ce que Marvel semble nous dire. Et ces prises de positions inédites se font sans pour autant laisser le fan lambda à le recherche de son divertissement confortable sur la touche. En fait, on constate que Waititi n'insulte jamais l'intelligence du spectateur et cela fait un bien fou. A travers cette "comédie d'action science fictionnelle", il parvient à fournir une vraie réflexion sur la remise en question de soi et du monde qui nous entoure. Même Loki, vivant dans l'illusion d'un passé dans lequel il est un héros, devra chercher en lui la faille qui le poussera à changer.


Non, je ne ferai pas de jeux-de mots avec Thor


L'autre prouesse de Waititi, c'est d'arriver à faire mouche à presque chaque gag lancé à la face du public. Il est vrai que l'auto-suffisance comique dont fait preuve le studio depuis un moment peut s'avérer assez agaçante. Entendons par là que Marvel n'a cessé de reproduire la même structure humoristique : une scène supposée épique est désamorcée par une rupture de ton ou un élément inattendu. Sauf qu'à force de répéter le même schéma, tout élément de surprise se trouve anéanti. C'est l'une des limites de Ragnarok. Cependant, là où Les Gardiens de la Galaxie bottait parfois en touche avec sa volonté nauséeuse à vouloir être drôle et cool à tout pris, le film de Waititi vibre véritablement de son humour et rare sont les fois où il dépasse cette fine ligne qui sépare justesse de ton et mauvais goût bourratif. Il ne fait aucun doute que le cinéaste sait comment filmer un gag et il insuffle à ce Thor : Ragnarok la même énergie comique et le sens du timing parfait qui habitait déjà son très sympathique What We Do In The Shadows. Alors oui, ce n'est pas nouveau, le côté second degré de plus en plus présent des films de Marvel Studio a tendance à méchamment réduire l'intensité dramatique des intrigues, et à force de vouloir tout désamorcer par une blague, c'est un peu le revers de la médaille. Ragnarok n'y échappe pas et certaines séquences, notamment celles mettant en scène Hela, auraient mérité un peu plus d'ampleur pour créer le frisson et renforcer l'implication émotionnelle du spectateur.


Pour revenir du côté des réjouissances, ce nouveau Thor propose un univers artistique et visuel riche. Le film arbore une esthétique colorée et rétro proche de celle des deux Gardiens de la Galaxie, qui colle définitivement parfaitement avec l'univers Marvel. La planète du Grandmaster (génial Jeff Goldblum) est bourrée de couleurs pétantes et de costumes steam-punks, rappelant ainsi à la fois Flash Gordon et Star Wars. Thor : Ragnarok déballe donc une imagerie foisonnante, dopée en plus qu'un bestiaire diablement excitant : démons, soldats zombies, loup géant, aliens... nos yeux pétillent et notre cerveaux est en ébullition. Et quand tout cela se trouve en plus supporté par des choix de casting absolument géniaux (Cate Blanchette en Déesse de la Mort est sublime de cruauté) doublé d'une utilisation intelligente de la musique, difficile de cacher son enthousiasme. En effet, que ce soit à travers le morceau Immigrant Song de Led Zeppelin, parfaitement utilisé pour renforcer la puissance de deux séquences terriblement cools ou le score rétro jouissif de Mark Mothersbaugh, la musique de Ragnarok est un pure régal pour les oreilles.


Thor : Ragnarok se place donc tout en haut du panthéon Marvel, aux côtés de Captain America : Le Soldat de l'Hiver et du premier Avengers. Ceci aussi en partie parce-que le film parvient habilement à gérer l'héritage du MCU. Mais, fatalement, il devient difficile aujourd'hui de pouvoir apprécier pleinement un film Marvel sans avoir vu toute la ribambelles de long métrages, plus ou moins bons, qui ont précédés. À titre d'exemple, il aura fallu quand même deux volets médiocres pour arriver à ce pur plaisir de divertissement qu'est Thor : Ragnarok. Allez, on va dire que le jeu en valait la chandelle.


critique originale : https://www.watchingthescream.com/le-camouflage-du-renouveau-critique-de-thor-ragnarok/

watchingthescream
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Créée

le 9 nov. 2017

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Aurélien Z

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