Un conseil à l'intention du cinéphile ouvert au cinéma pop-corn, mais pas pour autant convaincu par la direction qu'a pris Marvel avec ses films : ne tombez pas dans le panneau de la hype. Parce que hype il y a : il suffit de voir les critiques presse, le score Rotten Tomatoes (bien que ce dernier soit une arnaque complète), et le nombre de "super-cool" et "awesome" qu'on entend du côté des YouTubeurs angliches. Il faut dire que les rumeurs de "meilleur film de la saga Thor" ont préparé le terrain. Alors : vrai ou faux ? Oh, vrai. Mais être supérieur à un film de super-héros sympatoche mais générique (le premier Thor) et à une suite insipide (le deuxième Thor), vous admettrez que ça ne veut pas dire grand-chose…


Les défenseurs du film louent le "vent de fraîcheur" qui le porte. Comme si ce vent n'était pas déjà bien vieillot au royaume du préformaté marvelesque : celui de la blagounette systématique. Cette propension à en placer une dans les trois-quarts des scènes de peur d'effrayer, par son sérieux, un public infantilisé, souvent évoquée dans ses critiques par votre serviteur et parfaitement analysée par le YouTubeur Just Write sous le terme un peu technique de "bathos", sape bien des films du studio – quand il y a quelque chose à saper. Le super-héros quitte sa bien-aimée pour un dernier acte dont il ne reviendra peut-être pas vivant (en admettant qu'il y ait un suspense) ? Boum, blagounette. Le grand méchant s'engage dans un monologue aussi dramatique que théâtral ? Boum, re-blagounette. Ruinant tout. Inlassablement. Et vous parlez de fraîcheur avec ce Ragnarok ? Il n'a fait que pousser plus loin ce bouchon aussi exaspérant que stérile, jusqu'au niveau suivant, c'est-à-dire celui qui donne une impression de j'm'en-foutisme total. En résulte une farce (assumée dès le début avec la pièce de théâtre parodique digne du SNL) dans un genre qui s'accommode certes d'une bonne dose d'humour, mais avec une putain de limite. Les Gardiens de la galaxie est le seul Marvel a avoir miraculeusement réussi le pari de la parodie, sans doute parce que ses personnages étaient parfaitement inconnus auparavant, et qu'il ne s'en prenait donc à rien de "culte", mais on s'en fout : c'est cool. Ragnarok, lui, est faussement cool. On l'entend presque crier, du début à la fin, "regardez comme je suis cool !", un peu à la manière d'un quadragénaire embourgeoisé qui chercherait à faire bonne figure devant les amis de son fils adolescent. Ça nous sort de nulle part l'Immigrant Song de Trent Reznor, massacré au passage par une cover inepte, en espérant être "in", mais ce n'est au final que ringard, ou tout au plus cool pour un collégien impressionnable. Ne soyons pas vieux jeu. Si encore on était mort de rire du début à la fin, si l'humour faisait souvent mouche... on pourrait mettre notre cerveau en mode éco, se rappeler que Ragnarok n'est pas en train de commettre un mini-sacrilège puisqu'il ne tourne pas Batman ou Superman en dérision mais un super-héros Marvel un peu anecdotique. Mais hélas, l'humour qu'il propose est plus souvent puéril qu'inspiré ("l'anus de Satan", sérieusement ?). En gros : on sourit souvent, vaguement. Parfois, on rigole. Rien à la hauteur des prétentions du film. Il paraitrait qu'une partie substantielle de Ragnarok a été improvisée. C'est parfait : la méthode "par-dessus la jambe" expliquerait bien la distrayante ineptie de l'ensemble.


Certains courageux ont osé comparer l'importance du film dans la saga Thor à celle du Soldat de l'Hiver dans la saga Captain America. Dans le sens où il l'aurait propulsée dans la cour des grands en lui donnant ses lettres de noblesse. Sérieusement ? Le Soldat de l'Hiver pouvait être pris comme un thriller fantastique au premier degré, avec de véritables enjeux dramatiques, et un sérieux qui ne l'empêchait pas de distiller un humour bienvenu çà et là. Donc, on a déjà du mal à voir le rapport. Mais surtout, nous avons bien précisé que Ragnarok est une farce AUX TROIS-QUARTS. Laissant le quart restant à des choses plus… dramatiques. Censément. Quel plus mauvais plan que ces films qui essaient d'émouvoir sur la fin après avoir fait n'importe quoi, en espérant que le public aura magiquement oublié l'inconsistance tonale de ce qui a précédé ? Rien ne marche dramatiquement, dans Ragnarok. La destruction du marteau du héros, censée "tout changer" et de fait raviver l'intérêt pour le personnage, est un coup essoré jusqu'à la corde à Hollywood (qui nous a fait mille fois le coup du héros soudainement vulnérable, de l'armure de Stark tombant en rade dans Iron Man 3, à Kent perdant brièvement son pouvoir dans BvS, en passant par Wayne touchant le fond dans TDKR…), qui ne donne lieu ici qu'à un show un peu ridicule de Chris Hemsworth, pas vraiment fortiche comme comédien (contrairement à Tom Hiddleston), poussant des cris d'adolescente et se prenant des tartes pour faire… rire ? La pauvre Cate Blanchett, dans le rôle de la grande méchante cruellement infâme, s'agite un peu piteusement dans un rôle pauvrement caricatural, sorte de Maléfique du pauvre, que tout son charisme ne peut sauver (rappelant même le "Jé souis lé méchant et jé déteste les gentils" du Biouman des Inconnus...), ce dès son apparition dans son costume d'Underworld, rejoignant la longue liste des grands acteurs cachetonnant dans des Marvel (comme Ben Kingsley, Christopher Eccleston, ou encore Madds Mikkelsen). Tessa Thompson est une jolie surprise en valkyrie effrontée, mais son arc de vengeance contre Hela, fait de souvenirs traumatiques, n'a aucun poids, comme à chaque fois que le film n'assume plus sa désinvolture pathologique et essaie d'émouvoir un peu son public. Le fond est atteint avec l'exode des Asgardiens, où Idris "je suis pas vraiment nordique mais ça fait rien" Elba joue à Oskar Schindler, pas vraiment arrangé par le côté super-cheap (ce qui est étonnant pour un film doté d'un pareil budget) de tout ce qui concerne la société asgardienne – mention à la scène où Hela fait son grand discours face à une foule composée de trente pauvres figurants mal incrustés. On s'en fout, copine. Du coup, on se fout aussi du tiraillement moral de Skurge, interprété par le toujours charismatique Karl Urban. Désolé, copain.


Bon. Si le film a une (petite) moyenne, c'est que tout n'est pas à jeter. Comme ses blagounettes, fort heureusement (voir Point Break, ou encore la tactique du "get help !"...) : pour trois Thor faisant le con devant Surtur (bâillement garantis dès l'entrée en matière), il y a bien un moment de fun, qui vient généralement d'un des deux arguments de vente suivants : les très amusants buddy movies que le héros forme avec Hulk d'un côté (qui a quelques répliques hilarantes, en mode gamin de cinq ans brimé à l'école), et de l'autre son frère Loki, que le grand Tom Hiddelston interprète à merveille. Dans ces moments, par la grâce de l'inspiration très fluctuante des trois scénaristes ('rarement un bon signe) et de la magie des acteurs, le film devient, sinon mémorable, du moins divertissant. Du coup, l'auteur de ce lignes a beau se plaindre du côté "détendu du gland" de Ragnarok, foutu pour foutu, le studio aurait dû assumer ce dernier à 100%, virer l'intrigue "dramatique" avec la diabolique Hela (puisqu'elle était vouée à l'échec), et se concentrer sur les tribulations colorées sur la planète machintruc. Pourquoi pas monter en grade le Grandmaster joué par Goldblum pour en faire l'antagoniste principal – car en l'état, l'acteur se contente de faire du Goldblum dans un rôle totalement inconséquent ? Las ! Un des critiques ciné de la chaîne Double-Toasted, pour justifier l'excellente note qu'il a donné au film, a déclaré ignorer la partie Asgard pour se concentrer sur ce qu'il aimait, soit le trio Thor-Hulk/Loki sur la planète machintruc. Désolé, l'ami, mais ça ne marche pas comme ça. D'un film, on doit tout prendre. Ou alors, on peut aussi donner une bonne note à l'ignominieux remake du Jour où la terre s'arrêta avec Keanu Reeves sous prétexte que Jennifer Connelly y est bonne (dans les deux sens du terme). Comprend qui pourra.


De la réalisation de Taika Waititi, jeune cinéaste prometteur et "exotique" dont on avait aimé le très singulier What we do in the shadows, et apparemment un gars très sympathique, on ne gardera pas grand chose : tout juste la scène de l'arène, assez impressionnante, bien qu'un peu pompée sur celle de Tron Legacy, et le somptueux flashback des valkyries contre Hela (ce jeu de lumière !), qui donne lieu à des plans assez sidérants de beauté, a fortiori pour un Marvel… bien que dans ce genre de cas, c'est plus le directeur artistique et l'équipe des effets spéciaux qu'il faut récompenser, non ? Pas que le reste de son film n'ait pas de gueule. C'est bien troussé. Comme toujours. Mais c'est tout. Comme toujours. Qu'un Marvel soit réalisé par Kenneth Brannagh, un trublion australien, le réalisateur de Sinister, un anecdotique adepte de romcoms, ou Shane fucking Black, il aura à peu près la même gueule, les trois-quarts du temps. Et Taika Waititi est à ajouter au tableau des cinéastes indés caractériels transformés par un studio tout-puissant en faiseurs génériques. On attend avec impatience de voir si Rian Johnson, à qui l'on doit le génial Looper, s'est cassé les dents sur le nouveau Star Wars


Notes annexes :
- Comment Thor ne comprend-il pas immédiatement que Valkyrie est une asgardienne ? Certes, ils sont sur une planète où tout le monde parle opportunément anglais, et Thor est une comédie fantastique pour ados, mais quand même. Un peu de cohérence.
- Asano Tadanobu a l'air de se demander ce qu'il fout là. À raison.
- Quelle belle ode à la diversité que ce tableau du peuple asgardien en route pour son nouveau chez-soi ! On en oublierait presque l'origine culturelle du mythe. Enfin moi, j'dis ça, j'dis rien.

ScaarAlexander
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le 3 nov. 2017

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Scaar_Alexander

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