On sait que Avatar est un projet qui a traîné dans l'esprit de son géniteur pendant de longues années. Rien de plus logique en visionnant Titanic : Pandora était déjà là sous la forme d'un paquebot (accessoirement surnommé "The ship of dreams", annonçant ainsi le monde CGI onirique du film de 2009), les Hommes sont toujours aussi désireux de soumettre la nature à leur propre volonté par la technologie, et un personnage était déjà perdu entre deux mondes, devant par les événements du film arriver à leur synthèse afin de se libérer du devoir social détruisant à petit feu son humanité.


Titanic et Avatar ont finalement le même but : proposer au public une expérience collective signifiante, par une séparation entre écran et spectateur devenant de plus en plus ténue. Dans cette optique, toute l'introduction du film de 1997 a une visée éducative pour le public afin d'aborder l'oeuvre dans les meilleures conditions. On notera notamment la scène où Bodine explique en s'aidant d'un écran à la Rose de 100 ans les événements qui sont survenus cette nuit du 12 avril 1912. Avec diverses bruits de bouche imitant explosions et autres vecteurs d'excitation, il s'exclame : "Plutôt cool non ?". La réponse de la principale intéressée ?


"En faire l'expérience était... assez différent."


C'est dans ce décalage entre deux regards, celui regardant l'événement de loin et celui en ayant fait l'expérience que se pose le film. À Cameron de prendre le relais afin de communiquer cette expérience à son public. L'émerveillement sera son principal outil : la reconstitution du paquebot dans ses moindres détails, des salons première classe aux fournaises du fond de cale, du quotidien de l'équipage à celui multiculturel de la troisième classe, des machineries cachées jusqu'à l'allure générale du géant de fer, tout sera prétexte à redonner au spectateur son regard d'enfant. Car c'est la capacité à rêver qui est considérée comme primordiale par le film. Rose dira d'une peinture de Picasso : "It's like being in a dream or something. There's truth but no logic.". Cette "vérité sans logique" (validée par le film car permettant de percevoir le génie de Picasso ou Monet avant tout le monde) permise par le rêve trouvera sa personnification dans Jack, l'homme libre de toute contrainte, et dans l'amour déraisonnable qui lie les deux protagonistes. Rose dira par ailleurs : "It doesn't make any sense. That's why I trust it".


L'expérience du film, faisant de l'immersion son but premier par le rêve donc, permet d'obtenir une perception d'une réalité passée laissant de côté tout opportunisme afin d'aborder l'événement avec le respect qui lui est dû. À ce titre, le personnage de Brock (Bill Paxton) apprendra en fin de film à "voir" le Titanic, comme Jack "voit" les femmes qu'il dessine selon les mots de Rose, et bien sûr comme les Na'vis peuvent se "voir" dans Avatar. Une perception qui va au-delà de la simple connaissance, qui relève plus de la connexion émotionnelle et de la reconnaissance d'un parcours conférant une âme à l'entité vue. Cet apprentissage de la part de Brock pour "voir" le Titanic passe d'abord par l'abandon de la recherche du "Cœur de la mer", comme un abandon de l'envie de percer le secret le plus profond de l'océan dans tout ce qu'il a de mystérieux et intrigant.


Cet abandon est décrit comme tout à fait salvateur. C'est d'ailleurs cette envie d'inscrire les choses dans l'éternité en les définissant définitivement qui est condamnée. Brock, parlant du dessin de Rose par Jack, estime qu'il aurait été dommage de voir ce dessin perdu dans les profondeurs à jamais, afin de se défendre des accusations de pilleur de tombe qui lui tombent dessus. La mère de Rose considère comme la tragédie la plus horrifiante de voir ses affaires être éparpillées à la vente, signifiant la fin du nom de sa famille. C'est également l'envie de Cal (Billy Zane) de contrôler sa fiancée jusqu'à l'enfermement, l'envie du capitaine de finir sa carrière sur un coup de force l'inscrivant dans les mémoires, mais surtout l'ambition du Titanic lui-même, décrit comme pouvant "résister aux dieux".


À l'océan de reprendre son pouvoir de fascination sur les individus en les rappelant à leur condition de simples mortels. Et à Rose comme au spectateur de se souvenir de Jack comme d'un souvenir inaltérable, inspiration sans fin de ne jamais se laisser porter par des règles qui n'ont aucune valeur supérieure à l'instinct de survie, morale suprême à ne jamais remettre en doute pour une autre raison que l'amour. Niais ? Un peu. Mais fondamental.

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le 26 févr. 2019

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