Au sortir des perverses années 1980, alors que le politiquement correct n'allait pas tarder à vampiriser les écrans, quelques vieux briscards continuaient de résister en offrant des blockbusters virulents et violents. Parmi eux, le génial Paul Verhoeven, spécialiste de la S-F anar (Robocop, Starship Troopers,...) qui se retrouvait en 1990 à la tête d'une adaptation de Philip K.Dick : Total Recall.


Film culte de la génération VHS, Total Recall mélangeait mémoire, espionnage, martiens et mutants dans un feu de joie d'hyperviolence et de bourrinage complétement irrespectueux de la nouvelle. Dernier vestige d'un temps où le blockbuster pouvait verser de l'hémoglobine, être ironique sur sa nature tout en n'excluant pas une certaine critique de la société, le film du Hollandais Violent tient une place d'honneur dans le coeur des fans, et ce malgré sa kitscherie absolue aujourd'hui. C'est donc avec tiédeur (voire énervement) que l'annonce d'un remake à été accueillie en 2009.


Il faut dire aussi que le projet cumule les tares. Le yes-man Len Wiseman (les deux premiers Underworld et Die Hard 4) à la réalisation, le taré Kurt Wimmer au scénario, Colin Farrell en remplaçant de l'armoire autrichienne, la pas gégé Kate Beckinsale en remplaçante de Sharon Stone, une intrigue qui reste sur Terre, une direction artistique majoritairement digitale (à l'inverse de l'original) et surtout, surtout un PG-13 revendiqué (bye, bye les bras arrachés) histoire de rappeller que, oui, on n'est plus en 1990 et qu'un projet à 150 millions de patates doit souvent être familial.


Bref, tout cela sentait le projet opportuniste, commercial et bien pensant à plein nez. Mais parfois, la loi du (- + - = +) se vérifie et surprend son petit monde. Où comment Total Recall – Mémoires programmées devient la petite surprise de cet été.


La nature même d'un remake est complexe, elle suggère l'évolution en terrain connu (pour ses instigateurs et le spectateur) tout en devant prendre un nouvel angle, une nouvelle approche sous peine de recopiage. De cette tension entre héritage et originalité, rares sont les films qui s'en sortent autrement qu'en étant des versions tunings ou des nanars inutiles. Sur ce point, Total Recall – Mémoires programmées la joue plutôt fine. Reprenant les grandes lignes de l'original tout en s'assurant d'y injecter assez de nouvelles et bonnes idées, le film tire son épingle du jeu et se tire d'une posture d'upgrade luxueux. Le script ne renie en rien sa connaissance du film de Verhoeven (la fameuse nana à trois nichons, la grosse à l'aéroport,...), mais il s'assure toujours de faire différent et de creuser son propre sillon. La démarche est astucieuse, raisonnable et appréciable et même si tout cela reste très conventionnel et ne réinvente pas du tout la roue, l'ensemble est cohérent et rythmé.


Total Recall – Mémoires programmées se sauvegarde donc habilement de la comparaison avec son illustre modèle d'un point de vue narratif. Il invente également un univers de S-F intéressant et cohérent dont la mythologie et les règles sont bien pensées et excitantes. La violence de l'original cède forcément la place à un ton plus politiquement correct mais le film ne plie pas pour autant vers la régression infantile.


En cela, le film ne fait qu'asseoir son évolution déférente mais différente, sans cynisme aucun mais avec pleine conscience des enjeux de ce remake. Soutenu par une direction artistique de haute-volée, où chaque centime est dépensé pour en mettre plein les yeux, le film est visuellement stupéfiant et participe à l'immersion dans cet univers futuriste, riche et dense. Wiseman filme cela avec soin et application, dote son film de quelques envolées spectaculaires et accumule les money-shots dans un montage rythmé et lisible. Sans génie mais avec efficacité, comme il sait plutôt bien faire quand il ne succombe pas à ces penchants clippesques, Wiseman offre une somme assez incroyable et généreuse de séquences d'action trépidantes. Beaucoup, beaucoup d'action donc, peut-être même trop (histoire de masquer l'absence de psychologie et de thématiques) mais dans une époque où on paye 10 euros la séance, le résultat offre le grand spectacle pop-corn estival qu'il promet. De la belle ouvrage, c'est déjà pas mal par les temps qui courent.


Cependant, le film suscite un gros mais qui ne saurait être écarté. Car en regardant bien, si le résultat ne pille pas trop Verhoeven, il s'autorise de nombreux emprunts un peu partout ailleurs et ce à tous les niveaux (écriture, réalisation comme production design). Un petit peu de Jason Bourne, une dose de Minority report, une couche de Blade runner (K.Dick pille K.Dick), quelques tranches de Star wars,.... Voilà un petit inventaire de ce que Total recall – Mémoires programmées agglomère nonchalamment pour se construire, paradoxalement, une impossible identité (Underworld fonctionnait sur le même principe). Et encore, on ne parle ici que de cinéma car Wiseman joue aussi et ça se voit. Vas-y que Colin Farell (dans un mimétisme physique troublant) court de toit en toit avec une agilité primate tel Nathan Drake dans la saga Uncharted, que les synthétiques piquent leurs armures au héros de Vanquish ou Dead Space, que l'univers glisse de façon roublarde quelques éléments de Deus ex – Human revolution,.... J'en passe et des meilleurs.


Un patchwork de références donc, que l'équipe ne prend même pas soin de cacher (certains plans évoquent ni plus, ni moins des séquences de jeu-vidéo) car consciente de remaker quelques décennies de pop-culture. Pas de quoi crier au sacrilège, ça fait belle lurette que le cinéma américain s'autocite plutôt qu'il ne se renouvelle, mais la démarche est dommageable car elle empêche le film d'avoir sa propre identité, sa propre âme et ainsi de dépasser son statut de pur divertissement. Dans le genre, on a vu agencement bien moins fin et plus malhonnète, mais cette pratique hyper-courante est symptomatique des réalisateurs geeks et d'une industrie à leur diapason. L'incapacité de prendre de la distance avec les références adulées empêche souvent la création d'un style et d'un univers propre, que ce soit thématiquement ou visuellement, et condamne les films à n'être que des hommages, des copies, des best-of de et non des oeuvres singulières. La bataille ne se livre donc plus tant sur le terrain de la création mais sur celui de l'éxécution, de la fabrication qui, elle seule, valide ou invalide la proposition. Dans cette optique, et sans être un grand film (faut pas pousser), Total recall – Mémoires programmées s'en tire ainsi plutôt bien.


D'honnête facture à tous les niveaux de sa fabrication, Total recall – Mémoires programmées tire son épingle du jeu en ne cherchant jamais à être plus malin que ce qu'il est, à savoir un remake cossu avec pour seule ambition de divertir. Force est d'admettre qu'en l'état, vu les inquiétudes à son sujet, le film surprend et son sens affuté de l'entertainment l'emporte sur d'autres considérations plus universelles. Une bonne surprise, un bon film de studio, le minimum attendu ce qui, en 2012, signifie déjà beaucoup.

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le 17 août 2012

Modifiée

le 17 août 2012

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Adrien Beltoise

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