Touch Me Not
5.2
Touch Me Not

Film de Adina Pintilie (2018)

À travers l’observation, et la dissection de la chair, Adina Pintilie s’interroge sur l’intimité et la confiance de chacun en son propre corps dont découle une sexualité enivrante et libératrice. Dans l’environnement froid d’un centre hospitalier, à l’esthétique quadrillée et translucide, Touch Me Not n’est pas une œuvre qui se veut facile d’accès.


Au contraire, il faudra gratter sous ce vernis de froideur, de frustration, d’anesthésie de sensualité et sous cette couche de chair parfois laissée inanimée par la mise en scène, pour apercevoir la finesse du propos sur la position du soi dans le monde. Que cela soit à travers une sorte de thérapie de groupe où Tomas et Christian se rendent et apprennent à se comprendre l’un l’autre, ou par le biais des entretiens que vit Laura avec des prostituées ou des personnes pouvant l’aider à se réapproprier son corps, Touch Me Not parait au premier abord, trop cérébral et enfermé dans son dispositif volontairement lourd pour aller plus loin que son sujet initial.


La première chose qui nous vient en tête lors des premières minutes du film, c’est le parti pris courageux et audacieux de la cinéaste de parler de l’intimité, de la sexualité, de la luxure de corps, de personnes qui sortent du cadre habituel hollywoodien ou même des conventions que nous impose l’imaginaire collectif de la société : Christian, qui ne peut pas bouger suite à une atrophie des membres parle de sa beauté comme « sortant des normes ou des conventions ». La réalisatrice parle elle, « de vrais gens » : le film laisse ce sentiment paradoxal, de vouloir traiter de choses inhabituelles pour les rendre habituelles. Ici, il n’est pas question de normalité ou de singularité, mais de donner la parole aux « invisibles », à ceux à qui on ne donne pas souvent le droit de s’exprimer dans la sphère cinématographique, pour en faire une étude sur une intimité qui sort des vieux schémas.


En s’insérant dans son film à travers un écran, faisant de lui une fiction aux allures de documentaire, Adina Pintilie se questionne avec Laura, montre ses propres doutes quant à l’existence même de son film, et peine donc parfois à matérialiser la jouissance ou la sensualité qui émane de cette étude. Le fait qu’elle exprime ses pensées devant le spectateur, elle montre aussi son incapacité à rentrer en communion totale avec les acteurs/personnages qu’elle est en train de scruter. Trop pensif peut être, trop réflexif dans ses intentions, trop distancier dans le regard caméra, l’expérimentation radicale qu’est le film déroute par son incapacité à révéler toute la beauté des corps, comme si les protagonistes du film restaient au stade de cobayes et non à un stade supérieur.


Même dans ces instants volés dans une boite/lieu BDSM, le film se révèle froid : on entend les cris de jouissance, mais on ne les ressent pas. C’est un peu le cas de Touch Me Not, qui de manière inconsciente (ou non), n’arrive jamais à sortir de l’aliénation de son dispositif visuel estudiantin. Comme si la caméra voulait observer ses moments sans les vivre. La réalisatrice ne sait pas où poser sa caméra pour rendre grâce aux corps en question. Mais peut-être que cette froideur s’avérait inévitable : c’est ce que l’on comprend au fil de l’œuvre. La cinéaste filme aussi des corps, des âmes en peine (notamment Laura et Tomas) qui errent pour enfin donner sens à leur pulsion, qui sont devenues prisonniers de leurs carapaces corporelles, isolées les unes des autres par honte ou même traumatisme et qui ont du mal à mettre des mots sur un blocage et des limites qui leurs sont parfois insurmontables.


Quand l’esprit lui-même n’a plus cette faculté à exister, le corps ne répond plus. D’où ce manque de connexion entre la caméra et un corps « en réparation » : cette solitude n’est jamais évidente à visualiser. Sexualité, ou désir au cinéma, ne signifie pas automatiquement chaleur, et fougue : nous ne sommes pas obligés de voir les corps comme dans les films d’Abdellatif Kechiche, par exemple. La question du désir au cinéma peut être posée de plusieurs manières, sans forcément que la mise en scène ne la visualise d’une manière solaire : on se souvient du personnage de Isabelle Huppert dans La pianiste, de celui de Michael Fassbender dans Shame ou même de la sexualité presque morbide et économique dans Paradis : Amour d’Ulrich Seidl ; froid, presque autodestructeur mais cela prend sens avec son environnement.


C’est donc de cette autarcie, de ce musellement de l’anatomie, puis de cette évolution dans la compréhension de chacun que Touch Me Not apporte le fruit de son travail et sa beauté profonde : au fil des discussions, de la libéralisation de la parole de chacun et de ce sentiment de sécurité qui s’éveille en eux, les personnages de Touch Me Not « touchent » du doigt le Graal : pouvoir donner vie à un corps, ne plus être une marionnette inanimée, et cette sensation d’appartenir au monde, et de n’y faire qu’un dorénavant.


Article original sur Lemagduciné

Velvetman
6
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le 30 nov. 2018

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