Le film d’Eli Craig commence comme un de ces slashers américains comme tout amateur de cinéma populaire a pu en voir cent : des étudiants en voiture qui partent en vacances à la campagne, des bouseux forcément rustres et patibulaires, le campement des vacanciers planté sur les lieux d’un ancien carnage, une vieille cabane mal entretenue au milieu des bois, tout y est. Tous les connaisseurs du cinéma US savent que certaines de ces représentations sociologiques font partie en quelque sorte des mythes du genre et participent, d’une certaine manière, à la transmission d’un certain soft power archétypique, à mille lieues de l’Amérique réelle. Ces slashers peuvent être divertissants mais ils font souvent grincer des dents à cause de leur manichéisme, de leurs caricatures éhontées présentées comme des évidences, véhiculant le mépris de la classe moyenne urbaine (les étudiants, tous jeunes, beaux et vaguement instruits) à l’égard de ceux qu’elle appelle avec morgue les rednecks, c’est-à-dire les paysans, les habitants de la campagne, présentés comme laids à faire peur, toujours à la limite de la débilité mentale, frustrés, inaptes à toute communication et assassins en puissance. Depuis "Deliverance" (John Boorman, 1972) et "Massacre à la Tronçonneuse" (Tobe Hopper, 1974) c’est à peu près cette image qui est renvoyée au spectateur.

Seulement, Eli Craig a décidé cette fois de subvertir les codes du genre, d’interroger les préjugés sur un mode comique, ce qui fait de son film un cas tout à fait différent des autres. Ses rednecks à lui sont deux braves gars venus retaper la vieille baraque qu’ils viennent d’acheter et pêcher un peu, et ses étudiants des jeunes paranoïaques complètement aliénés par les idées préconçues qu’ils ont sur les ruraux. Suite à une série particulièrement drôle de quiproquos, les étudiants croient qu’une de leurs amies (une blonde siliconée à taille de guêpe, histoire de respecter les codes imposés) a été kidnappée par les deux pêcheurs alors qu’ils l’ont au contraire recueillie chez eux après l’avoir sauvée de la noyade. S’ensuivront une série de méprise au cours de laquelle les étudiants, victimes de leur propre abrutissement, trouveront la mort sans que les “bouseux”, effarés par tant de violence et d’acharnement, n’aient à répandre la moindre goutte de sang.

Bref, ce film a un petit goût assez sympathique de lutte des classes à l’américaine, les méchants ne sont pas du tout ceux qu’on croit, et les rednecks, sans même le vouloir, simplement en essayant d’aider leur prochain, prennent leur revanche contre cette jeunesse dorée, rejetons de la bourgeoisie arrogante venus folâtrer loin de la grande ville. Un retournement de situation qui fait plaisir à voir !
David_L_Epée
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le 17 mai 2014

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David_L_Epée

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