Facile de critiquer, de rejeter en bloc ce film.
Facile d’affirmer que ce film incite à la violence et au meurtre.
Ce film dépasse tout ce qu’on peut lui reprocher grâce à ce paradoxe : dans sa violence exagérée, il est précisément ce qu'il cherche à dénoncer.


Cette affirmation est d’abord édifiante dans la critique des médias telle que sous-entendue par O.Stone. Le plaisir du couple à enchaîner les meurtres (plus d’une cinquantaine !) ne serait qu'une réponse à un trop-de-TV. Notons que Stone démonte de la même manière la justice avec le portrait égocentré du flic Scagnetti – auteur d’une autobiographie modestement intitulée « Scagnetti sur Scagnetti » – le but des médias, de la justice n’est pas de servir l’homme mais, simplement, de garantir notoriété et richesses à leurs acteurs. Pour ce faire, les médias ont besoin de la violence. Et cela ne se limite pas aux films d’actions ou à GTA. Prenons l’exemple d’un journal télévisé. Il est difficile de faire un JT s’il ne s’est rien passé. Les médias ont besoin des faits divers et vivent du sensationnel. Le point majeur du film, et qui pourrait apparaître comme une faiblesse, c’est qu’il se prend à l’engrenage : le film est ultra-violent et participe à ce processus généralisé de désensibilisation à la violence. Mais Stone a bien affirmé que la violence du film est consciemment exagérée, elle se pose en satire du média, en une sorte de « cartoon filmique ». La réalisation technique, avec la caméra qui tangue et donne la nausée, les effets LSD multicolores, les serpents, les grands espaces, peuvent donner raison à ce que j'appelle un « cartoon filmique satirique ».

Une autre des conséquences des médias selon Stone, c’est la confusion qu’ils créent entre la violence et le sexe. Pendant une scène, Mallory et Mickey s’embrassent dans un lit mais, pour conclure l’acte, ils se sentent obligés de regarder la TV, placée à côté d’eux, qui passe Scarface. Ils ne peuvent pas être excités sans une imagerie violente. Selon Stone, les médias et l’industrie pornographique ont dénaturé le sexe en le mélangeant avec la violence. Mais, inversement, la violence pourrait également se substituer au sexe. En effet, pendant la fusillade chez le pharmacien, un reporter qui couvre l’évènement utilise un vocabulaire très spécifique : Mickey tient un « big gun » ; quand finalement, il se rend, le reporter déclare qu’il est « impuissant ». En définitive, dans nos consciences postmodernes, tuer quelqu’un procurerait la même sensation que faire l’amour.

D'autre part, Mallory et Mickey sont encensés par le monde entier grâce à la TV. O.Stone montre là que les médias transforment des meurtriers de masse en héros nationaux. Quelle responsabilité alors des médias dans l’explosion actuelle de la violence aux Etats-Unis ?


Mickey, interprété par Woody Harrelson, est un personnage nietzschéen de base. Amoral, il considère le meurtre comme un acte peu significatif : "It's just murder man. All God's creatures do it in some form or another." Pour lui, tuer une cinquantaine de personnes équivaut à déraciner des arbres ou écraser des insectes. Il pense que le meurtre n’est pas un problème car tout le monde est destiné à mourir. Ce n’est donc pas moral ou immoral, c’est juste un fait. Un fait qui, en plus d'être dénué de moralité, est « pur », « authentique ». Pour preuve, Mallory et Mickey agissent dans l’instinct, sans censurer leurs pensées : ils veulent tuer quelqu’un, ils le font, point. Et ils l’assument fièrement : ils font en sorte de laisser une personne vivante à chaque crime de masse pour qu’elle puisse rendre compte de leurs violences, via les médias. Dans un sens, Mickey et Mallory sont authentiques, ils sont responsables et assument leurs actions alors que le personnage du journaliste Gayle a passé sa vie à essayer d’être quelqu’un qu’il n’est pas : il se révèle à la fin, dans une jouissive tuerie meurtrière. Avec cette conversion d’un homme « sain », « acteur de la société » à sa vraie nature, O.Stone pose alors là une question fondamentale : l’homme n’est-il pas « un loup pour l’homme », un animal naturellement violent et meurtrier – un TUEUR NÉ – un NATURAL BORN KILLER ?
OG_LOC
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le 27 mai 2014

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