Sorti en 1983, Fire and Ice (ou Tygra, la glace et le feu dans nos contrées) est le fruit de la collaboration entre le réalisateur Ralph Bakshi et le géant de l’illustration d’heroic fantasy et de space opera, Frank Frazetta. A cette époque, Bakshi était surtout connu pour avoir réalisé l’irrévérencieux Fritz the Cat, premier dessin animé commercial classé X (et pour cause, il relatait les tribulations sexuelles d’un chat anthropomorphique, saupoudré de drogues) mais aussi pour le pharaonique projet d’adaptation du Seigneur des Anneaux. Un projet trop ambitieux, casse-gueule, qui malgré une bonne volonté ne pouvait se concrétiser que par un échec. Pour sa nouvelle incursion dans la fantasy, il veut faire simple, élémentaire, et va entrer en contact avec celui qui arrive a créer un univers en une seule image : Frank Frazetta.
L’illustrateur des plus belles représentation de Conan évoquait d’ailleurs les balbutiements du projet de la sorte : "Ralph Bakshi m'a contacté. Il voulait se servir de tous mes personnages existants tels qu'ils apparaissaient dans mes peintures, La Féline et tous les barbares. J'ai dit : Hou la la ! Ça sonne bien. Quel est l'enjeu ? Il me l'a dit et, bon sang, c'était vraiment génial." L’artiste va donc concevoir l’aspect visuel du film mais également participer au scénario en compagnie de Roy Thomas, auteur des Comics Conan the Barbarian pour Marvel, et de Gerry Conway, autre transfuge de la "maison des idées".
Fire and Ice propose donc des personnages très épurés. Teegra (et non Tygra), la princesse, ressemble au premier abord à la demoiselle en détresse par excellence. Dans le plus pure style Frazetta, elle est dotée de très jolies courbes, de celles qui déclenchent des guerres et pour lesquels on érige des tours. Mais contre toute attente, ce qui la caractérise le mieux, c’est sa personnalité. Éduquée, profondément humaniste, elle s’offusque de rester recluse à Firekeep pendant que les hommes tirent toute la gloire de leurs batailles. Mais attention, lorsque sa vie est en danger, elle n’hésite pas à prendre les armes et à faire preuve de ruse. Bon, relativisons ces belles idées progressistes, la jeune femme passe les 80 minutes du film dans un bikini rikiki qui cache le minimum nécessaire pour éviter la censure.
Larn, le jeune guerrier au cœur pur n’est pas habillé davantage, à vrai dire. Et sa musculature en ferait frémir plus d’un.e. Téméraire et courageux, toujours prêt au combat quand il s’agit de sauver la princesse, il est cependant bien fade par rapport à cette dernière.
Nekron et Juliana, de leur côté, opèrent dans une logique de conquête et d’extermination. Ils n’ont d’autre but que la prospérité de leur camp. Ils sont une pure incarnation du mal en opposition au couple Teegra et Larn, qui eux, sont les artisans du bien.
Le Bien contre le Mal. Le feu contre la glace. Bon, on voit le tableau : Fire and Ice, film manichéen ! Alors OUI… mais avec une nuance. Et une nuance de taille qui s’appelle Darkwolf.
Ce dernier personnage est l’incarnation même du héros solitaire. Affublé d’une tête de loup qu’il porte comme un masque, Darkwolf est le croisement improbable entre Batman et Conan le Barbare. Taiseux, énigmatique, capable de tuer comme il respire, on ne sait rien de son histoire mais on devine qu’il a un passé commun avec Juliana et Nekron. Dès lors, on ne sait pas clairement à quel camp le rattacher. A travers ce personnage, nettement moins lisse que les autres – et donc plus fascinant – le film nous sort soudainement de ce faux manichéisme dans lequel il baignait pour nous dire que parfois, pour combattre le mal, le bien absolu ne suffit pas. Mieux vaut lui opposer un autre type de mal !
A l’instar de ses personnages, l’univers de Fire and Ice est lui aussi épuré mais d’une beauté picturale à tomber par terre. Le royaume d’Icepeak est taillé dans la glace tandis que celui de Firekeep est creusé à flanc de volcan. Nous ne sommes pas dans un monde médiéval fantastique mais dans une préhistoire fantastique, à l’instar de l’âge hyborien de Conan, le Cymmérien. Pour preuve, les montures des troupes de Jarol (les dragonhawks) ne sont ni plus ni moins que des ptérodactyles tandis que les sbires de Nekron sont en fait des hommes préhistoriques, cousins de nos ancêtres ayant suivi une autre branche de l'évolution. Le final de Fire and Ice dépeint un événement cataclysmique à mi-chemin entre le déluge et une phase 2 de la Génèse, qui changera à jamais le cours de la civilisation. Pas de doute, Bakshi nous livre ici un mythe primitif, une épopée mythologique qui livre sa richesse à travers l’image (merci Frazetta) et relègue les dialogues au second plan.