Peinture noire et horrifiante de l'Inde contemporaine au travers d'un fait divers, Ugly est un film éprouvant.
Avant tout, le cinéma Indien au travers d’Anurag Kashyap montre qu'il veut s'ouvrir au monde. Car si ce dernier est méconnu en Europe, il est le cinéma le plus consommé en Asie et le plus productif au monde avec plus de 1200 films par an.

Ce qui se joue ici comme en Corée du Sud, c'est un nouveau cinéma.
Un cinéma cultivé, qui a assimilé les codes hétéroclites de plusieurs continents comme le montre les Coréens depuis 10 ans en renouvelant tous les genres qu'ils touchent et en les mélangeant au travers d'une même œuvre.
En exemple des films comme Memories of Murder, The Host ou Laurence Anyways montrent qu'il existe une génération émergente de cinéastes qui bousculent les acquis.

Jamais de toute ma vie, je n'avais vu avant Ugly un film aussi féroce avec son propre pays et aussi pessimiste quant à son avenir.
A l'instar de Memories of Murder, on suit ici un fait divers révoltant au demeurant, et très vite le film va dévier de son approche initiale pour aller vers une description plus ouverte de la situation en Inde.
Mais la grande différence, c'est qu'ici l'espoir n'est jamais permis au spectateur. Car les portraits qui se succèdent de gens "normaux" sont inexorablement amoraux, au sens judéo-chrétien de nos cultures occidentales.
Sans entrer dans les différences de castes ou de statut sociaux en détails, Anurag Kashyap dévoile des Indiens qui ne sont plus touchés que par la haine, l'ambition personnelle et l'avidité au prix de la perte globale d'humanité et de fraternité.

Ces gens ordinaires nous frappent d'autant plus qu'aucun d'entre eux n'est "dangereux" comme dans les enquêtes classiques où l'on peut toujours se raccrocher à la distance qu'il y a entre nous et le malfaiteur tout en suivant un agent de la justice civique ou morale. Non. Ugly va mettre vos nerfs a rude épreuves, et si nous, spectateurs occidentaux pourront mettre une distance avec la culture Indienne, je n'ose imaginer la portée du message dans son pays natal.

Les acteurs sont saisissants. Notamment les quatre acteurs principaux masculins divisés en deux couples. D'un côté Ronit Roy et Girish Kulkarni respectivement en Chef de le Police et Inspecteur et de l'autre Rahul Bhat le père et Vineet Singh son producteur et ami.
Ronit Roy incarne une justice trop violente pour agir avec clarté et qui échoue justement dans sa volonté de "nettoyer" le crime à cause des implications et jugements personnels.
Girish Kulkarni lui tient le rôle d'une administration aux ordres mais se montre dénuée de sens critique et va même jusqu'à outre passé ses droits et devoirs de service public dans le but de plaire à sa direction.
Vineet Singh est lui le reflet le plus noir en incarnant un homme sans limites, qui n'éprouve de tristesse et de compassion que pour lui-même, peu importe la situation dans laquelle il se trouve impliqué. Il est certainement le portrait le plus décadent de Anurag Kashyap et le plus universel aussi, car pas directement impliqué, ni directement touché par les évènements, il ne va agir que par intérêts.
Rahul Bhat, le père est lui l'image de la perte de repères des citoyens.
Au départ juste négligeant, il va peu à peu sombrer dans le sordide dont il provient au contact des gens qui l'entourent et dévoiler par petites touches toute la haine contenue en lui face à sa propre médiocrité autant intellectuelle que sociale.

Techniquement le film est assez sobre.
Pas d'effets particuliers qui pourraient surcharger ou dévier le propos.
Les plans évitent l'horreur d'images choquantes en tombant jamais dans le sordide.
Car le "moche" d’Ugly ne se situe pas dans les images. Tourné entièrement en lumière naturelle à mon avis, la photographie ne ressemble pas avec ce que l'on a l'habitude de penser de l'Inde.
On est ici très proche des couleurs et des environnements que l'on peut trouver dans les banlieues du sud de l'Europe comme Almeria ou Naples.
Des bâtiments et des routes cramés par un soleil de plomb qui subissent autant l'érosion du temps que de la pollution.

Le film s'ouvre avec une scène très agressive de la dépression du quotidien et se clôture à l'inverse avec une scène placide de l'horreur ponctuelle.
Cette dernière scène sera d'ailleurs la seule à montrer de plein fouet l'insoutenable.
Anurag Kashyap marque ainsi son propos qu'il ne peut y avoir d'autre issu que le carnage au sens premier du terme dans une société composée exclusivement de prédateurs.

Ugly est un film qui fait mal, très mal à quiconque acceptera de gommer le vide qui le sépare de la culture indienne.
L'Inde est un pays profondément malade selon Anurag Kashyap.
Premier foyer mondial de population très prochainement, les conséquences d'une telle autarcie morale ne prévoit rien de réjouissant sur l'avenir de ce pays selon lui.
Arthur_Kilman
7
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le 4 juin 2014

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Arthur Bobinna

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