Magnifique film de Sautet qui réussit à saisir le pouls d’une époque, entre conflits de générations, de classes, de genre, le tout avec une superbe galerie de personnages très bien écrits et des acteurs parfaitement dirigés, Le Mauvais fils a certes pris quelques rides, mais garde un charme fou.
Commençons par le plus évident : la prestation de l’excellent Dewaere. On dit souvent qu’il rappelle le style Actor’s studio, qu’il est ici comparable au grand Marlon Brando ; il faudrait tout simplement dire que Dewaere joue vrai, comme son nom de famille l’indique d’ailleurs (Dewaere = le vrai), qu’avec son silence gêné, un regard ou action de folie il dit tout, si bien qu’il est vraiment magistral. Certes, le personnage n’est pas sans rappeler l’acteur, au contraire : addiction à l’héroïne, femme elle aussi accro, conflit familial à la base agissant comme le traumatisme déclencheur. Néanmoins, alors que la vie de Dewaere est l’histoire d’une déchéance pleine de fatalité, celle de Bruno (le personnage) est, malgré les épreuves, une véritable rédemption, Sautet préférant délivrer un message plein de positivisme, comme s’il voulait dire « tu peux t’en sortir, à force de persévérance et d’abnégation; ceci n’est pas une fatalité ».
Positivisme donc de Sautet, mais jamais d’angélisme et encore moins de pathétisme, et ce malgré les tragédies individuelles qui hantent le film (mort, séparation, toxicomanie) et les nombreux fléaux de la société d’alors dont il traite direct ou indirectement : addictions (drogue, alcoolisme), chômage, précarité, pertes de valeurs, déliquescence de la famille. Taxer donc Sautet de positivisme comme de quelque chose de négatif, comme le lui a reproché l’ange déchu Dewaere, est une erreur. Sautet montre bien comment nous marchons constamment sur le fil du rasoir et comment tout peut basculer d’un côté ou de l’autre en un instant, au point qu'il parvient à créer une attente perpétuelle du drame, tant Bruno a l’air d’obéir à une Providence vengeresse qui le rattrapera au détour d’une nouvelle épreuve, au moment où l’on s’y attend le moins.
Sautet s’est armé en fait ici d’un scénario remarquable : rythme parfaitement maîtrisé, suspens continu, équilibre des forces, sobres mais excellents dialogues (la palme sûrement pour la tirade de Dussart), en plus d’une parfaite caractérisation des personnages, ayant tous leurs défauts et leurs vertus, tous un peu coupables de quelque chose au fond, mais tous humains et bénéficiaires de notre empathie, du père René (l’excellent Yves Robert) à Madeleine (Claire Maurier) en passant par Catherine (Brigitte Fossey) ou Dussart, le libraire homo (Dufilho).
Certes la mise en scène et l’esthétisme n’ont guère compté ici. Mais, même s’il s’éloigne de son objet d’études habituel (la peinture de mœurs bourgeoises) et s’attaque à une classe plus prolétaire, Sautet réalise un travail d’une très grande justesse et maturité.
8.5/10