"Une histoire vraie" n'est pas un film brillant, ni dans la forme, ni dans le fond. Les sujets abordés sont austères : la vieillesse annonciatrice du naufrage et la brouille entre frères. David Lynch filme chez les ploucs du Middle West - avec tendresse - leurs corps obèses, déformés, souvent à bout de souffle.
Oui, mais "The Straight Story" est une oeuvre profonde, d'une richesse humaine aux multiples résonances. Confronté à de sérieux problèmes de santé, Alvin Straight (73 ans) apprend que son frère Lyle vient de subir une crise cardiaque. Ils sont brouillés depuis dix ans et vivent loin l'un de l'autre.
Alvin le taiseux, vraie tête de pioche, n'accepte de voir le docteur que lorsqu'une chute le cloue à terre. Et il refuse tous ses sages conseils : cesser de fumer, améliorer son alimentation, soigner ses infirmités... Il rejette le statut d'infirme en sursis. Son projet est d'aller voir son frère et personne ne pourra l'en empêcher. A sa fille Rosie, il lance : "Je mourrai centenaire !" Mais sa vantardise ne les trompe guère. Le temps manque, Alvin veut agir vite, retrouver Lyle avant leur mort annoncée.
Ne soyez pas impressionnés par le côté crépusculaire du film, car ce crépuscule est d'une beauté d'arc-en-ciel. Pour son odyssée de la réconciliation, Alvin conduit un tracteur tondeuse... Cinq cents kilomètres à se traîner sur des routes interminables ! Des semaines à contempler du maïs, à perte de vue... Alvin veut se réconcilier avec lui-même, balayer cette brouille imbécile, mourir sans regret ni remord. Sur le siège de sa tondeuse, il rêve de fumer le calumet de la paix avec son alter ego, son frère de sang. Il souhaite se réconcilier avec le monde - malgré ses infirmités et ses deux canes - prouver qu'il est encore capable de voyager.
Voyager à la vitesse de limace d'une tondeuse à gazon ?
Cela attire les sympathies et Alvin Straight recueille bien des confidences. Et forcément, le cow-boy taiseux parle de sa famille et de sa vie, par bribes révélatrices. Les silences prennent une grande place entre les souvenirs et les réflexions, au coin d'un feu de camp avec une auto-stoppeuse fugueuse, au crépuscule avec un pasteur ou dans un bar entre anciens combattants aux cauchemars hypnotiques.
Les rencontres surprennent, enrichissent les êtres que le hasard présente. Une automobiliste tue un daim sur la route, son tableau de chasse en compte une douzaine, elle qui aime tant les daims... La viande fraîche abonde ! Un trophée fixé sur son énorme remorque, Alvin continue son odyssée de la réconciliation...
Un jour il s'arrête pour mieux jouir du défilé bariolé de coureurs cyclistes aux envolées de papillons...
"The Straight Story" est un meilleur titre que "Une histoire vraie", car il joue sur plusieurs sens. On peut le traduire par "L'histoire de (Alvin) Straight" aussi bien que par "Une histoire droite ou juste". Chez nous, l'étiquette "d'histoire vraie" est un poncif catastrophique. L'industrie des rêves aime les banalités publicitaires. David Lynch le sait bien, une histoire réussie est toujours vraie. Alvin réussira-t-il à faire la paix In Extremis avec son frère ?