La recette pourrait paraître simple au premier abord. Barcelone en été sur fond torride de guitare. Deux touristes américaines aux antipodes l'une de l'autre : Vicky, une brune fiancée et cérébrale contre Cristina, blonde sulfureuse et avide des joies de la vie. Et entre les deux copines un Espagnol, charmeur et envoûtant, qui tisse sinueusement la toile du désir sur les deux amies sans toutefois dépoussiérer celle de son ex-femme, folle, dont la relation d'attraction-répulsion vient miner tous les dogmes de la vie conjugale.
Toutefois, et comme souvent lorsque Woody Allen est aux commandes, on assiste ici non pas à un drame erotico-moraliste nunuche mais à une réelle interrogation sur les fondements de nos désirs et les conjonctures qui les fondent. Car c'est avec minutie que ce film vient balayer les certitudes amoureuses. Alors que l'une se croit heureuse dans la stabilité émotionnelle de son couple, une simple aventure avec un inconnu l'emmène à reconsidérer son mariage. Tandis que l'autre, ayant la routine en horreur, vient à connaitre avec le même homme les méandres d'une vie de bohème nourrie d'art et de passion. Partout où il s'immisce, le désir vient à être ici un problème. Insatiable, changeant et guidé par les circonstances, on voit que trop bien à travers les personnages de Rebecca Hall et Scarlett Johansson le risque de le conjuguer avec bonheur. L'un est un état stable qui nécessite parfois une habitude instituée et l'autre un mode de vie - je dirais même une esthétique - bringuebalant.
Tout l'enjeu de Vicky Cristina Barcelona est d'explorer un éventuel équilibre entre ces deux prismes. Il peut se trouver temporairement dans un triolisme comme c'est le cas avec Maria Elena dont la folie vient tempérer le repli progressif de Cristina. Ou bien dans une douce rêverie érotique d'un autre homme qui, pour Vicky, s'avère être au début de ses retrouvailles avec son futur mari le moyen de retrouver l'excitation. Mais, comme inéluctable, on ne peut que constater la vanité de telles relations et Woody Allen de nous le rappeler habilement sans toutefois introduire de jugements de valeur ni de scènes de fin trop dramatiques ou mielleuses. Une simple boucle temporelle permet de clôturer cet été lorsque les deux femmes rentrent comme elles sont arrivées, laissant les conclusions de ce court interstice espagnol ouvertes à l'interprétation du spectateur.
On notera tout de même que le réalisateur américain marque un point d'honneur à souligner les différences culturelles entre les États-Unis au matérialisme suranné et l'Espagne, terre d'art et d'épicurisme effréné.
En dehors des magnifiques clichés de l'Espagne dont on pourrait presque sentir la chaleur en regardant ce film, Woody Allen a réuni un casting inouï qui donne à sa réalisation un charme palpable et indéniable. Mention d'honneur à un Javier Bardem ensorcelant qui, du bout de quelques phrases à l'accent ibérique, vient donner une leçon de séduction à tous les hommes de la terre.