« L'histoire ne se répète pas, elle bégaie », affirmait Karl Marx avec discernement. 1955, le Japon est encore bouleversé par la menace nucléaire, et le souvenir d'Hiroshima est toujours aussi intense. 2015, ce même pays décide de relancer un réacteur nucléaire alors que toutes les centrales étaient à l'arrêt depuis 2013. En filmant la solitude d'un vieillard face à ses enfants et sa paranoïa quant à l'approche d'une nouvelle attaque nucléaire, Akira Kurosawa dresse un propos atemporel qui n'a rien perdu de sa puissance. Même après 60 ans.


Si Vivre dans la peur était loin d'être un succès à sa sortie, il est aujourd'hui considéré comme une œuvre importante. Réalisé juste après Les Sept Samouraïs, ce film fait preuve d'une beauté formelle impressionnante et d'un cadrage ultra-précis. Tourné presque exclusivement dans des décors intérieurs, Kurosawa dépeint la cellule familiale de manière chirurgicale. Ses plans fixes permettent de capter l'essentiel de son propos, à savoir l'incompréhension qui régit dans ce foyer. La tension habitant chaque membre de la famille traduit l'inquiétude nationale qui s'est installée dans le pays depuis la fin de la guerre.


Tout au long de la narration, cette personne âgée (jouée par l'alter-ego du cinéaste, l'incroyable Toshiro Mifune âgé de 35 ans !) lutte pour faire comprendre à sa famille qu'il faut s'exiler au Brésil et éviter une nouvelle catastrophe. Le réalisateur n'ajoute pas plus de détails diplomatiques que cela à son scénario, car ce dernier est bien plus humaniste que politique. Jamais Kurosawa ne fait passer son personnage principal pour un fou (l'autre titre du film est Chronique d'un être vivant), mais il essaye de définir avec le plus de sagesse possible ce que représente réellement la démence.


Il y a trois ans sortait l'un des plus grands films US de ces dernières années : Take Shelter. Ce récit d'un homme déséquilibré persuadé que l’apocalypse est proche fait un écho admirable à Vivre dans la peur. Ces deux longs-métrages nous montrent que l'être humain évolue mais que ses angoisses, elles, ne changent pas.


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le 14 oct. 2015

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Hugo Harnois

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