« Volver », qui signifie en français revenir est le 16ème long métrage de Pedro Almodovar, réalisateur espagnol de la fin du 20eme et du début du 21ème siècle, en tant que 16ème long métrage, il possède un héritage, des 15 autres films du réalisateur mais également un renouveau d’un réalisateur qui ne se laisse pas piéger dans une routine, héritage d’autant plus intéressant à étudier ici puisque le titre du film lui-même, « Volver » (revenir donc) nous invite à revenir dans le passé mais non pas comme une marche en arrière mais pour en apprendre d’avantage sur nous-mêmes et pouvoir mieux avancer.


Dès le premier plan, la caméra va de la droite vers la gauche, dans un cimetière, avec uniquement des femmes, mettant en place, en un seul plan les principales thématiques du film, c’est-à-dire, le retour en arrière, la mort et les femmes.


En effet, « Volver » a un casting exclusivement féminin. Et il marque d’ailleurs, le retour d’une actrice bien connue d’Almodovar puisqu’aussi son amie, il s’agit de Carmen Maura avec qui il n’avait plus travaillé depuis 20 ans. Almodovar s’entoure donc de femmes mais toujours habilement. Le casting féminin de « Volver » remportera d’ailleurs une récompense à Cannes en 2006.*
Car Almodovar est très exigeant avec ces actrices et sait leurs écrire des rôles de femmes fortes voulant toutes et pouvant toutes être la tête d’affiche. En effet, comme souvent chez le réalisateur, « Volver » est un film choral, c’est-à-dire un film avec de nombreux personnages principaux. Et Almodovar retrouve ainsi deux actrices mais aussi amies de jeunesse, Carmen Maura et Chus Lampreave (avec laquelle il avait tourné son troisième long métrage, « Dans les ténèbres »). Elles représentent, surtout Chus Lampreave l’ancienne génération. Tandis que Penelope Cruz et Yohana Cobo représentent la nouvelle génération.


« J’ai transmis ma propre solitude à mes personnages, et d’une façon très fertile. (Dans son village natal, Almodovar a connu une grande solitude et un grand ennui) Mais après ces longues années de solitude à moitié voulue et à moitié subie, je sais qu’il est temps pour moi de m’ouvrir de nouveau à la réalité extérieure. Nous vivons dans une époque qui m’intéresse beaucoup. Pendant des décennies on regardait vers l’avenir, et tout à coup, on y est. » (Almodovar)


Car, au cœur de ce récit, l’un des thèmes phare est le traditionnel face à la modernité, le passé face au futur, l’ancienne génération face à la nouvelle. Car, comme souvent, les thématiques et les personnages prennent le pas sur l’histoire. Personnages qui sont chers à Almodovar depuis toujours. En effet dans son enfance, lorsqu’il réalisa ces premiers films, durant les années 70 et la période de la movida, l’un des reproches que l’on lui faisait était d’être trop narratif. Mais cette thématique de la confrontation de la modernité face à la traditionalité se retrouve dans tous ces films car Almodovar cherche à nous montrer, de l’intérieur car lui-même l’ayant vécu l’évolution de l’Espagne, du franquisme des années 70 à la démocratie d’aujourd’hui. Confrontation qui est dans « Volver » aussi représentée visuellement avec de nombreux plans mettant face à face des éléments récents face à des éléments plus anciens comme par exemple les nombreux plans du petit village de campagne entouré d’éolienne. Village avec très peu de véhicules, où tout le monde connait tout le monde et où ont lieu bon nombre de ragots.
Ce petit village qui n’est d’ailleurs pas anodin puisqu’il est situé dans la Mancha. En effet, « Volver » permet aussi à Almodovar de revenir dans La Mancha, région espagnole où a grandi le réalisateur. Car Madrid, ville, où le jeune adulte a vécu durant de nombreuses années et où il a commencé sa carrière a été beaucoup évoquée, La Mancha quant à elle non.


« Dans « Volver » je reviens aussi sur des choses positives de mon enfance dans la Mancha. » (Almodovar)


Almodovar a donc souhaité revenir sur son enfance, une dernière fois avec ce film pour nous partager l’atmosphère si particulière de cette région et pour ensuite mieux laisser le passé derrière lui. Car toutes les habitudes y passent. Et par son écriture et sa mise en scène ingénieuse, Almodovar, nous immerge avec lui, avec ces souvenirs et ces personnages dans La Mancha. Avec un grand nombre de scènes en extérieur avec les habitantes que l’on nous présente, le fameux bouche-à-oreilles si particulier des villages peu nombreux où tout le monde connait tout le monde avec les scènes chez la coiffeuse où les clientes racontent leurs vies et celles de leurs voisins, les habitudes culinaires également avec de nombreuses scènes dans des cuisines et de gros plans sur la nourriture, typique de cette région d’Espagne. Mais aussi la musique, qu’elle soit extradiégétique ou diégétique avec par exemple la scène où Penelope Cruz se met à chanter une chanson qu’elle chantait avec sa mère devant sa fille.
Autre thème présent dans ce long métrage d’Almodovar, la transmission, transmettre, des valeurs, des souvenirs d’une génération à une autre, qui passe par les personnages des mères et des images qui transmettent à leurs tour ce que l’on leurs a transmis.
Très présente aussi dans l’univers d’Almodovar et donc dans « Volver », la mise en abime. Même si subtile dans « Volver » puisqu’il s’agit simplement de l’équipe de tournage qui vient régulièrement dans le restaurant du personnage de Penelope Cruz.
Mais aussi la présence du rouge, comme toujours, très saturé avec la présence d’autres couleurs, elles aussi saturées, notamment du vert et du bleu. Ou encore la présence d’un bus rouge, moyen de transport fréquent chez Almodovar comme par exemple dans En chair et en os.
Notant également l’absence de scène sur un balcon ainsi que de plans tout simplement ou est présent un balcon alors que dès son premier film (« Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier » où le balcon permet de cultiver de la Marijuana) et tout au long de sa filmographie le balcon a été un endroit très présent chez le réalisateur. Notant par exemple la scène dans « En chair et en os » ou un balcon permet au personnage interprété par Liberto Rabal de retrouver le personnage interprété par Francesca Neri.
Autre aspect représenté dans le film et représentant l’Espagne, un contact physique très présent avec un nombre incalculable de bises tout le long du film. Un humour visuel tout particulier à Almodovar qui navigue ainsi entre comédie et tragédie en exagérant des comportements sociaux.


Avec ce film Almodovar continu d’être influencé par un cinéaste qu’il a découvert en allant à Madrid dans sa jeunesse, Hitchcock, car de nombreuses références visuelles ou thématiques y sont faites. Notamment, la grande thématique d’Hitchcock, le crime parfait. Qui à l’époque, pendant les années 40 et 50 rappelant le ne pouvait exister, les criminels finissant toujours inlassablement par être jugés et emprisonnés. Ici, un demi-siècle plus tard, tout est possible et Almodovar choisit de laisser ce crime impuni. En effet, ni la jeune fille, ni Penelope Cruz ne seront jugées de leurs actes, ne pouvant se juger qu’elles-mêmes et avoir des remords, voulant extérioriser à leurs mères respectives. Il y a donc meurtre. Meurtre du mari qui est tout d’abord entreposé dans un congélateur, comme l’a fait Hitchcock dans l’un des épisodes de la série des années 50 : « Alfred Hitchcock Présente ». Puis déplacé et amené dans un lieu qu’il apprécie, lieux où tous les protagonistes se retrouveront pour déjeuner, à la manière du récit de « La Corde » d’Hitchcock, jouant sur le fait que l’un des invités ou la femme de ménage puissent ouvrir le coffre pour initier le suspens dans le récit. Mais ce meurtre, qui n’est au final pas si important dans le récit est amorcé par Almodovar qui nous le suscite. En effet, quelques scènes avant le meurtre, un plan en plongé au-dessus de Penelope Cruz qui fait la vaisselle et qui lave l’arme du crime, un couteau. Ainsi, Almodovar amorce le crime avec ce plan.
Ce qui nous ramène à la mort, un autre sujet qu’Almodovar aborde ici. « Pour les gens de la Mancha les morts ne sont jamais morts tout à fait » (Almodovar). Et c’est parfaitement ce que montre « Volver » puisque le personnage de Chus Lampreave, à la manière de Kim Novak dans « Sueurs Froides » d’Alfred Hitchcock revient d’entre les morts. Mort qui n’est absolument pas prise au sérieux par Almodovar qui même avec ce sujet ne peux s’empêcher de nous faire rire.


« Volver » est donc un film au centre de la filmographie de Pedro Almodovar car il représente un tournant dans la carrière du cinéaste, tournant la page sur le passé et voulant s’intéresser au présent et l’avenir, ne cédant pas à la faciliter mais livrant des œuvres de plus en plus abouties, personnelles, et approfondies sur une société. C’est donc définitivement un réalisateur à suivre car même si des thèmes, des idées, restent tout au long de son œuvre et font sa saveur, c’est un réalisateur qui ne cesse d’évoluer et de se remettre en questions.


        « Je me suis interdit de refaire une comédie parce que je ne voulais pas me répéter. »                                                                       
**Pedro Almodovar**

*Prix d'interprétation féminine Ex-aequo pour : Chus LAMPREAVE, Yohana COBO, Carmen MAURA, Lola DUEÑAS, Blanca PORTILLO, Penélope CRUZ.

Thomas_Thiel
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le 1 nov. 2015

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