Dernier train pour Tokyo, premier vers Ozu

Yasujirô Ozu est un nom ue j'ai entendu de nombreuses fois avant d'avoir enfin le courage de voir son film le plus connu, Voyage à Tokyo. Aux côtés de Sayjajit Ray et Andreï Tarkovsky, Ozu fait parti de ces réalisateurs dont l'aura paraît si immense que l'idée de pouvoir approcher ses oeuvres tout en en comprenant toute la portée paraît mission impossible.


Et pourtant, Yasujirô Ozu fait parti des réalisateurs dont les techniques sont des plus simples, ceux pour lesquels tout passe dans la composition du cadre, et non dans la multiplication de trucages ou de techniques cinématographiques. De la même manière, les sujets qu'abordent Ozu (la structure familiale traditionnelle, le vieillissement, les changement dans la société Japonaise, l'opposition campagne/ville) sont très terres à terres et sans fioritures. On peut critiquer la propension du maître à chercher le pathos, mais celui-ci paraît être plus une question d'archétypes - nous y reviendrons - que forcée.


Dans Voyage à Tokyo, chaque personnage est un archétype bien défini: Le grand-père qui paraît sage et calme cache un vieux problème avec la boisson, la grand-mère timorée qui sent son heure venir, la veuve adorable malgré sa condition précaire, la fille jalouse et envieuse.... Tout les personnages possèdent un trait de personnalité qui le différencie des autres, et la réunion familiale qui parcourt le film voit les masques de politesse tomber peu à peu, de la même manière que les grandes espérances des grands-parents sur leurs enfants.


Et c'est quelque chose qui est abordé d'emblée avec l'opposition entre le village des grands-parents et une Tokyo déjà bien peuplée mais pas encore pleine à craquer de buildings et de routes goudronnées: la maison des grands parents paraît vide, laisse place à des cadres ui donnent à voir sur l'extérieur, là où les maisons Tokyoïtes sont encombrées, avec des vues sur l'extérieur qui doivent passer par le point de vue des ancêtres. On sait dès les premières minutes, par l'un des petits enfants que la présence du patriarche et de la matriarche est plus encombrante que plaisante.


La scène en extérieur entre la grand-mère et le plus jeune des petits enfants est en cela très parlante, dans l'opposition entre deux générations qui ne s'écoutent plus: l'une pour laquelle le futur est très proche, et pour qui chaque moment est précieux (l'ancienne) contre une qui fuit les réunions familiales, les conventions, et un futur qui paraît encore bien loin (la plus jeune donc).
Entre les deux se place la génération des parents, honteux de leurs passés de campagnards déracinés, et inquiets pour leurs futures conditions. Ozu semble critiquer ici la société capitaliste dans ses pires travers, mais aussi la "méritocratie japonaise" issue de l'après guerre, qui modifie, atténue les rapports familiaux. De la même manière, les plans très explicites sur les usines fumantes est explicite sur la situation du pays qu'on a souvent résumé à la formule "entre tradition et modernité": l'architecture japonaise typique est toujours présente, mais l'industrialisation agressive du Japon fait tâche au milieu de cette harmonie.


Ozu est en cela proche du Yasunari Kawabata de Kyoto: bien que celle-ci soit postérieure au Voyage les deux oeuvres montrent l'opposition entre un monde pastoral typiquement japonais et un monde développé à l'occidentale. C'est ce qui fait d'Ozu le plus clichesquement japonais de tous les réalisateurs.


Ces rapports de forces conflictuels dans la famille se voient aussi dans ces plans bustes en contre-plongée lors des dialogues. En effet, ces nombreux plans donnent l'impression d'un conflit permanent entre les différents membres de la famille lorsqu'ils apparaissent, une sorte de concours pour savoir qui est, dans son point de vue sur le monde, dans le juste. Parce qu'ils épousent le point de vue des personnages, ils donnent au spectateur l'impression d'être au coeur de l'action, dans un film qui n'en comporte pas au sens "spectaculaire" du terme. De la même manière, les plans au ras du tatami donne à la caméra un rôle d'intrus, d'observateur objectif des situations, souvent coupées par les différentes portes et cadres à l'intérieur du cadre. Ce qui donne le sentiment d'être les invités encombrants de cet attroupement, de ces moments rares dont personne ne peut profiter...
Des extraits que j'ai pu voir de différents films d'Ozu, ces techniques de composition semble faire parti de son style unique, qui servent le film au vu de son sujet.


C'est pour ces raisons - et bien plus, contenues dans d'autres critiques - que ce visionnage de mon premier Ozu fut un voyage apaisé et apaisant dans un univers bien particulier et pourtant si commun : celui de la vie quotidienne de différents membres d'une même famille.


Dernier voyage pour les personnages certes, mais pas le seul de mon côté.

YuReed
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le 22 juin 2021

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