(11.09.2015)
Revu cet été en sachant que c'était un grand film mais à le revoir, on se demande s'il y encore des mots pour décrire tant d'humanité. Ou bien oui, le mot, c'est l'humanité.
Mais à condition de bien dire toute l'artificialité du travail d'Ozu pour y parvenir. Tout ce travail lui-même qui s'efface à l'image de cette belle fille qui accueille les beaux parents, tout ce que le sentiment de la mort imminente ou de la mort des proches donne d'humanité aux personnages et au film. Car le Voyage à Tokyo est aussi un lumineux adieu à la vie, avec un regard embrassant les horizons les plus divers, sombres comme étincelants.
On y goûte cet art somptueux de rendre le quotidien, de le rendre à la fois proche et totalement secret, un peu à la manière de Vermeer: cette mise à distance qui appelle la curiosité tout en faisant bien comprendre que la sphère ici est celle de l'intime, du secret, du privé.
Souvent la caméra est dans la pièce à côté et une paroi, un bord de porte vient nous le susurrer. Ou bien Ozu - plus encore peut-être que placer sa caméra à hauteur de chien - se met au centre même de la discussion (et donc sous le regard des protagonistes). D'un côté distance, de l'autre effacement : tout un art maîtrisé à merveille.
Mais tout cela n'aurait aucun effet sans cette dramaturgie étirée, presqu'effacée également où respire une famille et ses drames, tant bien que mal, une société et son organisation, des hommes et leurs représentations du monde.
(22.05.2017)
Et cette dramaturgie quasi nouvelle, parfaitement adaptée au sentiment visé et touché ! Des absences traitées comme des présences, des déplacements traités comme des rêves, des déceptions comme des surprises.
Dans cet océan de justesse, une petite scène que j'avais oubliée :
La fille, coiffeuse, qui a jusque-là fait plutôt preuve de froideur avec ses parents et n'a pas hésité à les envoyer chez sa belle-fille ou en villégiature vient de recevoir un télégramme de son père : 'mère critiquement malade' convient avec son frère de prendre le train pour Onomichi, la résidence de ses parents. Une pièce non avant la porte d'entrée, visible dans la pièce suivante par une ouverture : ils se saluent, se disent 'à ce soir à la gare', le frère sort du champ, elle va vers la sortie. Puis elle revient, comme si elle avait oublié de dire quelque chose mais elle s'arrête une petite seconde, s'apprête à parler peut-être puis non, repart vers la sortie une seconde fois, définitivement. Mystère : a-t-elle oublié une chose banale, a-t-elle cru avoir oublié une chose banale ou importante, est-elle troublée outre mesure par la mort probable de sa mère et son sens de l'organisation est-il perturbé ? Il y a dans ce mouvement à vide un abîme qui s'ouvre, furtif mais puissant au possible. La mise en scène ou l'inspiration de l'actrice, sans doute une idée d'Ozu tout de même qui, de mémoire, a de ses scènes un peu parentes dans ses autres films, mais c'est joué, rythmé à merveille. À la fois surprenant et évident. Ce que tout moment de cinéma devrait être.