Budget de six millions de dollars, dix Oscars et plus de huit millions d’entrées : voilà presque soixante ans que le monstre sacré West Side Story, film issu de la comédie musicale éponyme largement inspirée de Roméo et Juliette, faisait chavirer les Etats-Unis, donnant au passage un coup de fouet au genre musical alors en plein déclin.


Nul Capulet et Montaigu dans cette version outre-Atlantique signée Jerome Robbins et Robert Wise, mais deux bandes rivales : les Jets menés par Riff, issus de l’immigration européenne, et les Sharks dont le chef Bernardo arrive de Porto Rico. Deux groupes, deux visions du monde qui s’affrontent sans relâche. Au milieu, Tony et Maria, qui tombent amoureux au premier regard.


L’amour contre la haine, le groupe contre l’individu. Tous les éléments du mythe shakesparien sont réunis. Dans une énième transposition, sommes-nous tentés de penser. Mais la force du film se trouve justement dans sa capacité à dépasser le simple statut d’adaptation, aller au-delà de cette histoire d’amour inconditionnel, passionné, presque stupide, entre deux êtres que tout oppose.


Alors certes le jeu de certains acteurs, des points de la mise en scène ont vieilli. Mais combien, par la musique, magnifique, de Leonard Bernstein, par la danse, par son propos incroyablement moderne sur l’intégration, la violence, le rejet de l’autre, West Side Story reste profondément intemporel. Haine de l’autre ou espoir d’une vie meilleure, la justesse des répliques entre en résonnance avec nos propres maux contemporains.


Loin d’être reléguée au simple rang d’accompagnement sonore, la musique se fait personnage. Amie aux notes lointaines, caressante avec les amoureux, provocante dans les déferlements de colère, tour à tour envahissante ou remisée au second plan, elle est l’âme du film. De même, jamais la danse n’a été aussi bien filmée au cinéma. Alors que les séquences dansées servent trop souvent de simple support illustratif, les passions de West Side éclatent véritablement à travers elles, les élevant comme moyen d’expression au même titre que la musique ou la parole.


Comme dans la chanson America, modèle du genre, où les femmes porto-ricaines, menées par la flamboyante Anita (Rita Moreno, Oscar du meilleur second rôle féminin, crève littéralement l’écran), chantent leur joie d’avoir émigré aux Etats-Unis, alors que les hommes se montrent beaucoup plus pessimistes. « Libres d’être tout ce que tu veux – Libres d’être serveur ou cirer des chaussures ! » Schizophrénie des sociétés industrialisées, résumée en quelques mots.

Pauline_Vallée1
9

Créée

le 28 févr. 2018

Critique lue 155 fois

Critique lue 155 fois

D'autres avis sur West Side Story

West Side Story
Grard-Rocher
10

- "West Side Story" dans mon "TOP 10" -

Voici la formidable tragédie "Roméo et Juliette" de William Shakespeare adaptée dans le cadre se l' Amérique contemporaine . L'action se déroule dans les faubourgs de New York, le "West Side", où...

76 j'aime

45

West Side Story
Sergent_Pepper
8

Steps around the border

La comédie musicale est paradoxalement un cadre d’une assez grande rigidité dans le système hollywoodien : la virtuosité formelle, la maîtrise chorégraphique, les palettes chromatiques, et l’hymne à...

le 11 sept. 2018

45 j'aime

5

West Side Story
Jambalaya
5

West Side c't'horrible !!

West Side Story, l’exemple même de la comédie musicale made in Broadway vendue comme une référence devenue classique et qui n’est en fait qu’une barbante bluette à peine digne de Flashdance. On nous...

le 5 nov. 2013

38 j'aime

26

Du même critique

I Am Not Your Negro
Pauline_Vallée1
8

Face sombre des Etats-Unis

A partir d’un texte original de James Baldwin, Raoul Peck (ni plus ni moins que l’actuel président de la Femis) a décidé de réaliser I Am Not Your Negro, film-documentaire très étoffé sur la...

le 16 mai 2017

4 j'aime

Tempête de Sable
Pauline_Vallée1
7

(Re)mariage

Le film débute et se finit par deux moments forts, en miroir, presque en contraste. Suleiman et Layla, le père et la fille, dans la voiture, complices au début, elle apprenant à conduire, porteuse...

le 28 févr. 2018

3 j'aime

The Young Lady
Pauline_Vallée1
7

Lady Chatterley meurtrière

Lady McBeth ou encore Emma Bovary, les comparaisons littéraires ne manquent pas pour inspirer Katherine, héroïne du dernier film de William Oldroyd, lui-même adaptaté du roman russe Lady Macbeth du...

le 5 mars 2018

2 j'aime