Le plaisir immédiat, l’énergie d'une jubilation rythmée vous emporte au sommet de l'excitation avec Whiplash. Que ce soient le jeu des acteurs, le montage ou la musique, tout ici respire l'impatience, la tension et la nervosité si bien que le générique vous cloue au fauteuil, amorphe et aussi luisant que Miles Teller après son solo.
Sous la houlette sadique d'un chef d'orchestre qui en demande toujours plus et semble étrangement doué d'omniscience, le spectateur à l'instar du personnage principal, se voit malmené au gré du scénario par les exigences de l'excellence ; Andrew Newman veut devenir l'un des meilleurs batteurs du monde « one of the greatest » et c'est dans l'univers extrêmement compétitif du Shaffer Conservatory que le spectateur est contraint d'observer ses pérégrinations très généralement sous-tendues par l’échec. Mais en véritable Rocky du jazz, Newman parvient à s'imposer dans un paroxysme farouche qui prend des allures de joute musclée à travers la caméra de Chazelle, et quelle satisfaction cathartique de voir ce jeune homme mal dans sa peau, renié par ses camarades, son professeur et sa copine, enfin s'affirmer dans une apothéose sublime.
Outre l'aspect très agréable du scénario, conçu pour que l'on s'identifie au parcours de Andrew en rêve américain fulgurant, le jeu de J.K. Simons est marqué par une imposance charismatique extrêmement machiste, cruelle et en même temps mêlée d'un certain raffinement notamment dans ses entrées bénéficiant d'un insert sur l'horloge pour souligner leur exactitude. On ne peut s’empêcher de penser au sergent Hartman de Kubrick lors de la scène où les trois batteurs se relaient sous une pluie d'insultes, mais cet acharnement n'est pas aussi destructeur que celui de Hartman et il y a une certaine noblesse cachée dans la volonté tenace de révéler un génie au monde ; philosophie justifiée par l'anecdote de la cymbale et Charlie Parker. C'est donc une aura particulièrement forte que dégage Simons au travers de son personnage et la résistance que lui oppose Newman n'en est que plus jouissive.
Mais c'est aussi par une agilité redoutable du montage et à travers une bande son électrisante que le courant passe avec dynamisme. Whiplash : le caractère interjectif de ce mot, (« coup de fouet » en anglais) résume assez bien l'enchaînement très rapide des plans lors des scènes de concert qui fait écho aux sensations du batteur, type de montage que l'on peut retrouver dans les scènes de drogue de Requiem for a Dream mais avec une visée moins contemplative. En effet, la musique n'est plus ici subordonnée à l'image afin de rendre une ambiance ou de permettre d'accéder à la psychologie des personnages à l'instar de la bande son d'Aronofsky, ici, dans les cas de concert, l'image est subordonnée à la musique pour rendre toute la puissance corporelle du jazz, pour que le spectateur ressente les pulsations et ne puisse résister à agiter en rythme ses doigts de pieds dans le fond de ses chaussures.
Les seuls reproches que l'on pourrait trouver à ce film résideraient dans son scénario relativement prévisible (l'accident, l'omniscience de Fletcher...) et dans ses temps morts, nécessaires certes, mais parfois relativement pauvres (interludes avec la copine notamment). Autant de détails qui ne permettent pas vraiment d'entraver le plaisir immédiat que ce film stimule, on pourrait comparer son efficacité à celle d'Edge of Tomorrow ; le règne de Tom Cruise dans le film d'action est encore loin de toucher le fond !