Rare auront été les femmes réalisatrices à se lancer sans aucun cynisme malveillant dans le ciné de genre (ou même du cinéma audacieux tout court), préférant jouer la sécurité dans des rom-com ou mélodrames inoffensifs et sans âme, ajoutant de l’eau au moulin des détracteurs machistes (comme ne me dise pas que Noémie Lvovski n’ait pas allé tendre le bâton pour se faire battre avec son pourtant encensée « Camille redouble »)

Pourtant, il existe bien des exceptions et Kathryn Bigelow est de celle-là.

Ayant entamé avec le méconnu « the loveless »( http://youtu.be/4zi3LxYGLAg ), Bigelow fut réellement sur le devant de la scène avec « Aux frontières de l’aube » (« Near dark » en vo http://youtu.be/hQxnVrg2TSQ ), western crépusculaire qui, par son mélange de spectacle décomplexé et de romance sincère et malgré ses 26 ans d’âge, reste l’une des rares grandes réussites du mythe du vampire postmoderne et continue de se faire piller de droite à gauche.

En 1991 , elle torche (après le très bancal « Blue steel » http://youtu.be/aJTOmShc9E0 ) ce qui sera un modèle de l’actioner et un film culte générationnel : « Point Break »( comment ça jamais entendue parler...) , produit par son mari de l’époque James Cameron, et qui surprit son monde en parvenant à retranscrire avec cette histoire de flic infiltré dans un gang de surfeurs la fraternité masculine avec une virilité et une humanité qu’une majorité de réalisateurs n’ont jamais réussi à faire véhiculer , et ce , sans virer dans la caricature beauf et « crypto-gay qui ne s’assume pas parce que être homo au cinéma c’est caca » (remattez vous les « Fast and furious » , vous comprendrez).

S’ensuit une descente aux enfers, démarré par le flop commercial retentissant du pourtant très fascinant « Strange days » ( http://youtu.be/_WvKbnYtcXU ) et il faut attendre 2009 pour que Bigelow reçoive par la presse généraliste (et élitiste) la reconnaissance qui lui est dû grâce au sulfureux « Hurt locker » (« Démineurs » chez nous) qui lui valut d’être la première femme à obtenir l’oscar de « meilleur réalisateur ».
http://youtu.be/DlSi5gk9k1s

Ce qui est assez amusant, c’est que la critique bienpensante, celle-là même qui chiait dans la gorge de la réal tout le long de sa carrière comme quoi son cinéma était porté sur l’action et était régressif, ont chanté les louanges de « Démineurs » soit disant parce qu’il était une critique virulente de l’armée américaine.
A y regarder de plus près, et en prenant en compte les témoignages de proches et les intentions de Bigelow, le film reste avant tout un divertissement expérimental, faisant le constat d’une réalité comme quoi la guerre serait ,pour certains individus , comme un sport ou encore une drogue , sans porter de jugement, en apportant même une iconisation proche du western , une narration issue du jeux vidéo et toujours cette fascination pour les « héros » virils : un film d’action quoi ! Proche du chef d’œuvre mais un film d’action stimulant tout de même, qui plus est une sorte de continuité de « Point break » dans la volonté de s’intéresser à un domaine purement masculin.

Fort de ce succès néanmoins mérité, Bigelow se lance dans un projet des plus ambitieux et risqué d’un point de vue commercial : faire un film sur les échecs répétés du gouvernement américain dans la traque d’Oussama Ben-Laden.
Alors que le script de Mark Boal est quasi achevé et que les fonds nécessaires au financement commencent à être rassemblés, le film doit repartir en réécriture, suite au décès du chef Al-Qaïda, ce qui pousse le projet à prendre une autre direction (à savoir suivre l’affaire du point de vue d’un personnage inspiré par un véritable agent de la C.I.A) et donner naissance à « Zero dark thirty ».

http://youtu.be/cAtWcvCxPhc

Ici, le but fut de livrer une œuvre au style épuré, anti-spectaculaire et au regard en retrait (histoire de donner un point de vue le plus objectif possible, ce qui est relatif).

Résultat, le film a beau être ultra réaliste esthétiquement parlant et épuré (hormis le point de vue subjectifs en infrarouge, pas beaucoup de scènes expérimental ici), nous ne sommes pas non plus dans la fainéantise absolue de Maïwenn sur « Polisse » (pour citer un autre film se voulant réaliste fait par une femme) qui valait surtout pour le casting prestigieux et son sujet de départ, ou encore de l’hystérie masturbatoire de Paul Greengrass sur ses « Jason Bourne » et son « Green Zone ».

Lors des scènes de tortures, de tensions, ou lors du climax final, ce ne sont pas tellement les images en elles-mêmes qui provoquent des réactions de malaise, de menace imminent, etc., ce sont le travail sur l’atmosphère, le point de vue volontairement distant, le cadrage, l’écriture des situations…. Bref grâce à la mise en scène, discrète, mais présente et maitrisée (pour ne pas dire exemplaire) et qui en fait un des films d’investigations les plus intenses et aboutis allant jusqu'à aller titiller certains mètre-étalon du genre telles que « Les hommes du président » de Pakula ou encore le « Zodiac » de Fincher.

Pour ce qui est de la véracité de chacun des faits traités, il est évident qu’une réappropriation ait été faite pour en faire une fiction de cinéma (même « Zodiac » et son sens du détail légendaire virant à l’obsession n’y a pas échappé).
Malgré le statut de film historique, « Zero dark thirty » n’en reste pas moins une fiction pure selon Bigelow.
Après tout, le cinéma est connu pour être un art du mensonge, après tout l’intérêt vient de l’investissement personnel et le travail de crédibilisation fourni (c’est assez paradoxal pour le coup).

En ajoutant la caractérisation du personnage de Maya, qui fait plus office ici d’alter-ego de la réalisatrice que d’une figure historique, tous ces atouts font de ce film le diamant brut le plus définitif de Bigelow qui n’a décidément plus rien à prouver.

A tout ceux qui se foutent sur la greule à propos de si oui ou non « est-ce que c’est le new « Apocalypse now », disons simplement que ce film est juste « Zero dark thirty » et que c’est tout ce qu’on lui demande.

Cette année commence vraiment bien décidément.
Allez un extrait composé par notre Alexandre Desplat national pour finir. http://youtu.be/qH-x5S-fCAg
BastienInacio
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le 25 janv. 2013

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BastienInacio

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