"Encore un récit interactif en cinq épisodes, en vue objective, avec la promesse de choix qui vont impacter l'aventure?!". Life is Strange plonge immédiatement le joueur en terrain connu. Les traceurs sont tous là, rien d'exotique dans la construction, manette en main les premières minutes inaugure déjà d'une aventure dont on connait plus ou moins la saveur, si tant est qu'on ait déjà approché les cadors du genre que peuvent être The Walking Dead ou The Wolf Among Us.


Malgré tout, porté par une mise en scène sympathique, des couleurs chaleureuses et des jeux de lumières aussi réconfortants qu'un chocolat chaud en plein hiver, le jeu retient vite l'attention, et se démarque de ses pairs. Si les petits gars de chez Dontnod ont bossé sur un point particulier, c'est bien sur l’ambiance générale qui dégage assez immédiatement un charme racoleur. Life is Strange exhale un parfum enivrant, caractérisé entre autre par une bande originale en parfaite adéquation, très "teen spirit", dont les accords de guitare aguicheurs finiront de convaincre les plus réticents de poursuivre pour voir ce qui peut bien se cacher derrière cette nouvelle aventure interactive.


Le scénario prend place à Arcadia Bay, dans la peau d'une jeune lycéenne de 18 ans ni adulte - ni ado, répondant au nom très mélodieux de Maxine Caufield, ou Max pour les intimes. Incarner un nouveau personnage féminin est toujours une expérience intéressante dans un monde vidéoludique aujourd'hui encore dominé par les représentations masculines. A ce titre, Life is Strange se présente comme une oeuvre habile et nuancée dans les thèmes qu'elle aborde. La mort, la sexualité, l'amitié, le rapport à l'autorité, Life is Strange c'est avant tout l'histoire de cette jeune femme qui fait face à l'âge de l'éclosion, celui où de nouvelles questions prennent forme, où l'univers lui-même prend des proportions que notre innocence d'enfant nous empêchait de comprendre jusqu'alors. Pour illustrer son protagoniste principal et son rapport au monde, le jeu permet au joueur d'explorer son journal intime, de lire ses messages téléphoniques, bref tout un ensemble d'à côté pertinent dans la construction d'un personnage cohérent et crédible.


Seulement, la jeune Max n'est pas une fille comme les autres. Elle découvre à l’occasion d’un évènement tragique qu'elle est capable de remonter le temps. Cette capacité sera le centre névralgique de l'ensemble de l'aventure, tant scénaristiquement parlant que vis à vis des possibilités de jeu offertes au joueur. L'excitation est certaine, car la promesse de pouvoir impacter le temps n'est pas petite. Les réminiscences de "L'effet Papillon" sont bien présentes, et on s'imagine déjà avec enthousiasme les contours d'une trame prenant place dans un dédale temporel. Tient-on enfin une aventure interactive aux innombrables embranchements scénaristiques, dans laquelle les choix du joueur ont un réel impact sur le déroulement des choses?


Et bien oui et non. Pour ce qui de l'impact des décisions du joueur sur l'histoire, Life is Strange est dans la droite lignée de ses ainés. Le traditionnel "Vos choix auront un impact significatif sur l'histoire, choisissez avec précaution" ne trompera personne, les péripéties, et la trame principale resteront les mêmes peu importe que vous répondiez par A ou par B à un moment donné. Seuls quelques éléments du scénario varieront, mais globalement, la partie d'un joueur donné diffèrera très peu de celle d'un autre. Certains s'en ficheront, plaidant que les « choix » sont avant tout des leviers interactifs visant à impliquer émotionnellement le joueur, d'autres continueront de crier au scandale. Pour autant, le scénario crée son propre "dédale temporel", dans lequel se mêleront bien, comme espéré, plusieurs passés et plusieurs futurs. L'absence d'impact concret n'empêche heureusement pas l'histoire d'être rythmée et de gagner en intensité au fil des épisodes. A ce titre, les deux derniers chapitres se montrent puissants, alternant entre thriller glacial et psychose introspective.


Life is Strange est sans aucun doute une œuvre symptomatique d’une ère où les développeurs n’hésitent plus à sacrifier certains aspects du jeu vidéo au profit d’autres. Les mécaniques de jeu sont souvent d’une pauvreté sans nom, mais le jeu n’a de toute façon pas la prétention d’en faire une force. Si certaines situations exploitent correctement la capacité de plier le temps, il n’est souvent question que de remonter ce dernier jusqu’à un moment plus propice pour accomplir l’objectif désiré.


Et pourtant, à l’heure du bilan, reste le souvenir d’un jeu attachant à la direction artistique très soignée, et à l’histoire prenante à défaut d’être particulièrement surprenante. Les personnages sont travaillés et hauts en couleurs, et l’ambiance générale du lycée et de la ville d’Arcadia Bay se montre très crédible. A l'image de son duo d'héroïnes, Life is Strange possède une aura certaine, de celle qui vous prend par les sentiments pour vous plonger sans concession dans une aventure enivrante, bourré de défauts certes, mais dont on reprendrait bien une part supplémentaire.

Jok85
7
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le 18 janv. 2016

Critique lue 514 fois

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Jok85

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