Critique publiée sur ArtZone Chronicles.


Ecran-titre évocateur. Une musique un peu mélancolique, un paysage forestier automnal, une douce brise... On y reste un peu, sans trop avoir envie d'en sortir. Et ce rythme, ce désir de prendre son temps, on va le retrouver tout au long de ce premier épisode de Life is Strange, seconde production du studio français Dontnod Entertainment, après un Remember Me qui n'a pas fait consensus auprès des joueurs... On se décide finalement à lancer le jeu, et gros changement d'ambiance. pas qu'on se retrouve dans un FPS bien bourrin à dézinguer des zombies-aliens, mais l'atmosphère se fait plus sombre. nous sommes toujours en forêt, mais un forêt dévastée, secouée par une tempête. Et, à la troisième personne, nous contrôlons une jeune fille.


On est immédiatement face au système de jeu et à ses limites : ce ne sera pas un jeu où l'on aura la liberté de mouvement. Essayant de sortir du sentier (mauvaise idée pour quiconque connaît ses classiques), notre jeune héroïne est bloquée par un mur invisible. Soit, la liberté et le choix sera ailleurs.


Life is Strange fait partie de ces jeux qu'on peut rattacher à une branche « narrativiste », avec un scénario en plusieurs chapitres. Pas une révolution, après des sorties comme Heavy Rain ou Beyond : Two Souls chez Quantic Dream, ou le Walking Dead de Telltale. Voilà donc un objet vidéoludique qui tente de se démarquer de la production surdynamitée et épileptique pour opter vers une certaine lenteur, vers quelque chose qui irait un peu plus loin que le jeu vidéo. En 2015, rien de bien innovant là-dedans encore une fois, de nombreux jeux ont pris cette voie et dévoilent cette ambition. Le challenge, c'est de parvenir à proposer un produit qui dépasse le média tout en y restant attaché. En clair : rester un jeu vidéo et ne pas être qu'un « film interactif ».


Et ce défi, Life is Strange le relève.Si on est bien dans un univers interactif avec des discussions, il y a un réel mécanisme de gameplay qui en fait un jeu : ce fameux retour dans le temps que l'on découvre très vite. Chrysalis (c'est le nom de ce premier épisode) reste sobre dans son utilisation, on sent bien qu'on est là pour tâter le terrain et expérimenter un peu. Reste à espérer que, un peu comme dans l'excellent Braid, ce mécanisme gagne en intérêt ludique dans les épisodes suivants. Que ça ne serve pas qu'à changer l'issue d'un dialogue, et amène un peu de variété.


L'autre grand plaisir, ce sont les libertés offertes au joueur d'un point de vue narratif. Là encore, rien de nouveau sous le soleil, les réponses à choix multiples ne sont pas nées avec Life is Strange (il suffit de penser à Deus Ex) et au fond, c'est un moyen somme toute assez faible d'influer sur l'histoire et de permettre à chacun d'en vivre une plus ou moins différente. La combinaison avec le voyage temporel permet d'essayer différentes options, sans vraiment savoir les conséquences qu'auront nos décisions dans un plus long terme. Le jeu nous rappelle d'ailleurs de manière un peu lourde que nos actions ont parfois des conséquences. Cette annonce est sans doute de trop, peut-être serait-il plus fort de ne jamais savoir si oui ou non il y aura de réelles conséquences à nos actes. En tout cas, il fallait pour que cela ait un intérêt que cette liberté ait vraiment un impact sur le vécu du joueur dans sa partie, sans quoi on aurait l'impression d'être pris pour un pantin à qui on laisse un simulacre de choix. Ici, nos partis pris ont des effets à court terme, mais sans doute et on l'espère, à plus long terme. C'est en tout cas ce que laisse promettre le jeu. Cela entraîne des hésitations, on suppose les effets de nos décisions à différents termes, sans être sûr de faire le bon choix, si tant est qu'il y en ait un. Rester dans une certaine morale, ou justement en sortir avec peut-être des effets positifs plus tard ?


Cela entraîne deux sentiments très positifs lorsque s'achève le chapitre, après quelques heures de jeu. Un, on veut faire la suite pour avoir la réponse à nos questions, et surtout pour vérifier si la promesse cause-conséquence est tenue. Deux, on a envie de refaire Chrysalis pour voir à quel point la narration est impactée en prenant des voies différentes, et ce même à si court terme. Pari réussi de ce côté donc.


Dans une telle proposition ludique, qui vise à impliquer le joueur, à lui permettre une certaine identification, il est essentiel de travailler le scénario et les personnages (veine narrative, pour compenser un gameplay assez faible et demandant peu d'investissement), mais aussi l'atmosphère qui doit permettre l'immersion totale du joueur et lui donner envie de continuer à garder la manette en main (comme dans le brillantissime Journey, par exemple).


Commençons par le positif : l'immersion est là. On a souvent parlé d'ambiance un peu film indé type Sundance, et il y a de ça. Mais surtout, je décrirais le sentiment ressenti à Life is Strange de « jeu vidéo folk indé ». L'indie folk, c'est Sufjan Stevens, Bon Iver, Fleet Foxes... Vous savez, le mélange entre douce mélancolie, un peu automnale, et impression de luminosité intense, très positive, pleine de Vie. Et c'est vraiment ce sentiment qui imprègne Chrysalis, de manière presque trop référencée et appuyée. Dans les lumières, les tons, la bande-son... Et surtout, dans le rythme, qui fait la part belle à l'errance, semblant mettre le temps en pause, beau lien au mécanisme ludique. On se promène, on n'hésite pas à s'arrêter, on n'est pas dans le rush à vouloir finir le jeu au plus vite. On prend sa guitare, et on laisse Max (notre héroïne) jouer. On allume la chaîne hi-fi, on y enfourne une galette, et on s'allonge sur son lit à regarder le plafond quelques minutes. Une forme de contemplation, qui retranscrit parfaitement cet esprit « indie folk ».


Outre des graphismes assez figés et sans grand intérêt sorti des grands paysages, ce qui est moins convaincant, au moins pour ce premier épisode, c'est l'aspect volontariste du scénario. On se retrouve dans une espèce d'intrigue à la Twin Peaks, mais avec un aspect bien moins sombre. L'histoire est bien moins en adéquation avec l'atmosphère que chez Lynch. Les thèmes abordés sont au sommet de la hype et traités avec une superficialité confondante. On se retrouve d'un coup bien loin de l'ambition « filmique » qui semble l'une des promesses de Life is Strange. Les personnages sont creux et d'une banalité psychologique affligeante. Mais, paradoxalement, sont l'objet d'un traitement qui vise à les illuminer, ce qui enlève toute potentielle esthétique à cette banalité.


Cela reste un ressenti sur un « pilote », pour reprendre le langage du média série, et l'on ne peut qu'espérer qu'au-delà d'une ambiance, le jeu parvienne à approfondir ses personnages, son intrigue, et surtout à faire se marier le tout pour créer une œuvre cohérente dans le célèbre alliage entre fond et forme.


Chrysalis permet de poser les bases de Life is Strange, tant d'un point de vue ludique que narratif. Sans être réellement innovant et en s'inscrivant dans la droite lignée de jeux de ce genre, ce premier épisode porte des promesses et des maladresses. Souhaitons que les premières soient tenus et que les deuxièmes s'effacent, au moins partiellement, dans les prochains chapitres. En attendant, on ne peut que vous conseiller d'essayer tout cela, Chrysalis étant disponible gratuitement pour vous donner envie de continuer !


(*) : https://www.youtube.com/watch?v=h81Ojd3d2rY

Flavinours
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le 20 nov. 2015

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Flavien M

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