La première chose que j'ai pu apprendre d'Okami en y rejouant en 2020, c'est qu'il est essentiel pour ne pas dire fondamental de retourner sur des titres qui nous laissent un souvenir mémorable. Okami (on appréciera le jeu de mot pour ceux qui connaissent un peu de japonais) est un jeu daté de 2006 et presque 15 ans après je me suis dit qu'il était temps de me replonger vers un titre qui a accompagné une partie de mon adolescence et dans lequel je me suis totalement noyé. Noyé par sa beauté, noyé par ses idées, noyé par les senteurs subtiles des fleurs de Sakura qui ponctuaient déjà mes envies irrésistibles de voyager au pays du soleil levant. Okami est un jeu qui m'est essentiel mais auquel je ne peux désormais plus accorder toutes les faveurs et qualificatifs ultra-positifs d'autrefois. Parce que j'ai grandi, parce que j'ai joué à des centaines de jeux entre temps et parce que avec l'âge certaines œuvres ludiques montrent des faiblesses évidentes qui ne me sautaient pas forcément aux yeux il y a 15 ans.
Ce qui est fantastique dans le jeu de Clover Studio (conception made in Kamiya : ça déconne pas. Let's rock Baby !) , c'est tout le travail réalisé sur l'ambiance du jeu. Les procédés visuels en cell-shading n'ont pas vieilli, pas plus que la direction artistique aux effluves d'estampes nippones. Le travail global sur la direction artistique est un coup de maitre. La force motrice du titre, le pinceau magique qui vous permet d’interagir avec le jeu, est une idée de game-design qui apparait comme pertinente et cohérente. Le jeu apparentée à de l'action-aventure s'organise par l'utilisation d'un pinceau : vous mettez le jeu en pause, vous "dessinez" avec le pinceau, et le dessin effectué a un impact direct dans le jeu, qu'il s'agisse de dessiner une bombe pour défragmenter un ennemi ou de manipuler l'eau pour interagir avec l'environnement. Cette propension à magnifier l’interaction ludique avec l'environnement ne sera pas sans rappeler les jeux de la franchise Zelda, Ocarina of time en particulier, dont Kamiya semble s'être très largement inspiré tant la construction globale du titre ressemble à s'y méprendre aux péripéties effrénées du lutin vert.
Tout cela forme un ensemble très sympathique, charmant même, s'appropriant un visuel et une histoire très proche de la doctrine mythologique shintoîste, affleurant les contes d'izanami et d'izanagi, se réappropriant des légendes, entre yokais et onis, entre traditions et mythes fondateurs, Okami est un jeu véritablement empli d'un charme élégant qui se reflète dans tout ce qu'il vient à proposer. Le travail visuel et auditif est, et j'insiste là dessus, d'une rare beauté. Et c'est bien ce qui m'avait fait adorer le jeu et ce qui m'a donné plaisir en y rejouant aujourd'hui. Seulement , même si j'aime Okami, je ne peux m’empêcher de croire que le game-design proposé par le titre est en grande partie sabordé. A la fois par sa narration, mais aussi par son gameplay et son level-design...
La narration donne des envies de meurtre. Entre les dialogues et éléments scénaristiques omniprésents, souvent répétitifs et vides d’intérêt, on se demande bien si les scénaristes se soient questionnés un tant soit peu sur les mécaniques de rythme nécessaires à la fluidité d'un jeu d'action-aventure. Car les éléments narratifs viennent régulièrement couper la progression du jeu, avec des dialogues qui n'en finissent plus , le tout articulé par des voix onomatopéiques à la Banjo-Kazooie qui mettraient à rude épreuve n'importe quelle moine tibétain. Cette surenchère de bruitages audio des enfers est à vous coincer les parties dans une porte. Et si il n'y avait que ça....
Le level-design est archaïque, même à l'époque. Évidement je ne demande pas une construction à la Prince of Persia mais mon Dieu que c'est pauvre... Qu'il s'agisse des espaces plus ouverts ou des donjons proposés par le jeu... C'est ultra linéaire et pas bien intelligent. Mal ordonné et répétitif, le level-design accuse un world-design peu cohérent et incroyablement morne. Très en deçà de ce qu'on peut ressentir chez le concurrent direct, the legend of Zelda. La même année sort Twilight Princess et la comparaison fait très très mal.
Mais le plus handicapant se situe dans l'ensemble des caractéristiques inhérent au gameplay. Car si on peut concevoir la limitation des mouvements et capacités du loup (c'est un loup après tout), on comprend difficilement comment le pinceau, brillant et amusant dans les premières heures de jeu, devienne typiquement un gadget aux mécaniques non évolutives. D'autant que la précision des traits et la reconnaissance des techniques employés par le jeu peine à convaincre. Je n'ose imaginer le calvaire pour ceux qui y ont joué sur Wii avec la reconnaissance de mouvement. Angoisse totale ! Cette déception à caractère ludique indique que la forme a pris davantage de pas sur le fond.... Et c'est bien dommage, d'autant que les combats et la surenchère des effets provoqués par ce pinceau céleste ne font qu'accroitre le manque de lisibilité du jeu. Pour peu qu'il y ai plus de trois ennemis à l'écran et hop c'est le drame, il ya des fleurs et effets de partout avec des kanjis qui trainent ici et là, des ptits ralentis de ses morts.... Sans parler de la mise en pause de l'action forcément nécessaire lorsqu'il s'agit d'utiliser le dit pinceau. Ce qui ne va pas dans le sens du rythme du jeu, déjà bien handicapé par sa narration ultra intrusive....
Ce qu'il reste à Okami au final c'est d'abord son capital sympathie over 9000. Construit dans un écrin de velours, il m'est difficilement possible de trouver un jeu dont les propriétés visuelles ont été aussi choyées dans les années 2000. Fort d'un concept intelligent et d'une ambiance nippone élégamment retranscrite (entre drame, aventure et humour), le jeu sait exactement ou il va mais se complait parfois davantage dans des éléments purement superficiels en oubliant ce qui est d'abord fondamental pour le plaisir de jeu. Manque de lisibilité, narration étouffante, game-design incertain, level-design vieillot... le jeu ne fait pas que du bien au joueur et passé ses apparences visuelles ne demande qu'à reconsidérer les fondements du jeu d'action-aventure. Il y a pas à tortiller, OUI Zelda c'est bien mieux,et OUI c'est plus juste et mieux équilibré que cet Okami peu importe l'opus et ça prend au moins le temps de construire et de proposer des donjons et boss un tant soit peu intéressants.... Okami restera toutefois à mes yeux un jeu essentiel et personnel, mais bien loin d'être fondamental dans l'histoire vidéoludique. Malheureusement.