Uzer, ruze, zurlez… «Ruzzle» !
Il ne manque à Ruzzle que le boucan infernal des petits dés qui s’entrechoquent pour parfaire ce revival de notre bon vieux Boggle. Comme en 1996, on commence par mettre la main sur un partenaire lexicophile et, si possible, imperméable au stress. Chacun sa feuille à l’époque, chacun son smartphone aujourd’hui. Une respiration, on secoue ; le hasard choisit 16 lettres et les dispose en carré, et le sable commence à couler. En deux minutes top chrono, le but est de former le plus grand nombre de mots possible en traçant un chemin de lettres adjacentes, passant de préférence par quelques cases bonus empruntées au Scrabble. Les diagonales sont autorisées, et les croisements aussi : pas de quartier !
«Quartier» ? Quartiers. Quart, quarte, quartes. On peut même en tirer une « raquette » avec un deuxième « T » opportunément placé. Raquettes, raquer, raquera, raqueras, raquerât, raquerai, raquerait, raquerais. Jouer à Ruzzle entraîne son petit lot d’effets secondaires... Chaque mot que l’on croise du regard devient un réservoir à points, dont on ne peut s’empêcher de trouver toutes les déclinaisons pour maximiser son score. Une drôle de rémanence fait danser les lettres devant nos yeux, jour et nuit, comme elle faisait tomber des briques imaginaires après une intense partie de Tetris. Pire qu’addictif, ce jeu est dangereux pour la santé. C’est certain.
Sortie sur iPhone et Android en mars 2012, l’application est longtemps restée confidentielle pour des raisons linguistiques. C’est que le berceau de Ruzzle n’est pas à chercher du côté des start-up branchées de New York, comme ce fut le cas pour Draw Something, le Pictionary mobile qui accapara nos doigts au printemps dernier. Bien plus exotique, Ruzzle est stockholmois. Ses premiers mots ont été composés en suédois, en norvégien, en danois et en néerlandais. Le français et l’anglais, entre autres, n’ont suivi qu’en janvier, et le succès immédiat avec : on compte actuellement 30 millions de joueurs... soit trois fois la population suédoise. Selon son fondateur, Daniel Hasselberg, le studio MAG Interactive n’a pas vu venir la propagation virale de son petit jeu, mais il avait concocté sa recette aux petits oignons, bien conscient que c’est dans les vieux chaudrons qu’on fait les meilleures applis.
Comme Draw Something avant lui, Ruzzle interprète le concept de « jeu social » à l’ancienne : il est possible d’affronter un adversaire aléatoire ou un follower invité via Twitter, mais les plus belles parties se jouent contre nos amis de la vraie vie. Parce qu’il n’y a rien de meilleur que de décocher un petit sourire satisfait, in real life, à celui qu’on vient d’écraser par 1 134 à 332 grâce à un combo « gluerait »-« gluerai » qui a rapporté 311 points à lui tout seul. Parce qu’il n’y a rien de meilleur que de transmettre à un collègue débutant les conseils de sa grand-mère championne de Scrabble : le mot le plus long n’est pas forcément le meilleur. Il suffit d’un « Y » sur un « mot compte triple » pour rafler 36 points avec « Ay », l’un de ces termes mystérieux — avec « wu » et « qat » — dont seul le dictionnaire connaît le sens. Sens, sensé, sensés, sensée, sensées.