L'exercice difficile du remake est encore plus délicat quand on s'attaque à un jeu culte, resté encore dans les mémoires traumatisées des joueurs qui ont un jour été absorbés par l'atmosphère aussi terrifiante qu'envoûtante qu'il proposait.
Silent Hill, premier du nom, avait apporté une nouvelle dimension à l'horreur, l'horreur psychologique encore jamais vue ressentie à ce point dans le genre survival horror comme on l'appelle presque par convention pour désigner ce genre de jeu horrifique d'action/recherche. Les suites se sont enchaînées brillamment, avec un deuxième épisode parfait, un troisième encore très impressionnant et particulièrement effrayant. Un quatrième et ultime épisode en demi teinte concluait la fantastique aventure de la Team Silent avant que la série ne s'essouffle rapidement aux mains d'autres développeurs.
On vit alors poindre ce Origins par Climax, pas honteux mais pas non plus mémorable, et ce Homecoming de chez Double Helix, honteux et certainement encore moins mémorable.
C'est donc Climax, qui se colle de nouveau à cet épisode, armé de plein de bonnes intentions et prêts à affronter les foudres des puristes en "ré-imaginant" (le mot est le leur et ils l'ont matraqué) le premier épisode de la saga.


Et c'est plutôt malin.
L'aspect psychologique est là ouvertement l'angle d'attaque, au sens propre, puisque dès les toutes premières minutes c'est sur le divan d'un psy, le bon Docteur K. que tout débute, après la successions d'images, au format VHS, de souvenirs. On assiste donc à une thérapie, des suites d'un traumatisme qu'on imagine à raison lié à Silent Hill, à laquelle le joueur prend part en répondant lui même aux différents tests dont certains sont assez déroutants. On l'a lu partout, les phases de tests influenceront ensuite, l'expérience des séquences de jeu à Silent Hill de façon plus ou moins évidentes, et le profil psychologique qui en découlera donnera au jeu différentes directions et interprétations. Les effets sont réussis, quoique superficiels parfois, mais ils donnent une saveur particulière à l'expérience, chacun se sentira personnellement concerné par l'histoire, comme si le joueur jouait vraiment une partie avec le jeu, en tête à tête.


Le parti pris, a néanmoins obligé le studio à faire de nombreux sacrifices qui pourront en rebuter plus d'un. Pour commencer, l'action est réduite à son minimum : pas de combat, juste des séquences de fuite, et encore très encadrées et clairement distinctes du reste du jeu avec cet univers de glace qui déforme les rues et les bâtiments. Les énigmes ensuite, perdent de leur redoutable difficulté pour devenir réellement enfantines, (J'avoue avoir bien ri en voyant la référence à la terrible énigme du piano et des "oiseaux silencieux" dans le premier épisode devenu ici un clavier playskool avec des personnages d'oiseaux en plastique) et plus axées sur une interaction gestuelle (à la wii-mote, car bien que l'ayant joué sur ps2 le jeu est optimisé pour Wii) que sur un triturage de méninges. Et enfin, la peur, élément pourtant crucial dans un Silent Hill, disparaît pratiquement, remplacée par un sentiment de vide et de solitude. Même les phases de poursuite, pourtant les seules comportant des monstres (dont l'aspect évolue d'ailleurs en fonction des choix du joueur) sont plus une source de stress et d'agacement (car il est dur de s'y repérer) que de réelle frayeur. Difficile à avaler au premier abord.


Restent alors les longues phases où l'on contrôle le malheureux Harry Mason, perdu dans le blizzard dans une ville à la fois familière et inconnue. Et ça aussi c'est malin. La confusion du héros rejoint celle du joueur qui a parcouru Silent Hill premier du nom, d'un bout à l'autre du jeu. Certains personnages sont de retour, mais le rapport avec leur modèle d'origine est particulièrement ténu. Les habitués seront étonnés par le rôle et l'apparence (qui, de plus, change en fonction des réponses faites au tests psy) de Cybill Bennet, l'iconique policière, par l'apparition de l'infirmière Lisa Garland si chère à ceux qui ont connu l'original et bien-sûr la présence du Dr Kauffman pousse à sourire. La plus grosse surprise est réservée pour le rôle de Dhalia, un parti pris risqué qui fait mouche selon moi.


Les lieux emblématiques sont par ailleurs tous présents, mais leur forme est à nouveau bien différente de ce qu'on a pu connaître, parfois ce sont de simples clins d'oeil, comme pour le magasin d'antiquités, ou le club Balkan qui remplace la sinistre Eglise Balkanique du premier, parfois des références à des passages emblématiques comme l'hôpital Alchemilla ou le phare. C'est un vrai régal de s'amuser à découvrir quelle interprétation en fera le jeu à mesure qu'on progresse.
Durant ces phases d'exploration, le joueur est seul. Son portable ne lui permet même pas de maintenir un lien viable puisque les communications sont rares et perturbées par le blizzard. Cet élément de gameplay servira bien plus à entrer en contact avec le passé, en prenant des photos qui révèlent les empreintes psychiques (disons des fantômes mais... pas tout à fait pour ne pas gâcher l'histoire) ou par des messages, vocaux ou textuels, en lien avec des événements qui ont pu se produire aux endroits visités. Harry traverse cet univers de neige et de glace, recherchant désespérément sa fille Cheryl et le joueur ne tarde pas à se sentir irrémédiablement seul, dans le froid, avec pour seule compagnie un passé indistinct et ses pensées, tentant intérieurement de se forger une idée de l'histoire. Encore une fois, certains détails amuseront le joueur vétéran, comme lorsqu'il apprend que Cheryl adore les insectes et collectionne les papillons, morts.


Par ailleurs, la musique de ce cher Akira Yamaoka se fait beaucoup moins bruitiste que dans ses opus précédents et adopte plutôt des thèmes ténus, froids et isolés au milieu de longues séquences silencieuses. De loin en loin ils donnent une impression de désolation, loin de l'horreur et de l'angoisse, parfaitement en phase avec l'orientation du jeu. Les sons qui ponctuent certaines actions, comme retrouver un souvenir perdu sous forme d'un objet, ou déverrouiller un passage sont également de cet ordre, froids, évaporés, lointains.


Ce Shattered Memories est donc loin de ce qu'on peut habituellement attendre d'un Silent Hill, il gomme certains des éléments les plus centraux de ce qui fait l'identité de ces jeux et pourtant il parvient à se montrer étrangement fidèle. Avec son gameplay très minimaliste, son visuel peu engageant par rapport aux merveilles qu'étaient le 2 et le 3, il a vraiment de quoi rebuter et même répugner les fans (dont je fais pourtant partie) et pourtant, seul avec son écran, avec le bruit des pas, les notes parcimonieuses de Yamaoka et sous le regard scrutateur du Dr Kauffman, il constitue une expérience originale et, c'est très louable, une prise de risque bienvenue dans une franchise hélas désormais bien avancée sur la route du déclin.

I-Reverend
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs jeux de la PlayStation 2 (PS2), Les meilleurs jeux Silent Hill et Mes jeux Playstation 1 & 2, si, si j'en ai !

Créée

le 22 nov. 2015

Critique lue 487 fois

9 j'aime

2 commentaires

I Reverend

Écrit par

Critique lue 487 fois

9
2

D'autres avis sur Silent Hill: Shattered Memories

Silent Hill: Shattered Memories
Ordos
8

Un jeu givré

Ce Silent Hill est très étrange, éloigné mais respectueux de la saga original, cet opus en déstabilisera plus d'un, fan de la saga ou non. Commençons par sa technique, car à l'heure de cette...

le 17 déc. 2010

12 j'aime

2

Silent Hill: Shattered Memories
Floax
7

♪ You're as cold as ice !

J'avais déjà tenté l'expérience Silent Hill, avec le deuxième opus, sans trop de succès, refroidi par la rigidité du gameplay et cette vacuité malsaine qui caractérisait la ville. Refroidi, je le fus...

le 8 sept. 2013

11 j'aime

8

Silent Hill: Shattered Memories
Slurm
8

Critique de Silent Hill: Shattered Memories par Slurm

Silent Hill : Shattered Memories n'est pas vraiment long et ne brille pas par sa difficulté. Techniquement, il tient la route, mais fait pâle figure à côté des épisodes 2 et 3. Les énigmes sont assez...

le 19 janv. 2011

10 j'aime

2

Du même critique

Station to Station
I-Reverend
10

Si ce n'est pas un effet secondaire de la cocaïne je pense que ça doit être de l'amour.

Station to Station est né de l'inspiration d'un David Bowie exsangue, squelettique, se nourrissant exclusivement de poivrons, de lait et de cocaïne. Il marque une étape décisive dans la construction...

le 21 févr. 2013

59 j'aime

10

Transformer
I-Reverend
10

I keep hangin' round.

Et voilà, ça commence, les idoles tombent. C'est moche, c'est inévitable, c'est statistique. 71 ans, avec de tels antécédents c'est même pas si mal. Ca fait un moment que je me tâtais à écrire une...

le 30 juin 2022

55 j'aime

21

Le Bal des vampires
I-Reverend
10

Lalalalalalala laaa, Lalalalalalala laaa !

Un jour, j'aurai vu tous les films de vampires. Ah "Le Bal des Vampires" ! Ca me ramène à une joyeuse époque, celle où débuta mon amour immodéré des vampires, celle où, usant les genoux de mon jean...

le 6 janv. 2014

49 j'aime

48