Retour sur un monument, l'oeuvre qui inventa le genre majeur du jeu vidéo, quand le médium marchait encore à quatre pattes.
Alors oui, bien sûr, Mario n'est pas le tout premier jeu où l'on peut sauter. L'honneur revient à Donkey Kong, son grand frère et ancêtre de Mario. Mais dans ce premier jeu de Shigeru Myamoto, le saut est unique, réglé au pixel prés, et laisse donc très peu de liberté au joueur.
Super Mario Bros, c'est l'oeuvre de la maturité, le deuxième jour de la Génèse quand Dieu sent qu'il tient un truc et qu'il lui suffit juste d'insuffler un peu de vie sur cette terre morne pour tenir son chef-d'oeuvre. SMB est un monument, parce que Myamoto y invente tout ce qui fait l'essence d'un jeu de plateforme, d'un coup, et d'une manière indépassable pendant longtemps.
Début du jeu, niveau 1-1 : On arrive dans un niveau horizontal, avec Mario légèrement à gauche de l'écran, les pieds sur le sol. On se rend compte qu'on ne peut pas aller à gauche, donc on part dans l'autre direction. L'écran défile, le héros avance, arrive devant un premier ennemi. Pas de poing, on ne peut donc que sauter. La forme du Gumba invite à lui sauter dessus, on le fait donc et on le tue. En sautant, on tape (par hasard ou volontairement) dans les blocs situés là et on fait sortir un champignon, qui donne à Mario une chance supplémentaire avant de mourir. Le joueur continue ainsi, saute au dessus des tuyaux, sur les koopa, au dessus de trous, avec une grande liberté dans les sauts, la vitesse, l'inertie qu'il veut donner à son avatar simplifié à l'extrême jusque dans ses motivations : Mario, la figure même du jeu vidéo.
En quelques instants, le miracle s'est accompli et le joueur est là, accroché à sa manette, sans trop comprendre pourquoi le jeu est si bon, si addictif, si spécial. Sonic peut bien accélérer le tout, Megaman rajouter des armes à distance et des barres de vie, la base même du jeu de plateforme est présente et prouve jeu après jeu sa valeur. Bien sûr, au fil des ans, on a affiné la recette, rajouté des fioritures en pagaille, converti le tout à la 3D (avec génie dans Mario 64), mais l'essence même reste là : donnez une manette à un novice, en moins d'une heure, il aura compris comment jouer.
Super Mario Bros est LE jeu qu'il faudrait mettre entre les mains de chaque enfant pour l'initier au jeu vidéo, lui faire comprendre les mécanismes de ce à quoi il joue et plus largement l'introduire dans un médium intelligent et instructif. Encore aujourd'hui, il est presque impossible de comprendre tout ce que le jeu vidéo dans son ensemble doit à SMB, mais le plus important reste le concept même du saut et la liberté qu'il implique dans la manière dont le joueur joue. A partir de là, rien de surprenant à ce que le renouveau indé du genre de la plateforme, Super Meat Boy, lui rend hommage jusque dans son nom !
Car le saut implique aussi une gravité, une physique particulière, un game design qui peut se détacher de longues lignes de narration explicatives pour faire appel aux réflexes du joueur. Le saut avait déjà une dimension jouissive qui convient particulièrement bien au jeu, en général, vidéo ou non. Mais SMB offre pour la première fois au joueur le frisson de satisfaction d'avoir réussi un saut au pixel près ou d'avoir évité un ennemi d'un cheveux. Il procure également la légère frustration qui enrage et pousse le joueur à reprendre un niveau lorsqu'un saut mal négocié envoie Mario en plein sur un marteau ou dans un trou. Un plaisir bien présent, plus de 30 ans après.
Si vous n'avez pas déjà joué à Super Mario Bros, faites le. Et contemplez l'histoire du jeu vidéo, écrite en gros pixels dans la moustache d'une légende en salopette.