Syberia 3
5.2
Syberia 3

Jeu de Microids (2017PC)

Grand amateur de jeux d’aventures-point n’click, je me souviens de cette triste époque du début des années 2000, quand le genre a connu une importante perte de vitesse. L’avènement de la 3D avait, en effet, suggéré à certains que les jeux de ce type étaient condamnés à tomber en désuétude, les poussant du même coup à tenter d’en moderniser les concepts. Mais, faute d’inspiration, on ne récolta que de vaines tentatives de dynamiser l’ensemble via des scènes d’action ou d’infiltration ratées, et l’arrivée de titres sacrifiant à la 3D toute leur lisibilité et leur ergonomie. Pourtant, si cette période vit malheureusement débuter le déclin de certaines séries jusqu’alors excellentes comme Les Chevaliers de Baphomet, elle vit aussi naître çà et là quelques licences de qualité qui contribuèrent au retour en grâce du genre, à l’instar de Syberia. La série imaginée par Benoît Sokal sut ainsi convaincre les joueurs de par son univers à l’identité très marquée, doublée d’une réalisation et d’un gameplay traditionnel de haute volée, démontrant que le classicisme n’était pas toujours synonyme d’obsolescence. Malheureusement, après la sortie de son non moins bon deuxième épisode en 2004, les aventures de Kate Walker sont tombées dans une hibernation de treize longues années, avant d’enfin revenir pour un troisième épisode reprenant les choses là où on les avaient laissées, comme si rien ne s’était passé. Et c’est sans doute là que l’on trouve l’un des principaux problèmes de ce Syberia 3. Car à la suite de ce probablement trop long repos, ce retour au pays des automates commet aujourd’hui une grande partie des erreurs passées de ses anciens concurrents ; des impairs que ses prédécesseurs avaient, hier, su éviter.



Des retrouvailles qui ne partaient pas si mal...



Cela est d’autant plus dommage que les choses n’avaient finalement pas si mal commencées, le titre semblant, de prime abord, n’avoir rien perdu de ce qui faisait son sel. On retrouve donc avec plaisir l’incontournable avocate Kate Walker, dont la mission principale consistera, dans cette troisième aventure, à accompagner la tribu Youkol au terme de la transhumance de leurs autruches sacrées, un rituel traditionnel contrarié par des antagonistes désireux de voir les autochtones renoncer à leurs traditions, afin de se plier aux règles de la société moderne. Un voyage d’une bonne quinzaine d’heures, annonciateurs des parfois belles choses que l’on sera amené à voir, notamment grâce à une direction artistique toujours efficace, et une OST magnifique quoique parfois un poil répétitive. Le plaisir nostalgique sera également de la partie, tant il s’avèrera réjouissant de retrouver automates, youkis ou certains personnages ayant conservé leur voix du passé, à l’instar de Kate. Cette ambiance toujours aussi singulière et quasiment irréprochable tout au long de l’aventure reste l’une des grandes forces du titre, un aspect qui saura rappeler d’agréables souvenirs aux fans de la première heure.


Outre ces éléments, ce Sybéria 3 arrivera également à susciter un certain enthousiasme par l’intermédiaire de ses puzzles, souvent bien construits, ne laissant la plupart du temps que quelques indices discrets, mais suffisamment parlants pour nous mettre sur la voie. Certaines énigmes réserveront également quelques bonnes surprises bienvenues dont je tairai la teneur, comme celle des chauves-souris dans les rames de métro. Notons également une des petites nouveautés ce cet épisode qui consiste à régler quelques situations en essayant de convaincre certains PNJ par le dialogue, nous obligeant à recourir à une solution alternative en cas d’échec. Dans un monde parfait, on aurait finalement pu ne regretter que le fait que les énigmes à base d’objets à utiliser souffrent d’une absence presque totale de difficulté, à contrario de celles reposant sur des mécanismes divers qui sans être insurmontables, se montrent bien plus intéressantes. Hélas, treize ans après deux épisodes ayant fait mine d’avoir tout compris, ce troisième opus fait à son tour la bêtise de tomber dans le piège de l’obsession de la modernisation du gameplay, au détriment du plaisir de jeu.



"Vous vous conduisez comme une automate, Kate Walker!"



Soyons clairs sur le fait que l’utilisation de la 3D dans un jeu de ce type ne représente en aucun cas un problème en soi, à partir du moment où les concepteurs la maîtrisent correctement, et savent l’utiliser au service de leur production. Une chose qu’Anuman Interactive n’a ici pas su faire, faisant de la jouabilité sa première victime. Le simple fait qu’il nous soit conseillé, en début de jeu, de privilégier l’usage de la manette pour une expérience optimale met tout de suite la puce à l’oreille. J’en viens même à réellement plaindre ceux qui opteront pour le duo clavier/souris, tant le maniement au pad se révèle déjà chaotique. Ainsi, outre la relative lenteur et la rigidité de Kate, il n’est pas rare que les déplacements de notre héroïne soient souvent altérés par de multiples problèmes de direction, la jeune femme semblant parfois entrainée malgré elle sur des rails invisibles. Un souci qui se retrouve largement accentué par les environnements souvent bien trop grands que l’on sera amené à parcourir.


Au-delà du fait qu’une telle ampleur est difficilement justifiable compte-tenu de l’absence parfois totale d’interactions dans certains lieux, l’exploration se voit régulièrement alourdie par des éléments qui paraissaient pourtant parfaitement évitables. Citons pour commencer ces inexplicables murs invisibles bloquant de temps à autre l’accès à des zones paraissant pourtant parfaitement visuellement accessibles, qui pour certaines, finiront même par se débloquer dès que le jeu le jugera utile. A tout cela viennent se greffer ces caméras souvent mal placées, parvenant régulièrement à nous désorienter lors des changements de point de vue trop radicaux, ou dans certains décors visuellement répétitifs. Si on ajoute à cela les réguliers bugs de collisions (maudits escaliers !) et de textures, Il devient alors plus fastidieux qu’amusant d’évoluer dans cet univers pourtant artistiquement attrayant.



Une ergonomie bien grippée...



Les problèmes de gameplay ne s’arrêtent malheureusement pas là, ces derniers ayant jugé bon de ne pas épargner non plus la bonne marche des énigmes. Première coupable, la partie tutorial, souvent avare en explications claires, quand elle n’induit pas carrément en erreur, comme en début de jeu, où le titre explique d’incliner le stick analogique vers le haut pour retirer une vis, là où une rotation à 360° était nécessaire. Nombre d’énigmes fonctionneront d’ailleurs à base de divers mouvements au stick analogique pour le moins crispants, leur manque de précision aboutissant fréquemment à des actions non désirées.


J’avoue avoir aussi un peu de mal à comprendre ce système de sauvegarde automatique m’apparaissant comme un non-sens dans un point n’click. L’essence même de ce type de jeu implique de souvent bloquer pendant une plus ou moins grande poignée de minutes devant une énigme coriace. Il arrive donc périodiquement au joueur d’avancer au compte-goutte, validant à intervalles très espacés les étapes de la solution, ce qui motive l’habituel système de sauvegarde libre afin qu’il ne perde pas le fil de sa progression lorsqu’il est contraint de s’arrêter. Difficile alors de justifier la pertinence de cet étrange système de check-point, obligeant parfois à revalider toute une série d’actions déjà accomplies lors d’une partie antérieure, d’autant plus lorsque cela s'accompagne, en prime, d'un revisionnage de cinématique. Et ne parlons même pas des cas, heureusement rares, où cette contrainte fait suite à un bug de script, forçant à redémarrer la partie sans vraiment savoir où le jeu va nous remettre.



Histoire d'en rire... ou pas.



On s’accroche pourtant tant bien que mal, grâce aux quelques bonnes choses citées plus haut, en se disant que l’univers sera au moins servi par un scénario à la hauteur des précédents volets. Mais comme pour le reste, nos illusions sont mises à mal par un déroulement épisodiquement bancal, certaines étourderies trahissant parfois un peu trop l’incapacité manifeste des développeurs à se dépêtrer d’un projet qu’ils peinaient à maîtriser. On commencera par se demander pourquoi le titre ne propose pas une petite piqûre de rappel des évènements passés que n’auraient certainement pas reniée les anciens joueurs, et qui aurait évité aux nouveaux de se sentir quelque peu ignorés. De ce fait, étant donné que ce nouvel épisode ne clôture aucunement l’histoire en préférant nous laisser sur un cliffhanger frustrant, espérons que les équipes de Benoît Sokal sauront, à l’avenir, éviter une telle omission, surtout si ce quatrième épisode doit lui aussi se faire attendre plusieurs années.


D’autre part, si la narration de la série Syberia s’est toujours articulée autour d’un rythme assez lent, ce choix collait suffisamment au récit et à l’ambiance recherchée pour être pertinent. Un parti-pris que Syberia 3 ne parvient à honorer que partiellement, à s’éterniser plus que de raison dans certaines zones ou sur certaines séquences, comme la réparation du navire, interminable. La frontière entre calme et ennui en devient trop souvent ténue, l’agacement pouvant même pointer le bout de son nez lorsque les incohérences se joignent à la fête, à l’instar du benêt dénouement de la fameuse énigme des chauves-souris.


Les bons moments sont pourtant là et auraient même pu être marquants pour certains, comme le voyage en mer à destination de Baranour, si les doublages français majoritairement calamiteux, ne venaient pas en gâcher l’intensité dramatique. La satisfaction me semblait pourtant, à première vue, de rigueur avec le retour de Françoise Cadol dans le rôle de Kate Walker. Mais les quelques ratés, principalement circonstanciels, de l’ancienne doubleuse de Lara Croft, en dit long sur la pauvreté de la direction des acteurs. Dans cet ordre d’idées, rien de mieux pour neutraliser la tension d’une scène illustrant un navire menaçant de couler, qu’une conversation menée par deux personnages adoptant un ton aussi calme que s’ils discutaient autour d’un verre. Le casting vocal viendra également noircir quelque peu le tableau. Au mieux, les quelques interprétations monocordes aux allures de récitation de texte susciteront l’indifférence. Au pire, les voix de personnages comme celle du capitaine Obo provoqueront l’hilarité en toute circonstance, y compris lors des moments censés être graves. Par moments, on se croirait presque revenu à l’ère des plus mauvais doublages Playstation première du nom, la traduction correcte permettant ici de sauver un peu la mise. Et à l’heure du bilan, ces trop nombreuses pilules ont quand même bien du mal à passer.


Difficile de faire totalement abstraction du cœur lorsqu’il s’agit de juger un nouvel épisode d’une série que l’on a toujours hautement appréciée, surtout quand elle bénéficie d’une identité aussi forte. Et cette identité est toujours là, avec son ambiance si particulière, ses personnages uniques, ou ses puzzles parfois bien pensés, sachant rappeler à l’inconditionnel que l’ADN de la saga est toujours présente. Mais il devient de plus en plus difficile de s’y raccrocher au fur et à mesure que l’on avance, tant les erreurs grossières viennent parasiter ce Syberia 3 bien souffreteux. A trop pester contre ce gameplay capricieux, cette exploration de plus en plus fastidieuse, et ces multiples errements narratifs souvent stupides, on ressort de ce nouvel épisode des aventures de Kate Walker avec une frustration qui tempère bien trop fortement les retrouvailles. Les plus réceptifs, dont je fais finalement partie, sauront sans doute passer outre tous ces défauts pour se dire que, dans le fond, l’esprit originel a survécu, et que c’est bien là l’essentiel. Mais quand j’y réfléchis cinq minutes, comment faire totalement abstraction de tous ces moments d’agacement, m’ayant trop souvent poussé à me demander si ce chaotique voyage valait vraiment la peine d’être vécu ?

Arnaud_Lalanne
4
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le 23 mai 2017

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Arnaud Lalanne

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