Tales of Symphonia
7.8
Tales of Symphonia

Jeu de Namco Tales Studio, Namco et Bandai Namco (2003GameCube)

Ce bon vieux "Tales of", comme on aime l'appeler (alors qu'il y a toute une série basée sur ce nom), se veut comme une aventure sotte et clichée sur des thématiques éculées de JRPGs telles que la discrimination ou le rapport à de fausses divinités (le but du jeu est de niquer le clergé). Les connaisseurs diront qu'ils ont vu mieux, les non-initiés que ça fait tiep (cheveux de mangas et compagnie) ; mais ça reste un jeu qui m'intéresse aujourd'hui de par ce qu'il donne à jouer et rencontrer. Ici Namco avait opté pour la politique du classicisme, de manière purement commerciale, ce qui n'a pas empêché à ce jeu d'être l'endroit d'une expression à part entière, et d'une expérience sensationnelle que je vais essayer de faire sentir en quelques lignes.


Il n'est pas obligatoire d'y jouer en co-opération, mais avant toute chose je précise que je recommande de l'apprécier ainsi, de préférence avec des gens capables d'émuler toute la substance comique dégagée par ce bloc de violence idiote et de péripéties ampoulées, le tout servi par une esthétique vaporwave du plus bel effet. Quand j'étais au lycée j'avais un pote qui n'arrivait pas à aimer ce jeu, il lui trouvait tous les défauts du JRPG/animé pour ado débile, et même si je pense qu'il faut aller au-delà de ça, il avait bien sûr raison sur le plan exotérique. Était-ce malaisant ? Très. Je connais heureusement des gens avec qui y jouer.


Les combats proposent un système en temps réel rigide et exigeant, qui, si on se plie à ses règles, regorge de subtilités qu'il faut apprivoiser pour pouvoir finir le jeu en mode difficile ou mania, si possible en vitessecourse. Il faut gérer l'espace autour de soi, ainsi que la temporalité, afin d'éviter le plus possible les frappes adverses, tout en se co-ordonnant à plusieurs pour poursuivre les combos, et bien sûr, utiliser toutes les possibilités qui nous sont offertes, par exemple "Croc démoniaque" sur un ennemi à terre pour le relever et éviter qu'il se mette en mode adrénaline.


Le jeu regorge de petits détails de ce genre, qui lui donnent tout son sel ; d'ailleurs les épisodes "Tales of" suivants, en proposant des prises en main très variées, échappent un peu à ça. Par exemple la course libre modifie complètement l'essence des combats. Symphonia est intransigeant, on a une seule ligne de déplacement, on peut la changer s'il y a d'autres ennemis, et c'est tout. Il faut composer avec ça. On peut par exemple tenter de manipuler l'IA afin de changer les lignes de déplacement d'un coéquipier, pour qu'il se décoince. Bien sûr, il est aussi possible de jouer sur les gemmes ex pour pouvoir éventuellement optimiser certaines tactiques (entre autres). Même si ça n'est pas forcément évident quand on fait le jeu "normalement", le gameplay des combats est en fait sa grande force.


On aime se mettre à 4 et casser la gueule de chaque boss l'un après l'autre, le plus vite possible, se vanter de lui avoir mis la misère, puis reprendre la partie de mitraillette sur le bouton A pendant que les cinématiques se déploient à toute vitesse et que les personnages ne font plus que des interjections effacées ("be-", "a-", "o-" etc) et des mouvements stupides. Bien entendu, il est aussi de bon ton de laisser respirer certaines séquences, pour la qualité de leur mise en scène et de l'enregistrement audio conçu en studio comme une oeuvre à part entière de musique concrète (exemple : https://www.youtube.com/watch?v=_J37az8fHTw ).


Le scénario est plutôt sympa si vous avez 13 ans (je recommande pour cet âge), ou plutôt disons que l'histoire est nulle mais bien racontée, il y a du suspense et des rebondissements à foison. Certains "twists" sont attendus, notamment les plus fins sémiologues auront vite compris que Kratos incarne une figure paternelle, et par déduction... voilà quoi ; pour les meilleurs, il est même possible de deviner sa place dès son arrivée en pyjama violet. Mais bref sinon en vitessecourse on passe évidemment la plupart des cinématiques. En effet, l'esthétique vaporwave "aux petits oignons" du jeu se savoure déjà d'elle-même dans les phases de donjons, et surtout les combats contre des adversaires tout droit sortis de Yu-Gi-Oh, qui me feraient honte si j'avais prêté ce jeu à quelqu'un.


D'un point de vue visuel et sonore justement, les combats sont très intéressants parce que les interactions qu'on est forcés de faire rythment la composition concrète permanente, à la fois aseptisée et sale, évoquant incessamment le faux, et ainsi alimentent par des cris en studio low-cost une poésie, et répondent à une fiction picturale jouant constamment avec les codes du cel-shading et ses limites esthétiques ; quelque part ça joue avec le vulgaire, mais ça le sublime. Les textures baveuses et les animations ajoutent au plaisir, par exemple il est agréable de se battre contre des ours en piétinant du bleu d'Auvergne au sentier d'Ossa ; mais bien sûr c'est la dimension ludique qui importe, dans toute sa précision sauvage. Il y a en effet une vraie tension dans les modes de difficulté élevés, et cette tension, je le répète, doit se voir comme combinée au visuel/sonore, elle appartient à un ensemble capable d'interroger sur l'activité humaine.


Bien sûr la co-opération impose la communication. Par exemple ne pas mécontenter le guérisseur (Raine) (ça fait partie de la tension d'ailleurs), savoir manipuler le menu à toute vitesse sans que quiconque n'y mette ses pattes, se positionner, se mettre d'accord pour le rythme de frappe, etc. La communication est également nécessaire dans les phases hors-combat, voire hors-gameplay, car en quelque sorte la progression dans l'oeuvre appartient à une forme d'amusement complice auquel il faut savoir prendre part pour élucider tous ensemble le mystère de la vie. C'est, comme je l'ai dit plus haut, une question d'émulation. Mais comme le dit si bien l'Arbiter à la fin de Halo 3, "ça n'est pas aussi simple".


Malheureusement, les seuls boss vraiment difficiles à poutrer, comme les trois danseurs d'épée, Abyssion, ou les personnages de Tales of Destiny (sauf erreur) dans le colisée, ne sont pas bien nombreux. C'est un peu ça le problème de Symphonia (et quand je dis "problème" ça peut être négatif mais pas forcément) : le cœur du gameplay est parfait, on peut aller jusqu'au niveau 200 etc, mais on se retrouve vite à bout de défis avec ses potes. Il faut alors retaper le jeu. C'est un peu dommage de ne pas avoir ajouté des combats comme celui du colisée, disons 5 ou 6 supplémentaires comme ça par exemple. Il y a toujours le livre maudit pour ceux qui aiment les expériences psychédéliques (à faire la nuit pour se calquer sur le rythme de la rotation terrestre). Le fait de ne pas pouvoir passer les cinématiques peut rendre le jeu un peu emmerdant aussi mais ça fait partie d'un tout : une espèce de monolithe aesthetic qu'il faut refaire en boucle éternellement afin de parfaire le jeu de son équipe (sincèrement Vesperia à côté c'est la frénésie, un tout autre délire). Pour les vitessecourses, il n'y a qu'un seul bug à apprendre, par contre il est très chiant, je déconseille d'essayer de se classer officiellement ; ce qui compte c'est tout ce que j'ai déjà évoqué. Faut aller à son rythme.


À part ça même si le scénario donne dans des thèmes classiques (le racisme c'est mal, les religions attention des fois c'est méchant), la composition globale du jeu en fait quelque chose qui parle davantage du thème du faux. C'est un des thèmes clés du jeu, c'est ce qu'il transpire par tous ses pores. Par tout ce que véhicule la mise en scène (interactive ou non d'ailleurs), mais également dans les éléments du récit. Par exemple un pote de jeu, quand il était petit, voulut montrer à sa mère toute la fierté qu'il avait en tuant Kratos parce que "regarde, maman, c'est un ange il est méchant et je le tue !" Sa génitrice, antillaise et très croyante, a été immédiatement choquée devant le péché de son fils. Il a fallu lui expliquer : dans ce jeu, on se bat contre de faux anges. Donc encore une fois la leçon de l'Arbiter est à suivre : "ça n'est pas aussi simple". Et c'est peut-être ça aussi le danger des jeux vidéo : leur complexité.


Voilà, bien sûr j'en aurai jamais assez dit donc je pense que je vais m'arrêter là. Faut retenir que c'est un jeu marrant, et en même temps très mystérieux, c'est niais à plusieurs égards bien sûr, mais toujours un plaisir. Petit regret sur le contenu, je ne demande pas un contenu gigantesque et m'as-tu-vu à l'occidentale (beurk) mais quelques idées en plus ça aurait donné de la consistance à ce jeu presque génial.


(note originale : 7/10)

Vilain_officiel
8
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le 9 juin 2017

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Vilain_officiel

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