Le paradoxe d'une suite aussi intéressante que regrettable. (Spoilers)

Signalons à toutes fins utiles que cette critique spoile copieusement le scénario de The Last of Us Part II. Évitez donc de la lire tant que vous n'avez pas terminé le jeu, si vous souhaitez garder l'effet de surprise intact.


Le dénouement du premier The Last of Us évoque en moi des souvenirs bien particuliers. Conquis par le duo Ellie/Joël, et alors que je m’approchais à grands pas de la fin du jeu, j’étais assez terrifié à l’idée de voir mon aventure se terminer sur la trop prévisible et triste note d’une Ellie se sacrifiant pour le bien commun, et laissant un Joël fier d’avoir pris la bonne décision, mais dévasté d’avoir perdu une deuxième fille. Mais Naughty Dog m’avait allègrement pris à contre-pied, en me proposant en lieu et place une conclusion crue, froide, et surtout beaucoup plus personnelle que prévue. Ayant animé nombre de débats et de controverses, elle m’est apparue d’une incroyable justesse, tant elle respectait à la lettre tout ce qu’avait été Joël jusqu’alors. En l’occurrence un père meurtri par la mort de sa fille, heureux d’en trouver une autre en la personne d’Ellie, et capable des pires horreurs pour éviter d’avoir revivre cette insupportable souffrance. Et qu’on y adhère ou pas, ce final qui avait le bon goût de n’apporter aucun jugement, laissant au joueur le soin de réfléchir sur le bien-fondé ou non des actes de son avatar, et de le laisser imaginer par lui-même les éventuelles conséquences. Mais alors que je regardais défiler les crédits, encore ravi des moments marquants que je venais de vivre, une crainte s’est alors emparée de moi. La crainte que cette histoire, à mon sens si juste et si précise, soit un jour gâchée par l’appel du marketing qui pousserait Naughty Dog à imaginer une suite, dénaturant alors tout le propos viscéral d’une production qui se voulait, à la base, unique. J’imaginais donc le pire : à savoir un prévisible second épisode qui se hasarderait à ne plus se soucier que des conséquences des actes de Joël, lui-même détesté par une Ellie ayant appris la vérité, et incapable de lui pardonner d’avoir fait ce choix. Et bien entendu, il se retrouverait traqué par des Lucioles désireuses de se venger de cet immonde ennemi de l’humanité, ayant massacré les leurs par pur égoïsme. Je ne voulais surtout pas qu’on me raconte ce genre d’histoire, qui aurait enlevé à ce si marquant premier volet une grande partie de qui faisait son sel. Malheureusement, trois ans après cette expérience PS3, Neil Druckmann et son équipe, vaincus par l’appel du marketing, ont annoncé cette fameuse suite que je redoutais tant. C’est donc sceptique, mais tout de même curieux que je me suis lancé dans cette partie deux, en espérant secrètement qu’elle parviendrait à éviter les pièges que je m’étais imaginés à l’époque. Pauvre naïf, que je suis, les équipes de Naughty Dog se sont pourtant jetés dedans la tête la première, à mon grand désespoir. Pourtant, en dépit des réelles désillusions qu’engendrent les choix opérés par ce nouveau volet, ce sombre et violent nouveau voyage aux pays des infectés se montre intéressant à plus d’un titre.



Attention! Chien méchant!



Partager son ressenti sur un titre d’une telle envergure peut facilement devenir un exercice ingrat, surtout si la propreté du gameplay et de la réalisation suivent. Et c’est particulièrement vrai dans le cas de The Last of Us Part II, tant la production du titre se révèle soignée et exemplaire. Disons-le tout net. Si l’axe narratif ne vous intéresse pas plus que cela (ce qui serait quand même dommage), et que vous cherchez juste un beau et bon jeu d’action-infiltration au gameplay carré, alors cette nouvelle aventure sera bien difficile à prendre en défaut. Abordons d’ailleurs tout de suite la partie qui souffrira sans doute le moins de discussions : la dimension ludique. Sans être exceptionnel, le premier épisode avait su se montrer efficace sur ce point, alternant furtivité, affrontements plus directs, ou exploration plus posée. Une formule que ce deuxième volet préfère affiner plutôt que bousculer. Visiter les moindres recoins d’un immeuble à la recherche de matériaux pour fabriquer des mines artisanales, ramasser bouteilles et briques pour faciliter une diversion, ou actionner le mode écoute pour mieux jouer au chat et à la souris avec les infectés, sont autant de mécaniques que l’on retrouve avec plaisir. Et tout cela s’accompagne évidemment de quelques subtiles nouveautés.


En effet, si les sensations générales restent à peu de chose près les mêmes qu’auparavant, quelques ajustements intéressants viennent dynamiser un peu l’ensemble. Les phases de discrétions, enrichies par la possibilité de ramper ou de se cacher parmi les hautes herbes, en ressortent grandies. On appréciera au passage que ces nouvelles options ne constituent jamais une garantie malgré leur utilité, notamment grâce à une adversité au comportement globalement plutôt cohérent. Ainsi, une approche trop laxiste a de grandes chances de vous mener à une mort certaine, que vous soyez aux prises avec des humains ou des infectés. Tous seront à même de vous surprendre, qu’il s’agisse de nouveaux ennemis à l’instar des chiens capables de vous sentir à distance quelle que soit votre cachette, ou des têtes plus connues comme les claqueurs, plus difficiles à surprendre, notamment dans les niveaux de difficulté les plus élevés. Si le bestiaire reste quantitativement assez faible malgré quelques renforts, leur côté très « vivant » et la constante tension qu’ils procurent aux phases d’action le rend assez plaisant à côtoyer. Il est ainsi plutôt sympathique d’entendre les humains s’appeler par leurs prénoms, et de les voir s’attrister de découvrir le cadavre d’un de leurs amis qu’on a préalablement vaincu. Les infectés sauront quant à eux introduire quelques séquences assez flippantes, avec parfois de petits sursauts que n’auraient pas renié le meilleur des Resident Evil. Dans le même ordre d’idée, les combats au corps à corps ont également gagné en intensité, notamment grâce à la gestion des esquives. On ressent véritablement que toute attaque peut faire très mal, ce qui nous incite à faire d’autant plus attention à chacune de nos actions, de peur de prendre un coup de hache assassin à la moindre erreur. Relativement accessibles, ces affrontements s’avèrent suffisamment immersifs et prenants pour qu’on se surprenne souvent à les privilégier aux plus classiques gunfights. Le jeu proposant d’autre part de contrôler deux personnages distincts, on appréciera de voir leur arsenal et leurs arbres de compétences changer de l’un à l’autre, pouvant modifier de temps à autre la façon dont on se confrontera à certains ennemis. Et puisqu’on parle d’accessibilité, saluons les nombreux éléments paramétrables mis à disposition du joueur afin qu’il puisse profiter de l’expérience quelles que soient ses facultés.


Des approches qui seront largement influencées par des environnements plus ouverts, suivant ainsi la route tracée par Uncharted 4 et Lost Legacy. Ceux qui ont fait ce dernier se souviendront sans doute de son fameux chapitre 4 permettant de se balader un peu plus librement dans une vaste zone, en étant libre d’y accomplir nos objectifs dans l’ordre qu’on voulait. The Last of Us Part II reprend donc ce système afin d’agrandir son terrain de jeu, étendant ainsi l’exploration et les possibilités d’infiltration. On s’en rendra particulièrement compte lors de notre arrivée à Seattle, lorsqu’on sera amené à chercher de l’essence pour alimenter un générateur électrique ; un prétexte pour nous amener à visiter une énorme zone remplie d’une multitude de lieux à visiter. La suite se révèlera globalement plus linéaire, mais toujours suffisamment riche en chemins et en petits secrets pour qu’on se sente moins à l’étroit que lors de notre premier road trip de l’ère PS3. La démarche sera vue d’un très bon œil par tous les fervents défenseurs des jeux à durée de vie toujours plus longue. N’en faisant pas forcément partie, et si je m’en suis parfois réjouis pour les raisons précitées, les fréquents moments de remplissage qu’elles engendrent me laissent sceptique quant à leur légitimité. On compte de ce fait pas mal de séquences d’action un peu forcées et artificielles, ou encore de temps morts qui n’ont pas toujours grand-chose à raconter. On pourra également être un peu déçu du fait que les équipes de Neil Druckmann aient sous-exploité certaines mécaniques, à l’instar des phases en bateau et de nage, à l’utilité beaucoup trop localisée pour ne pas être anecdotique. Ce regrettable excès de contenu ne manquera d’ailleurs pas d’avoir des conséquences plus graves sur l’aspect narratif du jeu, mais j’aurai l’occasion d’y revenir en temps voulu. Cela dit, saluons tout de même le travail de Naughty Dog sur le level-design général, par ailleurs exemplaire .



American Beauty



De toute façon, ces quelques griefs s’effaceront aussitôt aux yeux de beaucoup au regard de l’extrême beauté des environnements à traverser. On savait que The Last of Us Part II avait la trempe de ces jeux quintuple A capables de repousser les limites graphiques de la PS4. Et qu’on puisse lui préférer les God of War ou autres Red Dead Redemption 2 sur certains détails n’altère en rien l’excellence visuelle de cette nouvelle aventure. Fort de son expérience acquise sur les derniers Uncharted, Naughty Dog livre une copie magnifique, aux textures précises et détaillées, à la végétation toujours plus impressionnante et aux paysages fourmillant de nombreux détails. Un travail abouti qui n’a rien d’une simple masturbation technique, tant cette richesse donne tout son sens au terme « narration environnementale ». Sillonner maisons, immeubles, ou magasins donne une bonne idée de ce qui a pu s’y dérouler rien qu’en scrutant leurs moindres recoins, ce qui renforce avec grand brio l’immersion. Tout autant d’ailleurs que les ambiances générées par les jeux de couleurs et les effets de lumières. On est donc parfois sincèrement mal à l’aise devant l’atmosphère souvent pluvieuse, sombre et grisâtre d’une aventure principale conduite par la tristesse et la haine. Tandis qu’on se sentira beaucoup plus en paix et en confiance lors des flashbacks, aux climats plus festifs avec leurs couleurs chatoyantes et leur lumière souvent éclatante. La parfaite expression de ce qu’une combinaison idéale de la technique et de la direction artistique peut apporter à un jeu vidéo. Et Naughty Dog montre une nouvelle fois ici sa maîtrise en la matière.


Et évidemment, cette excellence technique se répercute aussi sur les personnages. D’une modélisation bien entendu irréprochable, les différents protagonistes se démarquent aussi et surtout par leurs attitudes saisissantes de naturel, et un jeu d’acteur des plus impressionnants. La motion-capture retranscrit avec précision la moindre expression faciale, mouvement d’yeux, ou froncement de sourcils pour que la 3D ne constitue plus vraiment un obstacle à la précision des émotions véhiculées. Je serais honnêtement tenté de dire que The Last of Us Part II vaut le coup d’être parcouru rien que pour sa prouesse et sa cohérence technique, que même le plus grand réfractaire à cette nouvelle aventure ne pourra contredire. La finition du titre est un véritable modèle du genre, quasiment dépourvue de bugs ou de chutes de frame-rate malvenues et ce, même sur PS4 classique, machine sur laquelle j’ai personnellement fait le jeu. Pour chipoter, on pourra tout juste remarquer quelques temps de chargement un peu longs, qui amènent çà et là un brin de clipping. Mais il faudrait faire preuve d’une profonde mauvaise foi ou de haine gratuite pour détruire le jeu pour cette seule raison. Mais passons au sujet qui fâche, et qui me contrarie le plus malgré de vraies qualités : le scénario.



Anges et Démons



Parce que quoi qu’on pense de la partie gameplay, on ne peut en aucun cas occulter qu’un des enjeux principaux de ce second volet était de raconter une histoire toute aussi marquante que celle de son prédécesseur. Et vous l’aurez sans doute compris en lisant ma (trop ?) longue introduction, je n’ai pas été totalement convaincu par cette nouvelle itération. Je le redis, je ne souhaitais pas qu’on revienne sur la fin du premier épisode. Et encore moins sur les conséquences des actes de Joël, surtout si c’était pour mettre totalement de côté son point de vue, pourtant au centre du récit originel. C’est cependant bel et bien en mettant les pieds dans ce plat que débute cette nouvelle aventure qui prendra un malin plaisir à s’attarder sur les répercussions du sauvetage d’Ellie sur pas mal de monde. Et la faiblesse de ce postulat de départ vient du fait qu’elle accumule tous les clichés prévisibles qu’on pouvait malheureusement en attendre. On pouvait aisément se douter que cet héroïque docteur, en passe de sauver l’humanité avant d’être abattu par Joël, avait des proches parmi les Lucioles qui auraient à cœur de crier vengeance. Mais j’aurais au moins aimé qu’on nous évite ce moment si prévisible où Ellie ne manque pas d’apprendre toute la vérité, et se mette à en vouloir à son père de fortune à l’issue de cet inévitable dialogue que je redoutais tant d’entendre un jour. Mes pires craintes devenaient donc réalité.


Plus grave, nos deux héros, si attachants auparavant, perdront largement en sympathie dans ce nouvel opus. Entre un Joël peu présent et détruit par une culpabilité quasiment présentée comme incontestable, et une Ellie rongée par la souffrance et épisodiquement antipathique, j’avoue avoir eu un peu de mal à m’accommoder de cette nouvelle direction qu’il m’effrayait de voir empruntée. J’espérais naïvement que Neil Druckmann refuserait de s’y rendre, son univers étant suffisamment riche pour être capable d’offrir bien autre chose. Des espoirs d’autant plus réduits à néant qu’à cause d’un Joël un peu trop mis de côté, notre héros déchu pourra facilement être vu comme un infâme criminel égoïste auprès du nouveau venu. Le débat le concernant, déjà développé en long et en large dans le premier jeu, n’avait pas nécessairement besoin de se situer au cœur de celui-ci. Mais il aurait été clairement profitable de le ramener un minimum sur le devant de la scène, ne serait-ce que pour recontextualiser un peu les choses. En l’état, le propos général s’en retrouve un peu affaibli, en plus d’anéantir une partie de l’intérêt et de la portée du titre de 2013. Toutefois, n’allons pas condamner ce nouveau récit sur ces seules doléances sans l’avoir analysé un peu plus avant.



La vengeance dans la peau



Car en dépit de ses défauts, cette réflexion sur la vengeance à tout de même beaucoup à offrir. Une vengeance reposant sur l’une des grosses prises de risque de The Last of Us 2 : l’assassinat de Joël. En effet, notre tant apprécié héros du premier épisode se voit tué dès la fin du prologue par le nouveau protagoniste clef de cette nouvelle aventure, une sculpturale jeune femme prénommée Abby. Un rebondissement choc qui n’aura d’ailleurs pas manqué de provoquer un véritable esclandre auprès des plus virulents. Si je peux largement comprendre l’émoi suscité par un tel évènement, sentiment que j’ai moi-même ressenti, j’ai trouvé la prise de risque plutôt appréciable et surtout, nécessaire pour générer chez le joueur cette motivation et cette empathie qui le pousse à vouloir accompagner Ellie dans sa violente quête meurtrière. Les moins enclins à accepter cette mort prématurée l’auront copieusement critiquée, prétextant le manque de répondant d’un Joël arbitrairement pas assez badass. J’objecterai qu’il n’avait contextuellement aucune raison de l’être, vivant désormais au sein d’une communauté l’ayant aidé à développer un côté altruiste, et souhaitant offrir à Ellie une vie plus saine et stable. Oppressé par une horde d’infectés et une forte tempête de neige, il ne paraît en rien illogique qu’il décide de se réfugier dans le camp de la femme qu’il venait de sauver le temps que les choses se calment, le conduisant malheureusement à ce funeste destin.


Le véritable intérêt de ce choix audacieux viendra surtout du fait qu’il est à l’origine du vrai tour de force du jeu, à savoir nous permettre de vivre l’essentiel du récit divisé en deux blocs, reflétant deux points de vue. D’abord celui d’Ellie, attendu, qu’on est clairement presque aussi déterminé qu’elle à faire payer Abby et ses sbires pour leur impardonnable meurtre. Mais Naughty Dog a également l’intelligence de nous faire entrer dans la peau de l’imposante membre des Wolfs, créant grâce à cela des choses véritablement intéressantes. Si on sera intrigué de brièvement l’incarner lors du prologue qui mènera au triste dénouement que l’on connait, c’est assez logiquement en trainant les pieds, ou pour certains rongés par la colère qu’on entrera dans sa peau durant toute la deuxième partie du jeu. Qu’on ait vu venir ou non l’idée dès le départ, on comprendra bien vite qu’on cherche à nous faire comprendre les raisons de son impardonnable geste, et à nous faire éprouver de l’empathie pour un personnage que l’on a jusqu’alors été conditionné à détester. Une Abby inconsolable d’avoir vu par le passé son père mourir de la main même de Joël, finalement victime de l’exacte vengeance que celle qu’on était jusque-là motivé à lui faire subir en retour.


Un parti-pris intéressant, qui fonctionne parfaitement au fur et à mesure qu’on commence à connaître Abby. Un personnage finalement très attachant, bienveillant et qui tout comme Ellie, a vécu son lot d’épreuves. Et on suivra ce parallélisme entre les deux héroïnes à deux moments opposés de leur vie. La première en train de sombrer dans sa souffrance de plus en plus meurtrière, et la seconde en quête de paix et de rédemption, tiraillée entre la satisfaction d’avoir vengé son père, et le malaise de voir combien ça l’a transformée, moralement comme physiquement. Vous l’aurez compris, j’admets volontiers avoir considérablement apprécié cette direction, d’autant que contrairement à la plupart des phases concernant Ellie, elle permet de découvrir d’autres facettes de l’univers de The Last of Us, qui m’ont aidé à oublier certaines autres contrariétés. Qui plus est, elles amènent des émotions telles qu’on en vient même parfois à vouloir refuser certaines confrontations en posant la manette, une sensation à la Ico qui fait réellement son petit effet. Une vraie prise de risque réussie donc, même si elle échouera probablement auprès des joueurs les plus incapables d’accepter la mort de Joël, qui ne pourront rien voir d’autre en Abby que tous les défauts de la terre.



Le remplissage par le vide



Loin de tout manichéisme, cette plongée en abyme dans la psychologie des deux femmes se montrera riche en émotions et nous poussera à nous interroger en permanence sur les raisons et les torts de chacune. On regrettera alors d’autant plus que ces vraies qualités soient altérées par nombre de choix par ailleurs discutables. A commencer par ce découpage en deux blocs aussi intéressant que frustrant. D’un côté, on ne niera pas qu’être immergé durant plusieurs heures dans l’une et l’autre des deux aventures, aide très certainement à créer plus d’empathie, à fortiori à l’égard d’Abby, et évite de surcroît de trop morceler le récit. En contrepartie, cette vision a aussi tendance à mettre en valeur les soucis de rythme d’un scénario plutôt doué dans l’art bien peu noble de noyer le poisson. La campagne d’Ellie m’aura à ce propos globalement un peu ennuyé. Premier souci : ce viscéral désir de vengeance rapidement dilué par des à-côtés relationnels variablement intéressants, et surtout un peu trop envahissants. Comme si ça ne suffisait pas, on devra également composer avec une structure schématique se perdant souvent dans des allers-retours entre QG (le théâtre), et objectifs ne menant pas toujours à grand-chose. Cela donne à ses séquences à rallonge des allures de campagnes découpées en missions qui font très jeu vidéo, ce qui ne colle pas vraiment avec l’idéologie plus cinématographique du titre.


Plus dépaysante, la campagne d’Abby n’est cependant pas non plus exempte de moments creux, et on comprendra aisément que les plus sévères lui reprochent un côté annexe un peu trop prononcé, tant elle semble parfois déconnectée du discours principal. Si elle permet de faire connaissance avec quelques nouvelles têtes éminemment sympathiques dont on connait déjà pour certaines le triste sort, on regrettera que beaucoup d’autres soient sous-exploitées ou survolées. On pourra ainsi déplorer de voir un personnage comme Isaac cantonné à un rôle aussi secondaire, tant il aurait pu servir à approfondir un peu le développement des Wolfs. Dans le même ordre d’idée, j’ai trouvé quelque peu frustrant que l’intérêt des Séraphites se limite à la seule trame autour de Lev et Yara. Le récit donne un peu trop souvent l’impression de s’attarder sur des choses futiles lorsqu’il pourrait en détailler d’autres plus intéressantes, ce qui s’avère un peu frustrant. Et bien sûr, l’ouverture des zones n’arrange rien à l’affaire, rallongeant souvent inutilement la sauce, cassant régulièrement l’impact de certains objectifs qu’on en vient parfois presque à oublier. Enfin, le dernier pan de jeu, pas forcément dénué de sens, a tout de même le grand tort de tirer un peu trop sur la corde, à l’image de son ultime affrontement chargé d’émotions fortes, mais franchement grotesque de par son irréalisme et sa bien trop grande durée.



Too much or not too much?



Ajoutons enfin un petit mot sur l’un des sujets qui aura fâché le plus du monde, à savoir le supposé excès de propagande LGBT. Une controverse d’autant plus houleuse qu’elle aura fait l’objet d’un spectaculaire bashing largement exagéré, mais qu’il convient tout de même d’essayer de comprendre. On ne va pas se mentir, cumuler dans la même histoire relations lesbiennes, culturisme féminin, et changement de sexe, n’a évidemment rien d’une simple coïncidence qui devient par conséquent un peu trop voyante. Concédons tout de même que contrairement à beaucoup, The Last of Us Part II a le mérite de traiter ces thématiques avec un minimum d’intelligence, en prenant au moins la peine de les justifier narrativement, contrairement à nombre de ses concurrents. Réglons à ce propos tout de suite le cas d’Abby, souvent très injustement critiquée à cause de sa musculature conséquente, qui fonctionne pourtant parfaitement avec l’écriture de la jeune femme. D’une part parce qu’elle illustre avec pertinence le contraste entre l’innocente jeune fille longiligne du passé, et l’imposante vengeresse ayant consenti à tous les sacrifices afin de s’assurer la capacité d’éliminer toute opposition susceptible de se dresser entre elle et son Némésis. D’autre part parce qu’elle a le bon goût d’éviter toute allusion à un quelconque discours « girl power » un peu trop grossier.


Difficile, par ailleurs de se plaindre de l’homosexualité assumée d’Ellie, déjà introduite dans le DLC Left Behind. Pas plus que de son histoire d’amour avec Dina, très authentique, et ne se complaisant que rarement dans d’inutiles considérations sociologiques. Seul écart de conduite à souligner, cette inutile parenthèse digressive sur l’homophobie, d’abord subrepticement suggérée, puis qui finit par nous exploser au visage en fin de parcours, et dont on se serait bien volontiers passé. Enfin, le cas de Lev, quoique suffisamment bien écrit pour s’intégrer correctement à l’ensemble du récit aura tout de même du mal, cumulé au reste, à ne pas paraître un peu too much. D’une part à cause de son caractère très annexe, exclusivement destiné à étayer le background d’un personnage somme tout plutôt secondaire. D’autre part parce qu’il n’influe en rien sur l’intrigue ou les sentiments d’Abby, donnant à la tentative une connotation un peu gratuite. Comprenons-nous bien. Il n’y a absolument aucun problème dans le fait que les auteurs d’un produit culturel souhaitent exprimer un message à travers leur création, à partir du moment où il sert le propos général du récit sans l’écraser ou le reléguer au rang de prétexte. A titre d’exemple, c’est l’erreur qu’avait pu commettre l’épisode 5 de Life is Strange 2, qui avait mis en scène un couple gay ne se définissant que par ce seul statut, dans le seul but de lâcher une bien caricaturale pensée sur l’homosexualité, complètement déconnectée du reste de l’histoire. On tombait donc dans le pur hors-sujet, et quelles que soient les bonnes intentions préalables, elles étaient anéanties par un discours qui prenait alors des allures de leçon de morale inappropriée, qui en anéantit toute la portée. Et dans le cas qui nous intéresse ici, si Naughty Dog a su mettre les formes pour que cela ne parasite pas l’ensemble du scénario, on pourra aisément comprendre que ce triptyque de références un peu excessif et pas toujours subtil puisse agacer quelque peu. Des considérations qui n’auront que peu d’incidences sur mon avis final, mais qu’un meilleur équilibre aurait sans doute contribué à tirer vers le haut.


Inutile de faire preuve de mauvaise foi mal placée, The Last of Us Part II est un très bon jeu, au moins dans le sens où on l’entend généralement. Modèle de production, de réalisation et de mise en scène, cette poignante histoire de vengeance sait faire preuve d’audace, notamment dans sa narration à deux vitesses, ce qui suffira largement à la plupart pour ne pas regretter le voyage. Un peu timide en innovations de gameplay, le titre de Naughty Dog reste néanmoins solide grâce à ses quelques ajustements bienvenus, son bestiaire plus étoffé, ou son level-design plus travaillé. Cela dit, et à titre purement personnel, je reste quelque peu déçu de cette nouvelle aventure. J’ai bien sûr pris plaisir à retrouver cet univers et cette ambiance si particulière qui fait partie du charme de la série que The Last of Us est désormais devenue. Je suis même plutôt content d’avoir pu découvrir quelques nouveaux personnages intéressants, Abby en tête. Mais je ne voulais à aucun prix qu’on me raconte cette histoire. Je ne voulais pas voir Ellie et Joël partir dans de telles directions, pas inintéressantes en soi, mais faisant perdre au premier épisode une large partie de son impact. Si j’ai presque réussi à en faire mon deuil, les multiples longueurs du récit m’ont ponctuellement bien trop irrité pour susciter un excès d’indulgence. Trop ouvertement militant, mais bien loin de mériter tout le bashing dont il fait l’objet, The Last of Us Part II peut être aussi brillant et poignant que parfois contrariant, soporifique, ou maladroit. Je le remercie donc d’avoir été capable de me faire vivre autant d’émotions malgré mes griefs, même si je lui en voudrais toujours d’être tombé dans la plupart des poncifs que j’espérais le voir éviter et qui m’ont, en trop grande partie, gâché l’expérience.

Arnaud_Lalanne
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le 10 juil. 2020

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Arnaud Lalanne

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