The Legend of Zelda: Majora's Mask
8.3
The Legend of Zelda: Majora's Mask

Jeu de Nintendo EAD, SRD et Nintendo (2000Nintendo 64)

Le voilà donc, l'élu, celui énoncé par cette lointaine prophétie, le héros de la légende qui pourfendit le mal jadis et qui encore aujourd'hui continue de braver les affres du temps. J'ai un certain nombre de "jeux du coeur", mais si je devais en retenir un, ce serait peut-être bien ce dernier. Majora's Mask, sorti en 2000, suite de l'illustre Ocarina of Time et l'un des derniers joyaux d'une Nintendo 64 en bout de course. Un jeu qu'on a couronné de multiples superlatifs, et dont le principal tour de force fut selon moi l'intelligence et la pertinence de ses choix de game-design, se classant sans souci parmi les (trop rares) jeux à avoir réussi leur pari de faire une utilisation suffisamment originale des codes vidéoludiques afin de proposer une expérience véritablement propre et innovante, et qui, plus que tout, ne cherchent pas qu'à être de simples outils de divertissement, de ces jeux qui se suffisent à leur concept et dont le modèle n'est pas aisé à transposer.


Évidemment, dire cela est plus facile aujourd'hui, car entre l'époque où Majora's Mask possédait encore une étiquette de Zelda relativement obscur (ce qui n'est pas nécessairement vrai, car il fut un succès critique total, et a plutôt bien marché pour un jeu sorti entre deux générations de console et nécessitant l'achat de l'Expansion Pack) et l'actuelle, il a eu droit à un net regain de notoriété qui n'a fait que s'accentuer, cette inversion de tendance ayant bien été aidée par les creepypastas et autres théories de fans qui avaient alors commencé à se propager sur le net, donnant à ce Zelda une étiquette de jeu "sombre" ou "effrayant" qu'il n'avait jamais véritablement demandé. C'est très probablement mon jeu vidéo préféré, mais je réfute complètement les argumentations basées à partir de cette image qu'on lui attribue souvent. Tout comme je réfute les théories de fans qu'on appuie avec le plus grand des aplombs, comme si elles attestaient de façon évidente des réelles intentions des développeurs. Non pas qu'il n'y ait que du faux dans tout ça, bien-sûr, le jeu est riche en symboles à interpréter et je trouve plutôt intéressant qu'il continue d'alimenter les discussions passionnées même plus de quinze ans après sa sortie. Simplement que je trouve dommage que des gens se contentent de résumer le jeu par des qualificatifs que j'estime un peu trop vagues et réducteurs de l'expérience qu'ils ont pu avoir en y jouant. Maintenant, ne prétendant pas détenir la vérité absolue, et ayant mon propre rapport avec le jeu, je ne peux que faire part de celle, très subjective, que j'ai pu forger à travers ma propre expérience, et que je vais essayer d'exposer en justifiant mon point de vue.


Je n'apprendrai rien à personne en disant que l'étape précédant le développement d'un jeu tend en général à trouver un compromis/équilibre entre ambitions affichées et moyens réellement disposés pour les satisfaire : temps, effectifs, budget, moyens matériels... Ces contraintes, les développeurs continuent de les rencontrer tout au long du processus du développement, il n'empêche qu'elles en sont une part intégrante et qu'elles sont même vitales, vu que ce sont ces dernières qui permettent de fixer des limites et d'établir un cadre plus ou moins délimité qui font office de repères. Dans le cas de Majora's Mask, les développeurs se sont évidemment posé ces questions : comment s'y prendre pour réaliser un Zelda dans un temps imparti aussi court ? On peut reprendre les assets de l'opus précédent, mais dans ce cas, quel Zelda réaliser ? C'est à partir de ce constat qu'on peut considérer qu'à défaut de marquer une évolution d'ordre technique, ils allaient devoir revoir la structure même du jeu pour proposer une expérience véritablement nouvelle, sous peine de ne passer pour rien d'autre qu'un simple opus de transition. Je ne sais pas comment cette idée a pu germer dans l'esprit des gens de Nintendo à l'époque, eux qui ont l'habitude de faire du gameplay le socle de leurs différents jeux, or là, les éléments de gameplay, l'univers, le cadre/contexte, sont si intimement liés, que je me demande quel fut le point de départ de Majora's Mask. Le contexte de fin du monde ? L'idée d'intégrer un timer, avec ce système d'emplois du temps évolutifs ? Sans doute que tous ces points ont été évoqués en même temps dans un échange d'idées, et que les pièces du puzzle ont rapidement commencé à se mettre en place à partir de cet instant. Quoi qu'il en soit c'est intéressant car c'est un questionnement et des réponses qui font sens, car la problématique était réelle. Ainsi, Majora's Mask dut se résoudre à reprendre le moteur de Ocarina of Time, une partie de ses modèles 3D, le gros de son interface, ceci en raison de contraintes de temps, mais a su se servir de cette base en lui apportant divers ajustements et en la réadaptant de façon intelligente pour mener à bien ses propres ambitions.


Quand le joueur habitué à Ocarina of Time fait la découverte de Bourg Clocher, la circonspection est d'abord de mise. Quel est cet endroit qui semble complètement hors de notre réalité, hors de notre temps ? Pourquoi tant de visages d'inconnus lui semblent si familiers ? Et c'est quoi ce délire avec cette lune affreuse ? Une prise de contact d'autant plus perturbante que le jeu prétend bien être la suite directe de Ocarina of Time, comme l'explicite ce flashback renvoyant aux derniers instants passés avec la princesse. Le fait d'évoluer dans ce qui semble être une dimension altérée du monde que l'on connaît, avec les mêmes personnages sous des identités différentes, le fait de voir nos repères chamboulés bien que pourtant déjà bien établis, tend plutôt à donner du crédit du jeu, rajoutant à l'ambiguité de l'univers. Nébuleux, lacunaire, voilà des qualificatifs que je trouve très caractéristiques de ce qu'est Majora's Mask. Où est-on, que fait-on, est-ce que nos agissements ont une réelle finalité, est-ce que ce qu'on voit est bien réel et pas imaginé, rêvé ? On ne le saura jamais réellement, le jeu se gardant bien de nous donner des réponses, préférant suggérer et solliciter notre imagination que de tout nous expliciter ou tenter de se justifier pour paraître crédible, n'étant d'ailleurs pas un épisode plus bavard qu'un autre en terme d'exposition scénaristique. Offrir une grande quête épique, ce n'est pas là l'ambition de Majora's Mask, qui sous ses airs de Zelda malade et de trip surréaliste à la Alice in Wonderland avec ses bizarreries esthétiques et ses tons de couleurs bigarrés, est finalement un opus plus terre à terre qu'on ne le pense, étant davantage centré sur le drame humain. Ces trois dernières journées avant la fin du monde, Link les vit en même temps les PNJ. Il suit leur quotidien, les accompagne dans leurs moments de joie et de peine. Il est une main secourable qui écoute et résout leurs problèmes, un confident qui leur permet de soulager leurs coeurs des douleurs qui les pèsent. Fatalement, Link s'entiche de leur petite personne, ceci malgré cette épée de Damoclès qui se tient constamment au dessus de leurs têtes, ceci malgré ce sentiment d'impuissance qui envahit le joueur lorsqu'il se rend compte du caractère presque vain d'une quête qui finira par rendre ses agissements totalement désintéressés, point que j'exposerai plus en détails par la suite. En attendant, essayons de voir quels sont les changements opérés par Majora's Mask et si ces derniers s'inscrivent dans la logique du titre.


Ce fameux système des trois jours, donc. Outre le fait qu'il arrive à donner une réelle consistance à l'univers ainsi qu'à faire pleinement ressentir les enjeux du titre, qui s'en voient d'autant plus justifiés qu'ils ne sont pas un bête prétexte scénaristique, il s'agit véritablement du coeur du jeu : il n'est pas une feature parmi d'autres, il est le point central ou le socle sur lequel reposent tous les éléments de son game-design. Ce qui influe de façon directe sur la façon dont est structuré ce Zelda, décomposé en un hub principal, Bourg-Clocher, qui fait office de place centrale, autour de laquelle gravitent quatre régions que le joueur sera amené à découvrir dans un ordre prédéfini (en théorie du moins). Ce n'est pas anodin, tous les chemins ramènent à Bourg-Clocher, et c'est même tout à fait logique au vu de la place centrale que revêt cette ville dans le contexte scénaristique et la symbolique du jeu, et encore davantage au vu du fait que le système des trois jours ne permet simplement pas une progression continue dans le temps, à l'inverse de ses devanciers. Le faible nombre de véritables donjons trouve alors une explication, même si à l'exemple d'Ocarina, le jeu est également constitué de zones précédant l'entrée dans un nouveau temple, seulement à l'inverse de ce dernier, elles se veulent plus vastes et riches en interactions, et moins différenciées des autres phases de jeu. Concernant les donjons, s'ils ne sont qu'au nombre de quatre, ils sont pour la plupart très réussis, chacun d'entre eux s'articulant autour d'une idée de progression via leur salle centrale. Plus verticaux que la moyenne, ils tirent également parti et ce de façon ingénieuse des masques de transformation, dont l'utilisation n'est plus réservée à un usage spécifique ou limité dans le temps, et qui permettent d'envisager des approches différentes, quand bien même ils permettent souvent la résolution de mini-puzzles, tels que l'activation d'un mécanisme ou l'obtention d'une fée égarée, sorte de challenge optionnel qui permet une relecture intéressante de certains donjons.


Plus que n'importe quel Zelda, Majora's Mask est celui qui s'affranchit le plus de la barrière entre la quête principale et le contenu annexe. Pour être plus précis, le jeu fait tout pour donner envie au joueur de s'investir dans son univers et de ne pas se cantonner qu'à un fil rouge scénaristique somme toute assez prétexte, sous peine de passer à côté du principal de l'intérêt du jeu. Car Majora a ses propres codes, qu'il est nécessaire d'assimiler afin de trouver son propre rythme de progression. Rien de très exigeant, le jeu demandant simplement de faire preuve d'un peu d'esprit d'initiative et de sens de l'organisation afin de réaliser chaque action dans un délai imparti. C'est une dimension que j'ai je dois dire beaucoup appréciée dans ce Zelda, cette course contre la montre, le fait d'avoir à composer avec différents objectifs, éléments et informations pour constituer son propre emploi du temps, ceci afin de tout mener à bien au cours d'une même partie. Les quêtes annexes sont d'autant plus intéressantes qu'elles permettent de récupérer des masques aux propriétés loufoques et amusantes au cours de vos missions, dont le degré d'utilité est assez variable. Référencées dans un journal de bord dans lequel seront consignés intermédiaires, dates, horaires, et événements importants à prendre en considération, ces quêtes pas si subsidiaires que ça tournent principalement autour d'un événement, le futur mariage de Anju et Kafei. Véritable petit monde en mouvement, interconnecté et qui réagit à son environnement, l'univers de ce Zelda ne s'en voit que plus gorgé de vie, un comble pour un jeu où la peur de la mort et le fatalisme sont omniprésents, comme nous le rappellent ces nombreux cadrans disséminés un peu partout, qui tournent comme pour nous signifier que l'inéluctable approche. Au fil de vos rencontres avec les habitants de Termina, vous les verrez d'abord nier l'arrivée prochaine d'une catastrophe et ils décideront alors de poursuivre leur petite vie sans se préoccuper du reste, avant de les voir paniquer en réalisant l'ampleur et le sérieux de cette menace grandissante, ce qui les conduira soit à fuir dans la précipitation, soit à se résoudre à leur sort funeste.


De mon point de vue, si Majora's Mask a marqué les esprits d'autant de joueurs, c'est aussi pour son sous-texte, le fait qu'il arrive à développer des thèmes assez forts et poignants avec cette relative indolence qui caractérise la série. Non, Majora's Mask n'est pas un jeu censé être effrayant, ni même dérangeant. C'est un jeu qui a plus vocation à impliquer le joueur sur le plan émotionnel, puis à lui faire prendre du recul, en le flanquant dans la peau d'un avatar muet et impassible face à la détresse humaine à laquelle il se voit confronté, en lui donnant la possibilité de remonter le temps quand bon lui semble, condition sine qua non pour progresser dans l'aventure, rendant ainsi ses exploits et services vains car sans répercussions possibles sur la durée. Car malgré toutes les personnes qu'il a aidées au cours de ses pérégrinations, Link n'en retirera jamais autre chose qu'une gratitude éphémère, prisonnier qu'il est de sa condition de voyageur du temps, lui le solitaire, celui qui n'a pas eu le droit de vivre comme les autres. Un sentiment de frustration et d'impuissance partagé par le joueur, qui malgré toute sa bonne volonté, ne peut pas changer le monde à sa guise. Quoi de plus crève-cœur que de voir le soleil se coucher une dernière fois après avoir ramené un peu de bonheur dans la vie de deux soeurs déjà éprouvées par les aléas de la vie, ou après avoir permis à deux amants de se retrouver pour passer leurs derniers instants ensemble, lorsqu'on se rend finalement compte que tous nos efforts consentis n'auront servi à rien ? D'autant plus qu'un cas de conscience se pose alors, les bonnes actions du joueur finissant par être principalement motivées par la récolte des masques et des récompenses nécessaires à l'accomplissement de sa quête, l'introduisant dans des situations parfois assez peu confortables, rentrer ainsi dans l'intimité des gens par la seule motivation de son propre profit pouvant alors s'apparenter à de l'intrusion, nous plaçant ainsi dans une position de spectateur pervers. Une réalité pessimiste qui renforce encore davantage ce sentiment que, quel que soit l'endroit ou l'époque, Link ne réussira jamais à trouver sa place. On pourra aussi évoquer le fait que les PNJ, revivant les trois mêmes journées indéfiniment, peuvent renvoyer au caractère routinier, répétitif et désincarné des actions qui rythment notre quotidien, qui là aussi se rapporte au thème de la mort, même si c'est peut-être plus tiré par les cheveux car pas tellement mis en avant.


Bien qu'il s'agisse de mon jeu préféré, je lui reconnais des défauts, comme des combats de boss sans éclat à l'image de ceux qu'on rencontre majoritairement dans la saga, ou un système de sauvegardes rapides un peu laborieux. Le parti pris du jeu est également susceptible de diviser, tout comme le manque d'un souffle d'aventure épique, ce Zelda prenant un cadre plus intimiste et s'attardant davantage sur la façon de développer son univers. Mais pour toutes les raisons citées, c'est un jeu qui a eu un impact fort sur moi, qui m'a investi et qui a su m'inspirer plus que n'importe quel jeu. Je me le refais assez souvent, j'ai toujours autant de plaisir à retrouver cet univers où l'onirique et le morbide se côtoient, à revoir ces personnages hauts en couleurs qui ont tous leur propre histoire, à refaire ces donjons dont j'apprécie toujours autant l'ingénieuse conception... Un de mes jeux du coeur que je suis sûr d'apprécier toujours autant dans dix ou quinze ans. En un mot intemporel.

Adopte
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le 27 juil. 2017

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