Bonnet vert et vert bonnet

Difficile de parler objectivement d'une série avec laquelle vous avez grandi. Ça tombe bien, être objectif, ce n'est bon que pour les caméras et les appareils photo. Le test qui va suivre ne sera donc pas garanti sans mauvaise foi, mais on fera le nécessaire pour que l'admiration et la déception cohabitent agréablement. Car Twilight Princess est capable de générer ces deux sentiments à la fois, surtout chez les adeptes de la série. Prévu à l'origine comme le chant du cygne de la Gamecube, repoussé d'un an par Shigeru Miyamoto et son équipe pour devenir l'argument de vente gamer de la Wii, ce Zelda se retrouve un peu le popotin entre deux selles. Attendues comme une suite prodige d'Ocarina of Time, les nouvelles aventures de Link semblent avoir pris un tournant étrange, à mi-chemin de la tradition ayant fait ses preuves et du renouvellement par emprunt d'idées extérieures. Un périple dangereux entre chien et loup, pour ainsi dire, annonciateur d'une volonté de changement de la part de Nintendo.

La nouveauté n'aura d'ailleurs échappé à personne, notre elfe à la tunique verte subit une transformation digne d'un lycanthrope, peu de temps après le début de l'aventure. Déjà surpris par cette métamorphose, il est de surcroît chevauché par l'espiègle Midna, un être du Crépuscule (on y reviendra plus tard) assurant grosso modo les mêmes fonctions que les fées Navi et Taya des opus N64. A la différence près qu'elle sera capable d'interagir avec certains éléments du décor et même de vous aider lors des combats, grâce à une attaque de zone bien utile pour venir à bout de plusieurs ennemis simultanément. En loup, Link perd l'usage de ses armes et de ses objets, mais gagne en agilité et en acuité sensorielle. Il devient apte à se faufiler dans les passages étroits, creuser le sol, parler aux animaux, suivre les odeurs à la trace (avec un rendu visuel déjà aperçu dans Dog's Life, puis Okami) ou encore voir les choses cachées par le biais d'un sixième sens bien pratique et régulièrement sollicité. Les affrontements se règlent à coups de crocs, de griffes et de queue (pas celle de la bifle), dans le plus pur style de l'école des canidés. Pas de quoi fouetter le chat se baladant dans votre village natal, mais amplement suffisant pour mettre une raclée à n'importe quel opposant décidé à vous faire mordre la poussière.

Twilight Zone

Si votre apparence change à ce point, c'est pour une bonne raison : le royaume d'Hyrule est envahi par les forces du Crépuscule, représenté sous la forme de zones inaccessibles aux êtres vivants normaux, remplies de créatures sombres et de symboles étranges. Comment ne pas penser au monde des Ténèbres de l'épisode Super Nintendo, A Link to the Past, mais surtout aux nappes de brouillard maudit recouvrant la carte d'Okami ? A croire que les loups touchés par la grâce divine et libérateurs du malin ont leurs entrées chez les développeurs japonais... Toujours est-il que votre mission vous amènera à parcourir le Crépuscule à quatre pattes plus d'une fois, ce qui est loin d'être un calvaire compte tenu de l'aisance avec laquelle on dirige la forme animale de Link. Malgré un temps d'adaptation nécessaire, le maniement du héros humain est également intuitif, même pour un novice des épisodes 3D (j'en ai rencontré, ça existe). A vous les joies du désherbage et des rixes endiablées à l'épée, en secouant gaiement votre Wiimote, qui ne restitue cependant pas votre mouvement exact à l'écran. Peu importe, les uns se contenteront de petits coups secs pendant que les autres joueront au chef d'orchestre excité. Les bottes plus élaborées se réalisent avec la même aisance, puisque leur utilisation est calquée sur celles de Wind Waker, avec quelques nouveautés. Les objets s'utilisent soit directement depuis les trois raccourcis (contre deux sur Gamecube) placés sur la croix de la télécommande, soit en utilisant le bouton B, confortablement niché sous votre index.

Le vrai changement de la version Wii, c'est la visée au pointeur : sortez une arme à longue portée, mettez votre cible en joue, appuyez sur la gâchette B et le tour est joué. Du moins en théorie, car il y a un très léger décalage entre l'image et votre mouvement, sans compter les nombreux moments où votre viseur sort du champ et ne réapparaît pas immédiatement à l'écran une fois la manette recentrée. Dans les passages d'action intense, c'est un luxe qu'on peut difficilement s'offrir, mais quand on a chopé l'astuce, on gagne un temps précieux. Pour les nostalgiques de la manette traditionnelle, il est toutefois possible de désactiver le pointeur dans les options pour viser au stick et faire disparaître la fée bleue qui suit ordinairement le bout de votre télécommande en permanence. Petite parenthèse : la pêche devient un vrai plaisir sur Wii, on y perd un temps fou à tester les différents appâts pour devenir un serial pêcheur.

Donjon parade

Attaquons maintenant un point cardinal de tout bon Zelda qui se respecte, à savoir les donjons. Les détracteurs de Wind Waker (l'opus le moins fourni en la matière après le condensé Majora's Mask) seront ravis d'apprendre que leur nombre et leur qualité sont tout à fait satisfaisants. Assez immenses et suffisamment complexes pour ne pas se laisser traverser en moins d'une heure, leur construction rivalise parfois avec les meilleurs palais de l'époque N64, comme la Forteresse de pierre, le temple de la Forêt ou celui de l'Esprit. L'arrivée d'objets repensés ou carrément nouveaux y est souvent pour quelque chose, mais l'architecture et les énigmes placées au cœur de ces dédales en trois dimensions réservent quelques surprises aux débutants, laissant aux aficionados un défi correct pour leur cerveau habitué aux mécanismes « zeldatesques ». A contrario, Twilight Princess a conservé la facilité de Wind Waker au niveau des adversaires, en particulier les boss, parfois moins résistants que leurs sbires embusqués à mi-parcours. En revanche, leur taille et leurs apparitions sont toujours aussi spectaculaires. Un des gardiens géants pourrait aisément avoir sa place dans Shadow of the Colossus, tellement la mise en scène et la façon de l'occire sont pompées sur le titre onirique de Fumito Ueda.

Les similitudes entre l'épopée de Wander et de Link ne s'arrêtent pas là, puisque les balades à cheval instaurées par Ocarina of Time s'invitent désormais au milieu de paysages surplombants en ruine, baignés par une lumière presque surnaturelle. Si Epona est plus rigide qu'Agro, elle est également beaucoup moins indispensable à cause d'un système de téléportation utile mais encourageant peu les excursions contemplatives. Pour compenser, le soft nous offre la possibilité d'user de plusieurs objets (dont l'épée) lors des cavalcades, prétexte à des batailles épiques à travers la plaine d'Hyrule. Au passage, on peut noter un travail réussi sur les animations, les ambiances et l'aspect cinématographique en général : ça bouge bien, les angles de caméra choisis sont variés (mais pas aussi libres que sur la version Gamecube), l'immersion marche à plein régime et on ne voit pas défiler la quarantaine d'heures requises pour voir le générique de fin – sans avoir tout découvert.

Dommage que le design pataud d'une poignée de personnages secondaires vous sorte parfois brutalement de l'univers fantastique mis en place par Eiji Aonuma, dont la touche sombre et inquiétante aurait pu (du ?) être encore plus exploitée pour conférer une âme véritable à Twilight Princess. En effet, c'est bien un supplément d'âme, une personnalité affirmée qui fait cruellement défaut à ce Zelda, parfaitement calibré pour devenir un hit au rythme sans faille, mais qui cumule les meilleures recettes des jeux d'aventure (à commencer par les siennes) sans apporter grand-chose de neuf ou d'exclusif au genre qu'il a pourtant toujours fait avancer. Avec la même formule, Capcom a bien réussi à transformer l'essai Resident Evil 4, il n'y a pas de raison pour que Nintendo ne parvienne pas lui aussi aux mêmes résultats, compte tenu de l'expérience et de l'audace de ses développeurs. Miyamoto n'avait-t-il pas annoncé ce TP comme « le dernier Zelda classique » avant une toute nouvelle approche de la saga ? On attend de voir ça avec impatience dans Skyward Sword, tant le besoin de renouveau se fait sentir pour Link et ses compagnons.
Flameche
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le 11 juin 2011

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