Bong Joon-ho - Commentaires

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1986. Dans un village, un serial killer tue des jeunes filles, toujours vêtues de rouge, toujours les jours de pluie. Les flics locaux s’y perdent, l’envoyé de Séoul également. Rien ne sera jamais expliqué ni résolu : on ne fera que deviner la souffrance des victimes et la folie des assassins invisibles, murés dans leurs tourments. Le prolifique courant du thriller sud-coréen ne s’est jamais trouvé de meilleur avatar que ce polar où se superposent les lectures sociale, politique et humaine avec une maîtrise étourdissante et un spectre de tonalités qui module du suspense à la comédie bouffonne. Une matière narrative extrêmement dense semble y épuiser un dédale d’hypothèses pernicieuses renvoyant au chaos d’un pays saisi dans toutes ses scléroses – corruption, violence banalisée, cupidité et inanité des institutions.

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Dès les premiers plans, majestueux, tendus, mystérieux (une ombre dans l'eau, un homme se jetant dans le fleuve sous une pluie battante), on sent que Bong passe à l'échelle supérieure. Film de monstre, comédie, drame familial, satire sociale s'alimentent mutuellement, avec une générosité assez exceptionnelle. Entre passages délirants (le discours inepte d'un médecin américain au strabisme divergent – grand moment de loufoquerie féroce) et formidables morceaux de bravoure, le cinéaste ne perd jamais le cœur battant de son histoire, cette très émouvante affaire de solidarité familiale où grand-père, père, frère et sœur se serrent les coudes avec tendresse pour sauver la petite fille de la famille, battante courageuse aux prises avec une créature extraordinaire. C'est ce qui s'appelle un très grand film populaire.
Top 10 Année 2006 : http://lc.cx/UPh

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"Shaking Tokyo"
Peut-être est-ce le format du moyen-métrage, peu adaptée à son expression ample et virtuose, toujours est-il que Bong semble accuser ici un certain déficit d’inspiration, surtout en regard des deux autres segments signés Michel Gondry et Leos Carax. Enquête sur la folie lucide d’un maniaque agoraphobe, emprisonné perpétuel dans son appartement vidéothèque, et qui tombe soudain amoureux d’une jolie livreuse de pizzas, le film indique que certaines vibrations aliénantes de Tokyo ne peuvent êtres captées qu’à travers un filtre optique oriental. Mais ce qui aurait dû transmettre une espèce de vertige par rapport à la mégapole où s’enchevêtrent les êtres et les choses dans une perte de repères pouvant devenir perte d’identité ne dépasse guère la métaphore un peu lourde sur la solitude urbaine.

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Le cinéaste revient au thriller campagnard dense et vigoureux mais le couple à un beau portrait de femme à la dérive, mère débordant d’un amour étouffant pour son fils assassin. Abolir toute mesure, humaine comme esthétique, non par la raréfaction et l’épure, par l’élaboration d’un univers formel coupé de toute référence mimétique, mais par l’excès, le mélange et le refus de trancher : telle est ici son ambition. Une fois de plus il se montre très au-dessus de la mêlée dans l’exercice consistant à conduire un récit sans bout de gras, capter la dimension sociale du (mélo)drame, juxtaposer un réalisme impitoyablement chirurgical et un affolement où l’absurde et la névrose se disent de la même façon, et voiler de douleur le déroulement d’une enquête tenant à la fois du polar classique et de l’introspection.

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Malgré certaines coutures un peu grossières dans la greffe, la personnalité de Bong ne s’est pas fait bouffer par le passage à la superproduction internationale. La forme impure et le déséquilibre déroutant mais fructueux de la narration attestent de la générosité et de la frénésie créatrice d’un artiste éclusant toutes les potentialités graphiques et politiques de son sujet. Entre des vigiles cagoulés éventrant un poisson et une institutrice sous amphétamines qui défouraille au gros calibre, la parabole offre son lot de visions baroques, se soumet à la logique segmentée (un wagon, un principe esthétique) d’un véritable film-monde, et reconfigure les thèmes du pouvoir, de la quête individuelle et de la lutte des classes avec ironie et ambigüité. Seule ombre au tableau : une conclusion lourdement symbolique.

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La famille, ses manques ordinaires et la nature extraordinaire des liens qui l’entraînent dès lors qu’elle est mise en péril : Bong réactive sa préoccupation majeure dans une comédie sociale en forme d’étourdissante pièce montée, qui valide l’adage hitchcockien selon lequel le cinéma est une (énorme) tranche de gâteau. Recombinant et redéployant en permanence les possibilités de son sujet, conjuguant les vertus fabulaires de l’allégorie à l’ivresse d’une implacable mécanique narrative, il emprunte à la farce burlesque et au thriller horrifique sans jamais compromettre la finesse du trait, maintient l’équilibre parfait entre ironie bouffonne et politesse du désespoir, virtuosité pure et substance des personnages, pour mieux dresser le constat féroce de la violence insidieuse des rapports de classe. Une Palme d’Or idéale.
Top 10 Année 2019 : https://urlz.fr/bJLf