De l'Art de Lire Nietzsche

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La Dernière Valse d'une Etoile Enfant du Chaos (01/10)
150 pages.
Comme quoi, commencer par la fin peut former un bon début.
Afin de comprendre où veut en venir Nietzsche, autant le demander directement. Ecce Homo, étonnant mélange autobiographique et philosophique, trace ce que pense Nietzsche de lui-même, de sa personne maladive tout comme son rôle de philosophe posthume. Il dépose d'une part des points de vus sardonique sur son égo ("Pourquoi je suis si malin ; une fatalité") et de l'autre des commentaires sur chacun de ses ouvrages ("Pourquoi j'écris de si bons livres").
Tout cela à quelques mois de son coup de folie hippique à Turin début 1889 ; ce sont ici ses derniers instants lucides sur papier. Ecce Homo est le meilleur moyen de se faire une idée de Nietzsche avant de se faire une idée de la pensée nietzschéenne.
N'oubliez pas d'en profiter, quelque soit le degré d'interprétation à adopter, c'est pour cette unique raison même qu'il est intéressant.

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Du Coeur vers le Choeur (02/10)
215 pages
Publié en 1872, il s'agit du tout premier oeuvre de Nietzsche, alors âgé de 28 ans seulement. Et c'est pour cette unique raison qu'il est très important, voire indispensable, de démarrer Nietzsche avec ce bouquin, parce qu'il est jeune, trop jeune : il n'a pas encore atteint sa maturité philosophique dont il est célèbre mais surtout, il ne possède pas encore son propre langage personnel ; à cause de cela, c'est probablement son livre le plus stylistiquement incomplet et au développement des idées trop obscures.
Dans La Naissance de la Tragédie, inutile de s'attarder à trop réfléchir dans ses phrases : elles sont lourdes de symboles, à tendance romantique, usent d'une logique souterraine et sont inutilement complexes. Cependant, ce dont il accomplit avec cet ouvrage est surprenant : en exploitant sa connaissance philologique et des sources philosophique, il marque sa première indépendance en tant que philosophe ; il y dévoile ses premières idées librement et sans contrainte, dont certaines restes inchangés dans ses ouvrages prochains comme le dionysiaque ou la question sur Socrate.
Etudier l'évolution de Nietzsche en partant depuis ce bouquin est à la fois essentiel et fascinant ; l'oeuvre en soi reste un bon départ dans sa pensée, ici trop enfantin pour être mature.

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Plus Dur que l'Airain le Marteau (03/10)
110 pages.
Considéré longtemps comme une introduction à sa philosophie, Nietzsche l'a écrite en seulement une semaine durant sa période hyperactif de 1888. Il dézingue à tout-va là où la vie est touchée, c'est-à-dire la morale, le rationalisme et le christianisme en général.
En réalité, la composition du Crépuscule des Idoles s'inscrivait alors dans son projet abandonné de la Transmutation des Valeurs, dans lequel ce livre servirait d'un avant-goût en reprenant les principales valeurs que Nietzsche planifiait d'effondrer, tel un Guy Fawkes.
Court et explosif à la fois, allant de l'aphorisme au fragment, le lire deux fois est recommandé pour le comprendre intégralement ; Nietzsche ici y est plus clair et direct que dans ses autres bouquins.
De ce fait, nous entrons authentiquement dans le labyrinthe de la pensée nietzschéenne, ce bouquin étant l'une de nos torches.

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Dionysos Crucifié (04/10)
90 pages.
Publié en 1895, soit lorsque Nietzsche est à la moitié de sa vie réduit à l'état de légume, il était considéré comme la première des quatres parties du projet caduque de la Transmutation des Valeurs, selon un plan de 1888, présent dans ses fragments posthumes.
L'Antéchrist, contrairement à ce que l'on pourrait croire, c'est beaucoup plus qu'une simple critique hargneuse du christianisme : à travers elle, Nietzsche reconnait tous les maux contre lesquels il se bat depuis dix années ; il balance la morale, dénonce les prêtres, écrase les décadents, réévalue Jésus, combat la négation de la vie, dissèque l'histoire de l'humanité...
Bref, il réalise une véritable transmutation de toutes les valeurs, expression d'ailleurs sur laquelle il achève ce bouquin d'une lourdeur naturelle et de légèreté passagère ; peu long, une double lecture y est prié. D'ailleurs, dans son introduction, il a mis en garde sur la complexité peu évidente de son ouvrage en s'attendant que seul ses vrais lecteurs, ceux qui sont aptes à entrevoir sa pensée, comprendront les différents dégrés et la passion qu'il a transmis à travers cet écrit.

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La Moustache et son Ombre (05/10)
660 pages.
D'abord publié en 1878, puis sous une seconde édition en 1886, HTH est un conglomérat de 1396 d'aphorismes bruts. Il sonne la venue de l'âge d'or nietzschéen, celui où les oeuvres suivantes de Nietzsche façonneront son statut de philosophe mythique.
Ici, nous assistons authentiquement à la naissance du style nietzschéen, mais pas assez développé et encore totalement mis au point. De ce fait, conjugué par sa longueur (la plus longue de cette liste), HTH est assez difficile à ingurgiter, sûrement le plus lourdaud de tous. Et à travers les trois volumes, 11 thèmes identiques sont traités dans l'ordre, dont la morale, la religion, l'art, la société, de l'homme...
Bref, du Nietzsche tout craché mais du Nietzsche à peine mature ; c'est parsemé de ribambelles de passages autant alambiqués que fugaces, tantôt lumineux que tantôt obscurs. Toutefois, une fois clôturé, c'est tout un pont-levis qui s'abaisse avec une lenteur essoufflée.

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Le Grand Zénith (06/10)
300 pages.
Sorti en 1881 et suite logique de HTH, Aurore marque un véritable coup d'envoi du projet souterrain de Nietzsche ; ayant assez mûri, il s'attaque ici à une cible bien particulière : la morale.
Plus précis, rythmé et mieux exprimé, le style y s'est amélioré et l'on s'étonne d'ailleurs de la prise de vue objective et peu agressive de ses aphorismes. Friedrich s'est pour l'occasion destitué de sa présence, ne s'exprimant que par ses pas de dances révélateurs sur la morale, en y dénonçant de manière désintéressé plusieurs de ses aspects tout en conservant à la longue une perception positive en la matière. La lecture, nettement moins pataud que la précédente, prouve toutefois que lire Nietzsche se fait une seule fois mais comprendre Nietzsche nécessitera toujours, toujours une seconde lecture.
Aurore porte les prémisses d'une future production promettante (cf. la suite de la liste bien sûr), symbolisant la génèse matinale des riches années 1880 de la pensée nietzschéenne.

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Eternellement Gosse 1882 (07/10)
340 pages.
Nous faisons face enfin à la fameuse trilogie nietzschéenne, fruits magnifiques qui constituent le patrimoine décisif du philosophe.
D'une grande santé, Nietzsche compose un écrit communément considéré comme le plus important de ses travaux. Le Gai Savoir condense, sous un style clair et puissant, nombre d'aphorismes anthologiques, notamment l'apparition de plusieurs emblêmatiques idées telles que "Dieu est mort", l'Amor Fati et l'Eternel Retour.
Symbole de vitalité, parfum d'optimisme, l'oeuvre transpire d'une surprenante lucidité à ne pas prendre à la légère ; les quelques centaines d'aphorismes, de véritables trous de taupes, donnent accès à une galerie souterraine connectée les uns aux autres.
Monolithe dressé, gravé, le bouquin forme un tout porté sur l'enthousiasme que l'on doit à la connaissance contre une croyance jus pressé de la vérité qui contamine les hommes (de science) et sur la jovialité de la vie et de ses détours contre un nihilisme abessant.
Nietzsche nous dit : apprends à aimer, accepte le monde tel qu'il est car il n'y en a qu'un, sois fort, sois indépendant, sois libre, dis oui à la vie, dis oui à ton destin et vis comme si tu devrais revivre la même vie une infinité de fois à l'identique. Si tu succombes de joie à cette dernière pensée, c'est alors un signe d'une Volonté de puissance et donc le présage d'un nouveau Surhomme.
Vous l'aurez compris, ce n'est pas du gâteau avec un tel mastodonte qui nécessite une lecture et une relecture sans fin ; une simple lecture floutera tout ce qui a été dit et c'est à nous de continuer à replonger dedans comme dans une marmite de potion magique.

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Du Haut de ses Monts (08/10)
280 pages.
Cette seconde partie, qui saute et suit le Zarathoustra, obéit à la continuité lancée par Nietzsche sous une autre couleur ; d'un teint plus obscur, il se veut un disciple amélioré de HTH, reprenant les mêmes thèmes mais offrant de nouvelles problématiques.
Imprimé en 1886, Par-Delà marque une progression significative dans l'écriture nietzschéenne du fait que Friedrich ait pris de l'aisance à retranscrire ses pensées. Toutefois, le bouquin a hérité de HTH sa difficulté de lecture mais d'une autre façon : au lieu de retrouver la lourdeur novice de HTH, les aphorismes du Par-Delà dégagent une masse de signification qui rendent sa lecture et sa compréhension positivement hardies.
Ici, trois mots-clés représentent l'objectif du Par-Delà le Bien et le Mal, expliquant notamment son titre :
celui des Valeurs (lutte contre la morale dominée par le christianisme),
celui des Vérités (lutte contre le nihilisme présent dans la science),
celui des Pouvoirs (lutte contre les pouvoirs qui sont en place).
De loin le plus complexe pour un lecteur lambda qu'expérimenté, le Par-Delà est un test lancé par Nietzsche à l'encontre de ses fidèles afin d'effectuer une nouvelle sélection et de les préparer à l'avenir.

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Arracher les Mauvaises Racines (09/10)
155 pages.
La troisième partie fait apparaître un rare rayon lumineux d'écriture nietzschéenne, ou du moins son évolution naturelle.
Composé en trois semaines de juin 1887, Généalogie étonne dans le développement de ses idées : en laissant de côté les aphorismes, Nietzsche surprend en faisant appel aux dissertations, à sa sauce. Dès lors, c'est notre habitude de lecture (jusqu'à présent) qui chamboule mais pour une bonne raison : le bouquin est tout à la fois allégé et clairvoyant que lourd de sens et mouvementé.
Divisé en trois parties, Nietzsche développe son analyse généalogique de la morale, comprenant ainsi son origine, sa valeur, le bien et le mal, les forts et les faibles, l'ascétisme, le ressentiment, le nihilisme...
Bref, tout un paquet compacte de choses à découvrir et, vu sa carrure, Généalogie pourrait ainsi être une bonne première lecture de Nietzsche si les novices sont assez déterminés pour le comprendre.
Sur ce, compagnons de route senscriticiens, j'aperçois une lumière...

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Camel, Simba et le Petit Prince (10/10)
340 pages.
...et nous y voilà enfin. Près de 6 mois de voyage nietzschéen, achevé avec ce Zarathoustra, nom adhésif à celui de Nietzsche.
Mythique, il est unique au fond pour sa structure romanesque : en comparaison avec les autres bouquins ci-dessus, Zara est un roman. De prose, en vers, par chants, la figure de Zoroastre, personnage historique oriental, prophète ayant distingué le bien et mal, délibérémant repris par Friedrich pour le rédempter de cette erreur morale et en faire figure de proue de sa propre pensée.
De grands concepts nietzschéens ont été camouflés au fil des parties : la Mort de Dieu, le Surhomme, la Volonté de Puissance, l'Eternel Retour. Ayant placé le bouquin en fin de piste, j'espérais justement pouvoir comprendre les divers codes et métaphores éparpillés ça et là au fil de la lecture ; bien que cela se révèle utile, APZ reste obscur notamment pour ses paraboles (évangéliques). De mon humble avis, Nietzsche souhaitait remplacer la Bible et le Jésus de la Bible par son propre prophète Zarathoustra, porteur de messages et d'enseignements (qui lui sont siennes).
Difficile d'accès, pourtant très conseillé comme première lecture à cause de son écriture style Belles-Lettres biblique et de l'autre son contenu mystique à multiples degrés. Zarathoustra ne s'adresse seulement qu'aux lecteurs expérimentés de la philosophie nietzschéenne.
Pour ma part, cela valait le coup et même si je ne me sens que demi-nietzschéen, au moins je pourrais dire que je l'ai lu, simplement.
Mais voici que j'aperçois une lumière solaire au bout du chemin, c'est la sortie du labirynthe, allégorie de la pensée nietzschéenne.